Theresa May, qui défendait l’accord sur le Brexit devant le Parlement britannique les 15 et 16 janvier a connu une cuisante défaite. En effet, l’accord sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne a été massivement rejeté.

Décryptage de la situation outre-Manche par Aurélien Antoine, professeur de droit à l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne et Directeur de l’Observatoire du Brexit.

« Si le no deal survenait, il aurait des répercussions économiques majeures par l’insécurité juridique qu’il ferait naître »

 En quoi consistent les votes des 15 et 16 janvier à la Chambre des Communes ?

Le premier scrutin (le meaningful vote), était prévu par le EU Withdrawal Act de 2018. Expression de la volonté du Parlement de jouer un rôle de premier plan dans le processus du Brexit, le meaningful vote devait valider ou rejeter le projet d’accord auquel étaient parvenus les négociateurs britanniques et européens en novembre 2018. Par 432 voix contre 202, les membres des Communes ont écarté le deal. Cette défaite est inédite dans l’histoire parlementaire britannique. Il faut remonter à 1924 pour trouver un échec équivalent, sous le Gouvernement travailliste minoritaire dirigé par Macdonald. À l’époque, une élection générale avait permis de surmonter la crise et d’assurer le retour d’une majorité stable à la Chambre basse. Face à l’ampleur du naufrage, Theresa May aurait dû présenter sa démission à la Reine. Tel n’a pas été le cas et c’est la raison pour laquelle le leader du parti travailliste, Jeremy Corbyn, a proposé une motion de défiance en application du Fixed-term Parliaments Act de 2011.

Le second vote crucial pour la survie de Theresa May à la tête du Gouvernement s’est donc tenu le 16 janvier au soir. La Première ministre est parvenue à se maintenir à son poste, mais en dépit de la logique institutionnelle. En effet, la débâcle de la veille sur un texte essentiel de sa politique et la motion de défiance soutenue au sein de son propre parti par une centaine de députés conservateurs qui avaient déjà souhaité son départ il y a un mois, auraient laissé penser qu’une majorité de MPs se serait rangée derrière les travaillistes. Tel ne fut pas le cas. Cette issue est dommageable, car elle affaiblit la cohérence constitutionnelle et révèle l’attitude politicienne délétère de quelques MPs, en particulier des hard brexiters du parti conservateur et des unionistes irlandais, et ce, afin de préserver leur place au Parlement.

Quelles sont les suites possibles de ces deux votes parlementaires ?

Les scénarios sont nombreux. Il est difficile d’affirmer lequel d’entre eux se réalisera. Deux hypothèses principales sont évoquées dont la seconde se décline en de multiples sous-hypothèses :

Theresa May finit par obtenir, à la date butoir du 21 janvier, une majorité en faveur de l’accord, éventuellement avec des concessions de l’Union européenne. Il s’agit de la perspective la plus optimiste. L’Union a néanmoins rappelé qu’elle n’amenderait pas un accord pour le rendre plus favorable aux Britanniques. Le « filet de sécurité » censé prévenir le rétablissement d’une frontière dure entre les deux Irlande ne saurait être remis en cause.

Theresa May ne parvient pas à susciter l’adhésion d’une majorité de MPs à son projet. Le no deal pourrait alors s’imposer de facto au 29 mars, bien qu’il soit rejeté par une large majorité de parlementaires. Pour l’éviter, les députés devront se résoudre à demander à la Première ministre de prolonger la durée des négociations en application de l’article 50, 3 du TUE. Cette perspective est la seule crédible si le Gouvernement s’engage finalement dans la voie d’un accord plus intégrateur (comme l’adhésion à l’Espace Économique Européen), si des élections anticipées se dessinent ou si un nouveau référendum est organisé (dans ces deux derniers cas, le résultat est incertain et risqué). Rappelons que la mise en œuvre de l’article 50, 3 doit être acceptée par les 27 États membres. Ils ne feront cet effort que s’ils ont la garantie d’une sortie de la crise. Seconde précision : aucune des solutions mentionnées (EEE, élections anticipées ou second référendum) n’avait le soutien d’une majorité de MPs au soir du 16 janvier. Une ultime échappatoire – dangereuse politiquement – serait que le Parlement décidé de révoquer unilatéralement le Brexit.

 Qu’en est-il d’un no deal et de ses conséquences ?

Le no deal est concevable, mais il n’est pas inéluctable. S’il survenait, il aurait des répercussions économiques majeures par l’insécurité juridique qu’il ferait naître. Toutefois, des amortisseurs existent. En premier lieu, la loi de retrait de l’Union européenne de 2018 maintient en droit britannique l’ensemble des règles européennes adoptées avant le 29 mars. À titre d’illustration, ceci signifie que les normes sanitaires et environnementales issues de l’Union européenne continueront de s’appliquer.

Nous pouvons penser que le Royaume-Uni ne modifiera pas ces législations tant que des accords commerciaux sectoriels n’auront pas été conclus.

Dans le même esprit, le Gouvernement britannique a aussi régulièrement soutenu que la situation des citoyens européens résidant au Royaume-Uni ne serait pas immédiatement altérée en cas de no deal. En deuxième lieu, dans le champ des droits de douane, une loi a également été votée pour déterminer le régime juridique de certaines taxes comme la TVA (sect. 42 du Taxation (Cross-border Trade) Act 2018). Or plusieurs principes du droit de l’Union en ce domaine continueront d’avoir des implications en droit interne, y compris après le 29 mars. Le Royaume-Uni s’est également engagé à adhérer à la convention de transit commun permettant de transporter des marchandises en suspension des droits de douanes et de taxes (les formalités sont réglées à destination des biens et non pas à l’entrée du pays pour éviter les blocages à la frontière). En troisième lieu, l’UE et les États membres, par de nombreuses recommandations ou l’adoption de textes, envisagent de « geler » des situations juridiques (notamment celles des résidents britanniques sur le sol européen) ou de soumettre à des procédures spécifiques telle ou telle structure pour assurer la continuité de leur activité.

Sur le fondement de la réciprocité, l’Union européenne a d’ailleurs rappelé que les États membres doivent tout faire pour faciliter la préservation des situations acquises (plan d’action de la Commission publié le 19 décembre 2018). Le Portugal a, par exemple, prévu un accès rapide réservé aux voyageurs britanniques au sein de ses aéroports. En quatrième lieu, le Royaume-Uni et l’UE pourront s’appuyer sur les règles de l’OMC. Il est à noter que les Britanniques ont ainsi obtenu en novembre 2018 que les règles de l’Accord de 2012 sur les Marchés Publics s’imposeraient après le Brexit. En dernier lieu, en cas de no deal, le projet du 13 novembre 2018 formera indéniablement une base utile pour traiter promptement des sujets qui ne suscitent pas de résistances entre les deux partenaires. Les propos d’Édouard Philippe lors de la présentation de la stratégie de la France face au risque d’un no deal résument bien la philosophie commune aux Britannique et Européens : « faire en sorte qu’il n’y ait pas d’interruption de droits et que les droits de nos concitoyens ou de nos entreprises soient effectivement protégés. »

Par Aurélien Antoine