Depuis le 4 décembre, les parlementaires britanniques débattent du projet d’accord et de déclaration politique sur la relation future auxquels sont parvenus les négociateurs européens et britanniques. Cette procédure inédite dans le cadre de l’adoption d’un traité justifie de rappeler les modalités du vote et ses issues parmi lesquelles la tenue d’un référendum n’est pas à écarter (totalement).

Décryptage par Aurélien Antoine, professeur de droit à l’Université Jean-Monnet Saint-Etienne et Directeur de l’Observatoire du Brexit.

«  Le Parlement peut soutenir une loi qui organiserait un référendum à la suite du rejet du projet d’accord »

Quelles seront les modalités du vote prévu à la Chambre des Communes le 11 décembre prochain ?

Cinq jours de débats de 8 h chacun sont mobilisés en vue du vote final le mardi 11 décembre (il n’y aura pas de discussions le 7 décembre). Ce scrutin, désigné par l’expression « meaningful vote » (vote significatif), doit permettre à la seule Chambre des Communes de rendre une décision sur le projet d’accord de retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. Le vote est inscrit dans la loi de retrait de l’Union européenne de juin 2018 (EU (Withdrawal) Act 2018) à la section 13 dont nous rappelons les dispositions pertinentes :

« (1) (b) L’accord de retrait négocié et le cadre de la future relation doivent être approuvés par une résolution de la Chambre des Communes fondée sur une motion déposée par le ministre compétent. » Si la motion n’est pas adoptée, « (4) Le ministre doit, dans un délai de 21 jours suivant le rejet de la Chambre des Communes, produire une déclaration indiquant comment le Gouvernement entend procéder pour poursuivre les négociations en vue du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne en application de l’article 50, 2, du Traité sur l’Union européenne. » Les Communes se prononceront alors dans les 7 jours suivants la déclaration du Gouvernement.

Aucun amendement ne sera adopté avant le 11 décembre. Ce jour-là, six amendements maximums, sélectionnés par le Speaker, seront débattus, et ce, avant le vote final sur la motion. Ce dernier point a fait l’objet de nombreuses discussions. Le Gouvernement y était hostile et juge toujours que ces amendements pourraient conduire à ce que la résolution des Communes ne soit plus conforme à la loi de 2018.

Dès le premier jour de débat, le Gouvernement a connu trois défaites préliminaires dont la plus importante a été l’adoption par une majorité de 18 parlementaires d’une motion considérant que le Gouvernement a commis un outrage au Parlement en refusant de communiquer aux Communes le contenu de l’analyse juridique du projet d’accord. Cette expertise, divulguée le 5 décembre en fin de matinée, reconnaît explicitement que le Royaume-Uni aurait sans doute les plus grandes difficultés à sortir du désormais célèbre backstop. Cet avis est une épine dans le pied de la Première ministre qui peinera à convaincre les brexiteers les plus durs à rallier son panache.

Autre donnée à prendre en compte : les récentes conclusions de l’avocat général de la Cour de Justice à propos d’une question préjudicielle portant sur la possibilité pour le Royaume-Uni de revenir unilatéralement sur la procédure qu’il a enclenchée. Campos Sánchez-Bordona a considéré que l’État à l’origine de la notification de la décision de retrait avait la possibilité de renverser le processus de son propre fait, sans l’accord des États membres. Il ne s’agit que de la position de l’avocat général et non celle de la Cour. Il n’en demeure pas moins que si cette possibilité était retenue, le Parlement pourrait faire échec au Brexit avant la date fatidique du 29 mars 2019. Politiquement, cette extrémité est toutefois peu probable puisque cela reviendrait à renverser le référendum du 23 juin 2016. En outre, l’avis de l’avocat général pourrait favoriser indirectement Theresa May et le projet d’accord. En effet, l’hypothèse d’une réversibilité unilatérale du Brexit autorisée par le Parlement britannique pourrait effrayer les brexiteers qui, pour l’écarter définitivement, finiraient par appuyer la position de Theresa May.

Quelles sont les issues possibles du meaningful vote ?

La situation la plus simple est la suivante : le Gouvernement remporte le meaningful vote. Le processus de ratification poursuit son cours. Le Brexit est acquis et se fera sur la base du projet d’accord conclu au mois de novembre.

Si le gouvernement perd le meaningful vote, Theresa May peut tenter de présenter une nouvelle stratégie dans le délai imparti de 21 jours précité : remettre en cause le filet de sécurité, chercher à s’aligner sur le modèle norvégien, ou obtenir un prolongement de la durée de négociations selon les conditions fixées par l’article 50 TUE.

Elle pourrait aussi demander à la Chambre de s’auto dissoudre en vertu du Fixed Term Parliaments Act. Une majorité des deux tiers de MPs est nécessaire à la dissolution. Jeremy Corbyn étant favorable à des élections anticipées, cette éventualité n’est pas à exclure et demeure plus probable qu’un référendum à court terme. Il reste que l’horloge tourne et que l’organisation de ces élections est à haut risque (elles se tiendraient au plus tôt fin janvier). En outre, les conservateurs, au plus bas dans les sondages, pourraient ne pas soutenir une telle solution.

Très affaiblie par l’échec du meaningful vote, Theresa May pourrait enfin démissionner, soit de son propre chef, soit à la suite d’un vote de défiance émanant des membres de son propre parti. Là encore, ce résultat potentiel n’est pas de la fiction. Dans ce cas, le parti conservateur lui trouvera un remplaçant ou, en cas d’adoption d’un vote de défiance proposé par l’Opposition cette fois à la Chambre, un Gouvernement de coalition approuvant un Brexit doux pourrait être constitué. L’incapacité de former une nouvelle équipe ministérielle entraînerait la dissolution de la Chambre.

Notons que le Parlement peut amender le meaningful vote en fixant un nouveau cap comme la poursuite des négociations vers un Brexit plus dur ou plus doux. La question se pose de savoir dans quelle mesure un tel amendement lierait le Gouvernement, et si le Conseil européen accepterait un énième round de pourparlers.

Un nouveau référendum est-il envisageable ?

Le Parlement peut soutenir une loi qui organiserait un référendum à la suite du rejet du projet d’accord. Malgré des opinions plus nombreuses exprimées en faveur d’une seconde consultation populaire, Jeremy Corbyn ne s’y est toujours pas complètement rallié (il préfère des élections anticipées) et une partie non négligeable des conservateurs, dont les membres du Gouvernement, y est opposée. L’adoption d’une telle loi, même en urgence, prendra du temps, tout comme le déroulement de la campagne. Le résultat est aussi incertain. Parvenir à renverser la situation grâce à un référendum avant le 29 mars 2019 semble périlleux.

Par Aurélien Antoine