Le 12 mars dernier, le parlement britannique a rejeté une deuxième fois l’accord négocié par Theresa May avec Bruxelles. Quelques jours plus tard, les députés ont approuvé une motion autorisant le report du Brexit au 30 juin. La Commission européenne a rappelé que toute prolongation prévue à l’article 50 du traité sur l’Union européenne (TFUE) exigeait l’accord unanime des 27 membres de l’UE qui aura lieu les 21 et 22 mars.

Décryptage par Aurélien Antoine, professeur de droit à l’Université Jean-Monnet/Saint-Etienne, directeur de l’observatoire du Brexit.

« En suggérant de différer le Brexit, les Européens élargiraient le champ des possibles : le déroulement d’un second référendum redeviendrait temporellement envisageable, tout comme celle d’élections anticipées »

Les députés ont approuvé une motion autorisant le report du Brexit. Quels sont les scénarios possibles ?

La motion adoptée par les membres de la Chambre des Communes (MPs) jeudi 14 mars avait été déposée par le Gouvernement. Son énoncé précis était le suivant :

« La Chambre des Communes,

(1) prenant note des résolutions des 12 et 13 mars, convient subséquemment que le Gouvernement cherchera à s’accorder avec l’Union européenne afin d’assurer le prolongement de la période stipulée à l’article 50, 3 du TUE ;

(2) consent à ce que, si la Chambre adopte une motion approuvant l’accord négocié et la déclaration politique sur la future relation entre les deux parties (…), le Gouvernement cherche à obtenir un accord avec l’Union européenne pour une extension exceptionnelle de la durée stipulée à l’article 50, 3 qui prendra fin le 30 juin 2019 afin que soit adoptée la législation nécessaire à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ;

(3) constate que, si la Chambre rejette la motion approuvant l’accord négocié et la déclaration politique sur la future relation entre les deux parties (…) au 20 mars 2019, il est fort probable que le Conseil européen (…) exige un motif précis à tout prolongement et en fixe surtout son étendue, et que toute extension au-delà du 30 juin devrait conduire à ce que le Royaume-Uni organise les élections au Parlement européen en mai 2019. »

À la lecture du texte, deux scénarios sont déjà envisagés : soit un report technique jusqu’au 30 juin, nécessaire à la ratification et à la transposition de l’accord en droit interne selon les modalités de la loi de retrait de l’Union européenne (UE) de juin 2018 ; soit une prorogation plus longue, indispensable à l’élaboration d’une alternative au deal que Theresa May a conclu avec la task force dirigée par Michel Barnier en novembre. Le choix suggéré par la motion implique que le Gouvernement demande aux MPs de se prononcer une troisième fois sur le projet de traité et la déclaration politique sur les relations futures (meaningful vote). La Première ministre pourrait se refuser à le faire dans l’immédiat si elle considère que cet énième MV n’a aucune chance d’aboutir.

De surcroît, la motion ne donne aucune précision quant aux autres solutions qui pourraient être mises sur la table en cas d’extension des négociations au-delà du 30 juin 2019. Rien n’est indiqué non plus quant à la durée du prolongement souhaité. Ainsi qu’en dispose le texte, tout dépend de ce que voudra bien consentir le Conseil européen au Royaume-Uni. À cet égard, une troisième hypothèse doit être évoquée : celle d’un refus de l’Union européenne d’accéder aux demandes des Britanniques aux fins d’obtenir l’application de la dérogation de l’article 50, 3 du TUE.

Quelles sont les probabilités d’un rejet de l’UE d’une prolongation et quelles en seraient les conséquences ?

Avant de répondre directement à cette interrogation, il importe de rappeler que l’article 50, 3 exige que les 27 États membres consentent unanimement à l’extension temporelle. Certains États comme la Pologne ou même les Pays-Bas et la France ont affiché, au mieux, de la lassitude ou, au pire, un véritable agacement face aux tergiversations des Britanniques. Des pays comme l’Espagne pourraient aussi vouloir tirer avantage de la situation afin d’obtenir des concessions sur des sujets sensibles comme le régime juridique applicable à Gibraltar.

En outre, du côté des institutions de l’Union, une prorogation de l’échéance du Brexit ne sera envisageable que si la demande est dûment motivée. La raison technique susmentionnée devrait suffire le cas échéant. En revanche, il y a moins de certitudes dans la seconde hypothèse, c’est-à-dire un renvoi à un plus long terme dans la mesure où il impliquerait des complications notables.

Néanmoins, il est fort peu probable que le report du Brexit soit refusé au Gouvernement britannique. La principale explication vient du fait que l’UE, en adressant une fin de non-recevoir à Theresa May, provoquerait un no deal. Or les dirigeants européens n’endosseraient pas une telle responsabilité. Ils seraient accusés d’avoir conduit au rétablissement d’une frontière entre les deux Irlande et d’avoir affaibli l’économie de l’UE, tout en permettant au Gouvernement britannique de sortir par le haut de cette crise. Une autre considération joue : Donald Tusk n’est pas loin de penser que le Royaume-Uni pourrait, in fine, ne pas s’exclure de l’Union européenne. En suggérant de différer le Brexit à deux ans par exemple, les Européens élargiraient le champ des possibles : le déroulement d’un second référendum redeviendrait temporellement envisageable, tout comme celle d’élections anticipées qui pourraient rebattre les cartes à Westminster. Ces deux horizons sont incontestablement des motifs sérieux à un recul de la date du Brexit à un an et demi ou deux. Cependant, ce calcul politique n’est pas sans danger.

Si un report au-delà du 30 juin était approuvé, quels en seraient les effets ?

L’organisation d’élections européennes auxquelles les citoyens britanniques participeraient s’imposerait sans doute en vertu de la motion votée le 14 mars. Exclure les Britanniques de telles élections alors que leur pays est encore un État membre serait non conforme aux traités et exposerait les textes européens adoptés selon la nouvelle configuration institutionnelle à de multiples recours juridictionnels. Si cette solution était toutefois envisagée, elle nécessiterait la conclusion d’un protocole auquel les 27 adhéreraient unanimement (à l’instar de l’idée de transformer les députés britanniques en cours de mandat en « observateurs » parlementaires).

Parmi les autres issues concevables, un report du scrutin au Royaume-Uni à la mi-juin est mentionné, à la condition que l’Union européenne l’accepte. Quelques experts ont évoqué la possibilité que le Parlement britannique puisse aussi procéder à la nomination pour une durée déterminée de députés européens ou à l’extension du mandat des actuels membres du Parlement afin d’éviter les élections. De telles échappatoires ne sont pas de nature à écarter la critique qui consiste à souligner que, dans ces circonstances, les citoyens britanniques seraient privés de leur droit de participer aux élections européennes et d’être représentés. Selon nous, ces arrangements impliqueraient d’amender les traités.

Si l’extension au-delà du 30 juin se confirmait, les règles (Britanniques comme européennes) applicables à ces élections ou déterminant le cadre juridique post-Brexit devront être rapidement modifiées pour tenir compte de la nouvelle échéance. Ainsi, la « réallocation » des sièges britanniques décidée en février 2018 devra être repoussée à une date ultérieure. Côté britannique, la loi de retrait de l’UE de juin 2018 devra être revue.

C’est enfin au niveau politique qu’un prolongement au-delà du 30 juin suscite le scepticisme. En l’absence d’une alternative aux textes de novembre 2018 qui serait soutenue par Westminster, le report n’est le gage d’aucune assurance. Pire, il renforcerait encore un peu plus les incertitudes. La promesse d’un nouveau référendum ou d’élections anticipées, aux résultats imprédictibles, mènerait aux mêmes écueils qu’à l’heure actuelle, d’autant qu’une majorité de députés britanniques y est pour l’instant clairement hostile. Finalement, quelle que soit la date de la prorogation retenue, elle n’écartera pas totalement les risques d’un no deal si aucune alternative crédible n’est apportée à l’accord conclu en novembre 2018.

Pour aller plus loin :

 

Par Aurélien Antoine