Par Mathilde Hautereau-Boutonnet, Professeure de droit, Aix-Marseille Université, et Sandrine Maljean-Dubois, Directrice de recherche au CNRS, Aix Marseille Université

À l’occasion de la Journée mondiale du climat, le 8 décembre, bilan de la mise en œuvre de l’Accord de Paris, 5 ans après son adoption (12 décembre 2015).

Quel bilan peut-on tirer des cinq premières années de mise en œuvre de l’Accord de Paris à l’échelle globale ? A-t-il tenu ses promesses et permis d’infléchir les trajectoires mondiales d’émissions comme il le prévoyait ?

Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement a souligné tout récemment que, malgré une baisse des émissions de gaz à effet de serre liée à la pandémie de Covid-19 en 2020, le monde continue de se diriger vers une augmentation des températures de plus de 3°C au cours de ce siècle. Mais il considère aussi que l’objectif de limiter l’augmentation des températures nettement en dessous de 2°C, voire 1,5°C, reste atteignable en prenant des mesures fortes et rapides. Il faut dire que ces dernières semaines ont vu, de manière très positive et en forme de pied de nez, le retrait américain de l’Accord de Paris (qui a pris effet le 4 novembre) et dans la foulée l’élection de Joe Biden à la présidence, avec un retour annoncé et un fort réinvestissement des États-Unis dès février prochain. Très positive également, et assez inattendue, la vague d’engagements nationaux et régionaux à une neutralité carbone dès 2050 (Union européenne, Japon, Corée du Sud, Afrique du Sud, sans compter la promesse des États-Unis de Joe Biden, etc.) ou 2060 (Chine). Émanant de la plupart des grands émetteurs, ces engagements sont susceptibles de catalyser l’action des autres États et des entreprises. Mais, pour l’instant, force est de constater que les trajectoires de court terme ne sont pas en cohérence avec cet objectif de plus long terme. Il est visiblement plus difficile de s’engager à l’horizon 2030 – demain – que 2050. La baisse d’environ 7% des émissions en 2020 entraînée par l’arrêt des activités due à la pandémie n’aura, comme on pouvait le craindre, qu’un effet très limité sur nos trajectoires. En revanche, le PNUE souligne que les plans de relance de l’économie post COVID, d’une ampleur sans précédent, représentant 12% du PIB mondial, constituent une opportunité d’infléchir ces dernières à la fois historique et largement manquée. La mise en cohérence à l’échelle de chaque État des trajectoires de court, moyen et long terme avec l’horizon de neutralité carbone qui se dessine devient aujourd’hui l’enjeu principal. Les politiques et actions nationales à 2030 doivent être alignées avec ce nouvel objectif. Le processus multilatéral, dans et hors des COP, peut favoriser l’émulation, de même que les mouvements d’acteurs privés, mais finalement c’est peut-être les dispositions adoptées en droit national qui joueront un rôle déterminant, et ce sous le contrôle croissant des juges à qui va incomber la tâche de « réconcilier » les trajectoires et horizons divergents.

La solution se trouverait donc dans les ordres nationaux ?

D’emblée il est vrai que cela va de soi puisque l’État est destinataire des obligations issues de l’Accord de Paris. Les lois et autres réglementations ne manquent pas. L’on sait que la loi du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat a pour objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40% entre 1990 et 2030 et d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 en divisant les émissions de gaz à effet de serre par un facteur supérieur à six entre 1990 et 2050. À ce sujet, l’article L. 100-4 du code de l’énergie se réfère explicitement à la Convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques et à l’Accord de Paris ! Un « budget carbone » (plafond national des émissions) est prévu pour des périodes de 5 ans et les conditions pour réaliser les objectifs sont définies dans la stratégie bas-carbone. D’importants instruments ont vocation à appliquer ces objectifs et l’on assiste à un empilement de lois qui prévoient des dispositions sectorielles ici ou là en matière de logement, agriculture, consommation, etc. Toutefois, comme l’a rappelé le Haut conseil pour le climat, la France a dépassé son premier budget carbone pour la période 2015-2018 et les politiques menées ne permettront pas d’atteindre les objectifs fixés. En relevant le plafond des émissions du second budget carbone (2019-2023), le décret du 21 avril 2020 relatif aux budgets carbone nationaux et à la stratégie nationale bas-carbone retarde la réalisation des objectifs et les fait lourdement peser sur les deux autres budgets prévus jusqu’en 2033. Des améliorations sont nécessaires, mais les résistances étatiques demeurent ! En attestent les différents couacs politiques relayés dans la presse, à l’instar de l’incertitude qui pèse sur le devenir des propositions issues de la Convention citoyenne sur le climat ou encore de la réduction du tarif d’achat de l’électricité produite par certaines centrales solaires prévue dans le projet de loi de finances pour 2021. Cette dernière décision conduirait à priver la filière photovoltaïque des moyens nécessaires à l’atteinte des objectifs de la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie que l’État a fixés et qui sont destinés notamment à lutter contre le réchauffement climatique !

L’État a-t-il encore une marge de manœuvre ?

Bien sûr, à lui de penser les instruments permettant d’atteindre les objectifs ! Mais l’on voit bien qu’il est de plus en plus « contraint », pris au piège de ses propres engagements autant que ceux pris dans le cadre de l’Union européenne. Il est d’ailleurs appelé sur ce point à tenir compte des évolutions attendues du côté du droit de l’Union européenne auquel, dans cette lutte, le droit français doit se conformer. Il faut dire que, malgré les baisses d’émissions constatées, l’Union européenne n’est pas, elle non plus, sur la trajectoire lui permettant de remplir les objectifs de l’Accord de Paris ! Si l’Union s’est accordée sur l’objectif de neutralité carbone pour 2050, reste à savoir ce qu’il en sera de sa concrétisation dans la « loi européenne sur le climat » actuellement en discussion. Et l’on sait bien aussi que c’est du côté du juge que pourrait venir la contrainte. Tandis que le Conseil d’État a enjoint le 19 novembre dernier à l’État de lui fournir, dans les trois mois, les justifications lui permettant de juger si le refus de prendre des mesures supplémentaires est compatible avec le respect de la trajectoire issue du décret d’avril précité pour atteindre l’objectif de réduction de 2030, la Cour européenne des droits de l’homme, ce 30 novembre, a notifié à 33 pays l’action portée par des jeunes portugais leur reprochant leur manque d’ambition en matière de lutte contre le changement climatique. On le voit, la contrainte pourrait bien venir de différentes directions, ordres juridiques et juridictions…