Le Mercredi 22 janvier, les députés britanniques ont largement approuvé le texte négocié par Boris Johnson, Premier Ministre du Royaume-Uni, implantant le Brexit dans la loi nationale. Après plus de trois ans de négociations intenses et d’échéances repoussées, le pays devrait donc bien sortir de l’Union européenne le 1er février 2020.

Ce vendredi, les présidents de la Commission européenne et du Conseil européen ont également signé l’accord.

Décryptage par Aurélien Antoine, Professeur de droit à l’Université Jean-Monnet/Saint-Etienne, Directeur de l’observatoire du Brexit.

« Soit les Britanniques continuent de s’aligner substantiellement sur les normes européennes ; soit il faudra se contenter d’un accord très général, proche des règles de l’OMC »

Que va-t-il se produire concrètement le 31 janvier 2020 ?

La date du 31 janvier à 24 h sera marquante à un double titre. En premier lieu, le Royaume-Uni deviendra un État tiers par rapport à l’Union européenne. Les conséquences en seront d’abord institutionnelles. Par exemple, les députés britanniques qui avaient été élus lors du scrutin européen du 23 mai 2019 ne siégeront plus au Parlement. Leurs sièges seront redistribués entre les États membres selon les modalités précisées dans la décision du Conseil européen du 28 juin 2018.

Cette réaffectation ne sera pas sans conséquence. Certains États en ressortiront mieux représentés (en particulier la France et l’Espagne avec cinq députés supplémentaires respectivement) tandis que certains groupes parlementaires seront renforcés. Le parti « Identité et Démocratie », plutôt classé à l’extrême droite, deviendra la troisième force politique de l’assemblée, devant les Verts qui perdront sept sièges.

On se souvient également que la Commission avait lancé à la fin du mois de novembre une procédure en manquement contre le Royaume-Uni qui n’avait pas nommé de commissaire après le troisième report du Brexit[1]. Avec le départ effectif au 1er février, le Gouvernement britannique ne sera plus lié par cette obligation et la procédure n’aura plus lieu d’être.

En second lieu, le 1er février marque le début de la période de transition. Si, institutionnellement, le Royaume-Uni sera bien un État tiers, les règles qui lui seront applicables jusqu’au 31 décembre 2020 seront identiques à celle des États membres. Concrètement, cela implique le maintien du statu quo pour les citoyens européens résidant au Royaume-Uni et pour les Britanniques installés dans l’un des États membres. De même, les conditions des échanges ne seront pas affectées durant ces onze mois. Bien évidemment, les clauses d’opt out dont les Britanniques ont bénéficié lorsqu’ils appartenaient à l’Union européenne continueront de s’imposer.

Le début de la phase transitionnelle marquera le point de départ officieux des négociations relatives à la conclusion d’un accord global et de conventions plus sectorielles (pêche, énergie, transport ou sécurité). Les discussions ont en réalité commencé depuis longtemps, y compris lorsque l’accord de sortie n’était pas encore finalisé.

À quoi faut-il s’attendre quant à la nature de la future relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne ?

Il est assez difficile de prédire quels seront les résultats des quelques mois d’intenses négociations qui s’ouvriront le 1er février. Boris Johnson souhaite à tout prix qu’elles ne se prolongent pas au-delà du 31 décembre 2020. Quant à l’Union européenne, elle devra veiller à ce que ses intérêts soient préservés. La task-force cherchera à garantir au maximum le statut des citoyens européens après la transition et tentera d’empêcher que le Royaume-Uni ne puisse concurrencer de façon déloyale l’Union européenne par une politique sociale et fiscale agressive. L’accord qui sera conclu ne devra pas conduire à une espèce de « moins disant » en matière environnementale, sociale et sanitaire. Les risques qui avaient été soulevés à l’occasion de l’élaboration d’autres traités de libre-échange (avec le Canada et le Mercosur, par exemple) devront être anticipés. De surcroît, le fameux « level playing field » (ou conditions équitables) partagé par les deux parties dans les textes du 17 octobre 2019 a été revu à la baisse par rapport à ce qui avait été obtenu en novembre 2018. Le contenu de la loi de transposition de l’accord de sortie en droit interne adoptée par le Parlement britannique le 22 janvier n’est pas de nature à rassurer sur les intentions du Gouvernement. Elle révèle en filigrane que Boris Johnson souhaite sans doute que le résultat des négociations soit vague afin de laisser aux autorités nationales la plus grande marge de manœuvre possible dans les domaines mentionnés. Les commissions du Parlement qui travaillent en ce moment sur l’accord de sortie et la déclaration politique fixant les grandes orientations de la relation future ont formulé des avis qui retranscrivent des craintes légitimes[2].

Finalement, le cadre temporel restrictif de la transition permet, au mieux, d’envisager deux options. Soit les Britanniques continuent de s’aligner substantiellement sur les normes européennes ; soit il faudra se contenter d’un accord très général, proche des règles de l’Organisation mondiale du commerce. C’est bien sûr cette seconde option qui prévaut pour l’instant au regard de la position de Boris Johnson et de la loi de transposition. Même dans ce cas, plusieurs fonctionnaires de Bruxelles ont émis des doutes quant à la capacité de fixer en seulement 48 semaines les multiples régimes juridiques applicables aux différents secteurs économiques.

 

Un no deal est-il encore possible ?

L’intransigeance dont fait preuve Boris Johnson sur le refus de tout prolongement de la transition a été traduite dans la loi de transposition de l’accord de retrait. Il sera toujours loisible au législateur britannique de revenir dessus, mais ce cadre juridique laisse entendre que le Premier ministre préférera l’absence d’accord global à un report sine die d’un Brexit effectif. Deux motifs expliquent sa position. Il craint que cette seconde phase ne favorise des manœuvres dilatoires de ceux qui pensent, au Royaume-Uni comme à Bruxelles, qu’un retour en arrière est possible. Ensuite, il veut rapidement tourner la page du Brexit pour lancer les réformes qu’il a annoncées. Ces préoccupations font fi des contraintes du droit de l’Union européenne en matière de ratification d’accords commerciaux et sectoriels.

Le traité de libre-échange entre l’UE et le Royaume-Uni à venir emportera non seulement des conséquences sur l’exercice des compétences propres de l’UE, mais aussi sur celles des États membres qui devront y consentir chacun pour leur part selon leurs arrangements constitutionnels. La procédure à double détente applicable à ce type d’accord mixte (au niveau de l’UE, puis des 27) pourra difficilement être achevée dans le laps de temps imparti. Si les négociations patinent et que, le 1er juillet, aucun report n’a été acté par la commission paritaire instituée par l’accord de sortie, le « no deal » commercial sera difficilement surmontable.

Pour aller plus loin :

DÉCISION (UE) 2018/937 DU CONSEIL EUROPÉEN du 28 juin 2018 fixant la composition du Parlement européen

Par Aurélien Antoine.

[1] Voir Commission européenne, communiqué de presse, « La Commission européenne lance une procédure d’infraction à l’encontre du Royaume-Uni pour avoir manqué à son obligation de nommer un candidat au poste de Commissaire européen, 19 novembre 2019.

[2] Voir les Avis de la Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire, du 21 janvier et de la Commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs du 17 décembre.