Par Sophie Hocquet-Berg – Professeur des universités – Avocat au barreau de Metz
Le 3 février dernier, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a de nouveau condamné la France en ce qui concerne l’application dans le temps du dispositif d’indemnisation (i) des enfants atteints d’un handicap non décelé en raison d’une erreur de diagnostic et (ii) de leurs parents (CEDH, 5e sect., n° 66328/14, N. M. et a. c. France).

La CEDH a considéré que l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles issu de la loi du 4 mars 2002, qui refuse l’indemnisation d’un enfant handicapé du fait de sa naissance et qui réduit considérablement les possibilités pour les parents d’un enfant atteint d’un handicap non décelé avant la naissance d’obtenir réparation de leurs préjudices par ricochet, ne pouvait pas s’appliquer aux enfants nés avant le 4 mars 2002. Peu importe à cet égard que l’action en réparation ait été intentée après le 4 mars 2002.

Quelle est la difficulté juridique qu’a eu à connaitre la CEDH dans cette affaire ?

L’article 1er de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 a été adopté pour condamner la jurisprudence « Perruche » de la Cour de cassation qui, par un arrêt rendu en assemblée plénière le 17 novembre 2000, avait reconnu le caractère indemnisable du préjudice résultant du fait d’être né atteint d’un lourd handicap. Ce texte, désormais codifié à l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles fait non seulement obstacle à ce qu’un enfant handicapé puisse obtenir réparation du fait de sa naissance mais, de façon plus inattendue, réduit considérablement les possibilités pour les parents d’un enfant atteint d’un handicap non décelé avant la naissance d’obtenir réparation de leurs préjudices par ricochet. Le droit à réparation de ces derniers est, d’une part, subordonné à l’existence d’une faute caractérisée et, d’autre part, « ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap ».

D’importantes difficultés sont nées au sujet de l’application dans le temps du nouveau dispositif « anti-Perruche » et c’est le sujet dont la CEDH était saisie dans l’affaire en cause. En effet, la loi du 4 mars 2002 avait prévu qu’il serait applicable à « toutes les instances en cours ». Dans deux décisions rendues le 6 octobre 2005 dans les affaires Draon et Maurice, la CEDH a condamné la France en considérant que cette application immédiate aux affaires en cours portait une atteinte injustifiée à l’article 1er du protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH, gde ch., 6 oct. 2005, n° 11810/03 et 1513/03). Le Conseil Constitutionnel a ensuite abrogé les dispositions condamnées par la CEDH dans une décision rendue sur QPC le 11 juin 2010 (Cons. const., 11 juin 2010, n° 2010-2 QPC). Il a alors fallu déterminer la portée de cette abrogation aux actions en cours.

C’est là qu’est apparue une divergence entre la Cour de cassation et le Conseil d’État. Selon la Cour de cassation, les droits à réparation de l’enfant et de ses parents étaient acquis à la naissance, de sorte que même introduites après l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, ses nouvelles dispositions n’étaient pas applicables à leur action indemnitaire (Cass. 1re civ., 8 juillet 2008, n° 07-12.159, publié au bulletin). En revanche, le Conseil d’État a jugé que toutes les actions introduites après la loi du 4 mars 2002 sont soumises à la loi « anti-Perruche », sans considération de la date de naissance de l’enfant (CE, 13 mai 2011, n° 329290, publié au recueil Lebon).

Quel est le problème précis posé dans l’affaire soumise à la CEDH ?

Dans cette affaire, l’enfant atteint avec un lourd handicap non décelé avant la naissance est né le 30 décembre 2001, soit avant l’entrée en vigueur de la loi « anti-Perruche ». Ses parents ont introduit une action en réparation devant le tribunal administratif d’Amiens le 16 septembre 2002 à l’encontre du centre hospitalier de Senlis. Au terme de la procédure, le Conseil d’État a annulé l’arrêt de la cour administratif d’appel de Douai qui avait indemnisé l’enfant et ses parents après avoir écarté l’application de la loi du 4 mars 2002 au cas d’espèce.

En se fondant essentiellement sur les intentions du législateur, le Conseil d’État a considéré que la loi « anti-Perruche » leur était applicable, de sorte que l’indemnisation devait être limitée au seul préjudice moral des parents (CE, 6 décembre 2002, n° 251167, publié au recueil Lebon). L’affaire a été ainsi soumise à l’appréciation de la Cour européenne des droits de l’homme devant laquelle cette famille a en fait invoqué une violation de l’article 1er du protocole additionnel et des articles 6 § 1er et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Dans quelle mesure le droit français devra-t-il évoluer à sa suite et quelles pourraient être les conséquences, d’un point de vue pratique, de cette solution de la CEDH (notamment pour les parents d’un enfant handicapé et cet enfant après une erreur de diagnostic) ?

 Malheureusement, aucune évolution du droit français ne peut être espérée de cette décision. En effet, la CEDH n’a pas été convaincue par les arguments tirés de la violation des articles 6 § 1er et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cela signifie que l’enjeu du litige est limité à la question de l’application dans le temps de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles issu de la loi du 4 mars 2002.

Seules les demandes indemnitaires d’enfants nés atteints d’un handicap non décelé avant la naissance avant le 5 mars 2002 sont donc concernées. Cela peut être le cas de familles, sans doute peu nombreuses, qui n’ont pas encore saisi un juge. Pour les autres, même en cas de faute caractérisée à l’origine d’une erreur de diagnostic du professionnel de santé ou d’une interversion des résultats par le laboratoire d’analyses médicales, aucune indemnisation de l’enfant handicapé ne peut plus être obtenue.

Les parents qui ont la lourde charge de cet enfant, ne peuvent être indemnisés que de leur seul préjudice qui, selon les termes de la loi, « ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap ».

La voie de la réparation est donc très étroite même si certains juges du fond tentent une approche plus extensive en permettant aux parents d’être indemnisés de leurs préjudices professionnels (V. cependant CAA Lyon, 30 novembre 2021, n° 20LY00977 : Resp. civ. et assur. 2022, comm. 48, note S. Hocquet-Berg).