En août 2019, Le Wall Street Journal a révélé que le président des Etats-Unis, Donald Trump, était intéressé par le territoire du Groenland. La Première ministre du Danemark, Mette Frederiksen, a répondu que le pays était « prêt à faire des affaires, pas à vendre ».

Décryptage par Géraldine Giraudeau, Professeure de droit à l’Université de Perpignan.

 « L’île semble bien engagée dans un processus d’indépendance mais les questions économiques pèsent dans la balance »

Quel est le statut du Groenland ?

Au sein de l’ordre constitutionnel danois, le Groenland est un territoire autonome avec un statut particulier, comme les Iles Féroé. Il est en conséquence doté d’institutions spécifiques et de compétences propres, dans presque tous les domaines non régaliens, y compris sur la régulation de l’exploitation des ressources. Il dispose également de compétences internationales étendues. L’accord sur l’autonomie du Groenland du 21 juin 2009, remplaçant l’ancien statut de 1979, prévoit par exemple que le Naalakersuisut – le Gouvernement du Groenland – peut être autorisé par le ministère danois des Affaires étrangères à mener des négociations internationales directes et à conclure des accords internationaux revêtant un intérêt particulier pour l’île, avec des restrictions toutefois en matière de sécurité et de défense. Le Groenland est également membre à part entière de plusieurs organisations internationales, parfois indépendamment de la qualité de membre du Danemark dans la même organisation, par exemple au sein du Conseil nordique. Au sein de l’Union européenne, il relève de la catégorie des pays et territoires d’outre-mer (PTOM), depuis son retrait en 1982, et ses relations avec l’Organisation sont spécialement prévues dans le Protocole n°34 annexé au TFUE (traité sur le fonctionnement de l’Union européenne).

En comparaison avec d’autres entités autonomes dans le monde, le statut de l’île constitue un des exemples les plus poussés de transferts de compétences. Même si le parallèle a ses limites, la situation du Groenland n’est pas sans faire penser à celle de la Nouvelle-Calédonie au regard du cadre constitutionnel français, aux confins de l’autonomie au sein de l’État unitaire. D’ailleurs, si le Groenland, territoire colonisé par le Danemark au 18ème siècle, n’apparait plus sur la liste des territoires non autonomes de l’ONU – il en a été effacé en 1953 -, le statut de 2009 rappelle dans son introduction que le « partenariat » établi entre le Danemark et le Groenland repose sur le respect du droit du peuple groenlandais à disposer de lui-même.

L’île et ses habitants semblent bien engagés dans un processus d’indépendance, dont il est difficile de prévoir l’issue. Celle-ci a longtemps semblé toute proche, surtout après le référendum de 2008 (75% des suffrages en faveur d’une autonomie renforcée). Les modalités en sont explicitement prévues dans l’accord de 2009. Néanmoins, les questions économiques, d’un côté comme de l’autre, pèsent lourd dans la balance. De ce point de vue, les velléités américaines pourraient s’immiscer dans les débats de politique interne, entre les ennemis et les défenseurs de l’indépendance du Groenland.

Pourquoi Donald Trump convoite-t-il le Groenland ?

Le Groenland est un immense territoire – 2 166 086 km2 groenlandais (environ 4 fois la France) -, avec potentiellement de très importantes ressources naturelles, et avec une position géographique particulière. Le droit international reconnait des compétences souveraines, principalement liées à l’exploration et à l’exploitation des ressources, sur les espaces maritimes entourant l’île (jusqu’à 200 milles marins pour la zone économique exclusive (ZEE)). De plus, le Danemark a déposé deux demandes d’extension du plateau continental auprès de la Commission spécialisée des Nations unies, et s’est ainsi déjà positionné, grâce au Groenland, dans la course à l’emprise sur l’Arctique. Les autres États riverains du Pôle y voient à la fois des perspectives en termes de minerais et d’hydrocarbures, mais aussi de contrôle sur de nouvelles routes maritimes ouvertes par la fonte des glaces.

Les estimations de puits de pétrole non découverts dans la région du Groenland sont impressionnantes (plusieurs dizaines de milliards de barils de gaz et de pétrole). Il reste que l’exploitation de ces ressources nécessite des infrastructures appropriées et implique un coût très important. Aussi, bien que des permis aient déjà été concédés, les exploitations ne sont pas vraiment opérationnelles. On sait les États-Unis désireux de ne pas se faire devancer par la Chine dans le déploiement des investissements nécessaires.

D’autres motifs d’intérêt ont pu être invoqués, comme les bénéfices potentiels liés à la pêche et au tourisme. N’oublions pas non plus que la densité exceptionnellement réduite du Groenland (moins de 56 000 habitants et 0,03 hab./km2), s’explique en grande partie par la présence de la glace et la dureté du climat. L’évolution des températures au niveau planétaire pourrait considérablement modifier la superficie des terres habitables et exploitables.

Enfin, notons que l’intérêt des États-Unis pour le Groenland n’est pas nouveau. Des ambitions d’achat avaient déjà été exprimées par Truman en 1946, et des troupes américaines sont aujourd’hui encore présentes sur le territoire, sur la base militaire de Thulé, sur le fondement d’un accord bilatéral avec le Danemark.

Cet achat serait-il possible en droit international ? Comment ?

Le droit international n’interdit pas l’achat de territoires. Ainsi, plus largement, les territoires peuvent faire l’objet de cessions – soit sous forme de ventes avec une contrepartie, soit sous forme de dons-, ou même de baux.

L’histoire américaine montre à quel point les États-Unis sont familiers de cette approche mercantile du territoire : achat de la Louisiane à la France en 1803, achat de l’Alaska à la Russie en 1867, bail sur Guantanamo en 1903, bail sur l’île principale des Chagos, Diego Garcia, en 1966 (dans ce cas en violation du droit de la décolonisation comme récemment rappelé par la Cour internationale de justice (CIJ))… Bien sûr, une telle transaction suppose l’accord des deux parties.

Dans le cas spécifique du Groenland, au regard de la situation actuelle, il faudrait à la fois l’accord de ce dernier et du Danemark, conditions qui ne semblent pas être réunies. Le statut de 2009 reconnait le droit à l’autodétermination du peuple groenlandais, qui devrait en conséquence être consulté. Si on se projette dans le futur, on peut imaginer d’autres scénarii, comme celui d’une indépendance du Groenland suivie d’un accord d’association avec les États-Unis.

Pour aller plus loin :

Par Géraldine Giraudeau.