Par Olivier Salustro, président de la Compagnie Régionale des Commissaires aux Comptes de Paris, associé fondateur Salustro & Associés

Les régulateurs, normalisateurs (Autorité des normes comptables – ANC, Autorité des marchés financiers – AMF) et autorités comptables (Compagnie nationale des commissaires aux comptes – CNCC, Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables – CSOEC) français ont publié, tour à tour, à l’instar de leur homologues étrangers, une série de recommandations et d’observations pour assister les entreprises dans la prise en compte des conséquences de l’événement Covid-19.

Ces publications portent tant sur la présentation de l’information comptable que sur les modalités de comptabilisation des opérations et sont abordées sous l’angle des normes comptables françaises et IFRS (normes internationales).

Il faut distinguer les recommandations et observations relatives aux comptes de l’exercice clos au 31 décembre 2019 de celles établies à compter à compter du 1er janvier 2020.

Quel distinguo entre les comptes 2019 et ceux établis à compter du 1er janvier 2020 ?

L’événement Covid-19 apparaît formellement en mars 2020 (déclaration de pandémie par l’OMS le 11 mars). Il est donc considéré comme un « événement post-clôture » 2019. Dès lors, les comptes 2019 ne doivent pas prendre en compte les effets du Covid-19. Lesdits effets sont par contre exposés dans l’annexe, le rapport de gestion et lors de l’assemblée statuant sur les comptes et abordent la question de la continuité d’exploitation en précisant si des conséquences significatives ne sont pas attendues, ou bien sont attendues :

  • mais sans menace sur la continuité d’exploitation,
  • avec une incertitude significative sur la continuité d’exploitation,
  • avec une continuité d’exploitation définitivement compromise.

Dans tous les cas de figure, l’entreprise doit informer le lecteur des comptes des dispositions qu’elle a prises pour tenter et/ou surmonter la crise et préciser, dans ces trois cas, les conséquences sur l’activité et l’impact sur les états financiers ou dire clairement si elle est dans l’impossibilité de mesurer celui-ci.

L’événement Covid-19 et les comptes en normes françaises ne sont pas ajustés des effets de la crise même si la continuité d’exploitation de l’entreprise est définitivement compromise. Seule l’annexe en fera mention. Attention, la convention est inverse en normes IFRS.

Le message essentiel à ce stade porte sur la situation de trésorerie et la manière dont l’entreprise s’est organisée pour la gérer et faire éventuellement face à une évolution défavorable : quels recours aux dispositifs gouvernementaux palliatifs comme le chômage partiel, les décalages de charges, les PGE, etc.

Comment les comptes 2020 (semestriels, intermédiaires et annuels) intègrent-ils les effets de l’événement Covid-19 ?

Ce qui préoccupe avant tout les entreprises, c’est la poursuite de l’activité, la gestion du cash et la manière de survivre pour espérer rebondir.

Néanmoins, l’objectif de l’ensemble des recommandations et observations est double pour le dirigeant.

  • Disposer d’instruments de mesures fiables en quasi temps réel, nécessaires au pilotage de l’entreprise particulièrement par gros temps : où en est-on ? Quel cap prendre ? Avons-nous les ressources pour franchir l’obstacle ? etc.
  • Fonder la communication en direction des parties prenantes (banquiers, salariés, actionnaires, clients, fournisseurs…) sur des éléments chiffrés réalistes et pertinents, facilitant le dialogue et garantissant la transparence, donc la confiance.

Il s’agit alors d’évaluer les conséquences de l’événement Covid-19 sur la performance de l’exercice 2020 et sur la situation financière de l’entreprise, en particulier en distinguant les effets ponctuels des effets structurels. Également d’évaluer les mesures de soutien dont elle a pu bénéficier.

L’événement Covid-19 impactera probablement tant le bilan que le compte de résultat qui nécessiteront une révision des estimations comptables, la prise en compte des incertitudes et la mise en œuvre d’analyses de sensibilité.

Quels impacts sur le bilan et le compte de résultat ? Doit-on inscrire ces impacts en résultat exceptionnel et/ou non courant (comptes consolidés) ?

Pour le bilan, les impacts, dès lors que des indices de perte de valeur seront décelés, pourront se traduire par la dépréciation d’immobilisations incorporelles (fonds de commerce goodwill, etc.) et corporelles. De même, la valeur des stocks et des créances clients pourront nécessiter un ajustement dès lors que les premiers seront écoulés avec de grosses remises et que les seconds pourraient être défaillants. Au passif, les prêts obtenus (PGE), les annulations de dette ou les ruptures de covenants feront l’objet d’une comptabilisation adéquate.

La difficulté dans cet exercice réside dans l’établissement de prévisions qui doivent notamment statuer sur une date de sortie de crise et ses impacts à court et plus long terme sur le modèle d’affaires de l’entité. La mise en œuvre de scénarios probabilisés ou de tests de sensibilité éclairera utilement le lecteur des états financiers sans toutefois remplacer la boule de cristal.

Pour le compte de résultat, celui-ci intégrera, bien entendu, la baisse d’activité et les allocations d’activité partielle, le fonds de solidarité pour TPE, micro-entrepreneurs et indépendants, les annulations ou décalages de charges (loyers et annulations de redevance variable sur le CA), etc.

Il n’est pas recommandé d’inscrire les impacts ainsi mesurés en résultat exceptionnel et/ou non courant, ni de les présenter en lecture directe.

Quelles informations faire figurer en annexe ?

De même, l’information pertinente relative aux impacts de Covid-19 doit figurer dans l’annexe des comptes et des situations intermédiaires. Cette information doit être complète, sans biais, reflétant fidèlement la situation et permettant une analyse des impacts bruts et nets (détaillant répartitions, estimations et incertitudes éventuelles).

L’approche peut être ciblée, exprimant les principaux impacts pertinents ou d’ensemble, détaillant les effets, interactions et incidences de l’événement sur les agrégats usuels. En tout état de cause, il sera important d’en livrer les impacts bruts et nets.

Il peut être utile pour certaines entités, qui n’ont qu’une obligation de publication de comptes annuels, d’établir à titre volontaire des comptes et une situation intermédiaire.

Quelles sont les mesures à prendre en cas d’incertitude significative sur la continuité d’exploitation ?

Soit l’entreprise a un commissaire aux comptes (CAC) et/ou un expert-comptable (EC), soit elle n’a rien de cela.

1er cas de figure : le CAC s’est mis en contact dès le début de la crise avec le chef d’entreprise pour analyser les mesures que celui-ci a mis en œuvre (utilisation des multiples mesures gouvernementales, PGE, chômage partiel, report et/ou réduction de charges sociales et fiscales, remboursement anticipé des crédits d’impôts, etc.).

Si les mesures envisagées ou prises ne permettent pas d’assurer la continuité d’exploitation, le dialogue entre le CAC et le chef d’entreprise conduira à une discussion tripartite avec le tribunal de commerce (procédure d’alerte) pour trouver d’autres solutions comme le mandat ad hoc, la conciliation, la sauvegarde, voire la déclaration de cessation des paiements suivie d’un redressement judiciaire ou d’une liquidation.

Cette phase de discussion préalable avec le CAC est la procédure d’alerte avec une « phase 0 » d’écoute bienveillante.

2nd cas de figure : l’entreprise n’a ni commissaire aux comptes, ni expert-comptable. Le dirigeant s’adresse directement au greffe du tribunal de commerce pour bénéficier des mesures d’accompagnement précitées.

Quelles sont les autres informations à diffuser aux actionnaires ?

Toutes les informations relatives aux impacts du Covid-19 figurent au moins dans l’annexe et le rapport de gestion.

De plus, lors de l’assemblée générale d’approbation des comptes, l’entreprise devra communiquer une information la plus actualisée possible.
Plus on avance dans le temps, plus l’information devra être précise et chiffrée. Par exemple, une entreprise ayant arrêté ses comptes le 30 mars 2020 peut, compte tenu des reports octroyés par l’ordonnance gouvernementale, tenir son assemblée générale le 30 septembre au plus tard. Soit la nécessité de mesurer et d’exprimer dans l’annexe 7 semaines de confinement et 4 mois de déconfinement.

 

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