Par Joanna Peltzman et Jean-Marie Salva, avocats associés, cabinet DS Avocats

L’absence de stocks suffisants et la faible production française, rendent incontournable l’importation – très majoritairement depuis l’Asie – d’équipements médicaux de lutte contre le coronavirus. Avec l’annonce d’une sortie de confinement envisagée pour le 11 mai prochain, les tensions en matière d’approvisionnement se sont cristallisées autour des produits appelés les « BIG 4 contre le Covid » à savoir les masques, les gels, les gants et les thermomètres.

C’est dans ce contexte exceptionnel que des mesures ont été prises afin de garantir la fluidité des importations de ces produits.

L’exemple des masques, qu’ils soit chirurgicaux, de protection ou alternatifs permet d’illustrer la complexité de la gestion d’une pénurie.

Le Club des juristes : Quels sont les enjeux juridiques autour de l’importation de masques en France ?

Joanna Peltzman et Jean-Marie Salva : Il existe différents types de masques, les masques chirurgicaux qui sont considérés comme des dispositifs médicaux, les masques de protection type FFP2 qui sont des EPI (équipement de protection individuelle) et enfin les masques alternatifs qui ne répondent à aucune norme particulière pour l’instant.

Pour être commercialisés, les masques chirurgicaux et les masques de protection doivent être certifiés (auto-certification pour les masques chirurgicaux). Concernant les masques alternatifs, ils ne font pas, jusqu’à présent, l’objet d’une certification mais l’AFNOR a publié un guide d’exigences minimales, de méthodes d’essais, de confection et d’usage.

Première difficulté, les normes de certification ne sont pas harmonisées au niveau mondial et les équivalences en matière de qualité et sécurité des produits n’existent pas pour tous les produits. D’où le travail très important des douanes qui a permis une équivalence entre la plupart des différentes normes.

Seconde difficulté, en France, les masques chirurgicaux et les masques de protection peuvent faire l’objet de réquisitions. En effet, l’article 12 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, est venu rappeler que ces masques sont prioritairement destinés aux professionnels de santé et aux patients atteints du virus. C’est pourquoi, ces masques peuvent faire l’objet de réquisition totale ou partielle, par arrêté du ministre chargé de la santé, au-delà d’un seuil de cinq millions d’unités par trimestre et par personne morale.

Plusieurs importations ont d’ores et déjà fait l’objet de réquisitions.

Toutefois, une demande d’importation adressée au ministre de la santé peut permettre de faire obstacle à la réquisition. Le silence gardé plus de soixante-douze heures après réception par ce ministre vaut acceptation.

LCJ : Pourriez-vous nous expliquer comment la douane a été mobilisée dans la lutte contre le Coronavirus ?

J.P. et J-M.S. : Dans l’attente des résultats de la production nationale lancée au pas de charge, l’importation massive était bien la seule solution. Celle ci s’est trouvée rapidement freinée par deux phénomènes : d’une part, l’absence d’équivalence européenne avec certaines normes chinoises et, d’autre part, les mesures adoptées par les autorités chinoises d’interdiction stricte de l’exportation des matériels médicaux dont relèvent une partie des masques chirurgicaux.

Une première note aux opérateurs du 26 mars a dispensé jusqu’à la fin de la crise sanitaire de marquage CE les masques sous réserve que l’importateur établisse le respect des normes européennes ou de certaines normes étrangères reconnues comme équivalentes et qu’il fournisse de manière anticipée un dossier technique permettant d’établir ce respect. Un tableau d’équivalence entre les normes harmonisées européennes et certaines normes étrangères était annexé.

Notons que cette équivalence est de la compétence des États membres et non de l’UE et que plusieurs normes chinoises n’y figuraient donc pas. Une première instruction interministérielle avait été publiée le 31 mars en application de la recommandation de la Commission européennes précitée. Une seconde a été adoptée le 5 avril élargissant l’équivalence de nouvelles normes chinoises.

Dans ce contexte et pour les EPI, la douane a précisé que la présentation d’une simple lettre de saisine d’un organisme notifié pouvait suffire pour autant que le dossier technique présenté à l’appui du dédouanement comporte tous les éléments utiles dont elle fourni la liste par note aux opérateurs du 8 avril et notamment les rapports de test pertinents.

C’est donc essentiellement en matière de norme que le rôle des douanes a été important.

Par ailleurs, la douane intervient sur tous les fronts qui relèvent traditionnellement des compétences douanières liées au dédouanement ou à la libre circulation des marchandises qu’il s’agisse du classement des produits concernés ou de leur taxation mais aussi des mesures d’exception qui peuvent frapper les flux entrant ou sortant en termes de facilitation pour les premiers ou de restriction pour les seconds.

LCJ : Quelles sont les principales mesures douanières adoptées en France à l’importation et à l’exportation?

J.P. et J-M.S. : Les mesures adoptées par les douanes françaises peuvent se classer en deux catégories : celles qui visent directement les matériels médicaux et les autres.

Seules les premières sont abordées ici. Elles sont le plus souvent la déclinaison locale des mesures prises ou initiées par la Commission européenne.

Ainsi, en matière de classement, la mise à jour de la nomenclature internationale (à 6 chiffres) initiée par l’OMD et l’OMS visée ci dessus n’est opérationnelle que pour autant qu’elle soit transposée dans les nomenclatures nationales qui en sont une extension. La douane française a donc adopté le 30 mars un arrêté modifié le 6 avril donnant la liste des nomenclatures applicables en France (à 10 chiffres). Elle a notamment précisé les conditions du classement sous la position 3808 9490 90 de certains produits hydro alcooliques autorisés par dérogation du ministère de la transition écologique et solidaire être utilisés temporairement en tant que biocides désinfectants pour l’hygiène humaine. Cette dérogation instaurée par arrêté du 6 mars a été prolongée par arrêté du 9 avril au 30 mai. De même pour le classement des masques en textile (chirurgicaux IR ou IIR masques de type FFP1, FFP2, FFP3) à la position 6307 9098 10 ou des appareils de maintenance sous assistance respiratoire au 9019 2000 00.

S’agissant de l’importation en franchise, la douane a décrit par une note aux opérateurs du 28 mars remplacée le 11 avril les conditions d’octroi de l’agrément et de dépôt préalable à l’importation d’une demande d’admission en franchise. Elle a précisé la rétroactivité de cette franchise au 30 janvier ouvrant ainsi droit à des demandes de remboursement.

Nul doute que la poursuite du confinement jusqu’au 11 mai et les mesures qui ne manqueront d’être adoptées pour la sortie de ce confinement verront l’ensemble de ces mesures d’urgence évoluer et ce rôle essentiel de la douane se confirmer.

 

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