Les débats sur l’utilisation et sur la commercialisation de produits phytopharmaceutiques contenant du glyphosate s’intensifient dernièrement, en France ainsi qu’au sein de l’Union européenne.

Le mardi 15 janvier dernier, le Tribunal administratif de Lyon a annulé l’autorisation de mise sur le marché du Roundup 360, s’appuyant sur le principe de précaution, le désherbant étant potentiellement cancérigène.

Décryptage par Eve Truilhé-Marengo, Directrice de recherches au CNRS, Directrice adjointe du Centre d’Etudes et de Recherches Internationales et Communautaires et enseignante à l’Université d’Aix-Marseille.

 « Cette annulation, la première du genre en France, ne vaut que pour le Roundup Pro 360 et non pour l’ensemble des produits contenant du glyphosate »

 Quelle est la portée de la décision rendue par le Tribunal administratif de Lyon sur l’utilisation des produits contenant du glyphosate et plus particulièrement le Roundup Pro 360 ?

Le Comité de Recherche et d’information Indépendantes sur le Génie Génétique (CRIIGEN) a saisi la justice en avril 2017 d’un recours en annulation de la décision de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) autorisant la mise sur le marché du Roundup Pro 360, herbicide commercialisé par la société Monsanto et dont la substance active est le glyphosate. Dans son arrêt du 15 janvier 2019, le Tribunal administratif de Lyon a fait droit à cette demande sur le fondement du principe de précaution proclamé à l’article 5 de la Charte de l’environnement.

Conformément au règlement no 1107/2009 du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, le glyphosate fait l’objet d’une décision de mise sur le marché prise à l’échelle de l’Union européenne. La substance active du Roundup a donc été autorisée, après que l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a rendu un avis dans lequel elle considérait que la substance ne constituait pas un danger pour la santé humaine. Et l’on se souvient que l’autorisation a été renouvelée, non sans difficulté, en décembre 2017. Si la substance active est autorisée par un règlement européen, les produits phytopharmaceutiques, tel le Roundup 360, le sont par les Etats membres. C’est donc la décision de l’ANSES qui était attaquée devant le juge administratif.

Comparant les études scientifiques produites par l’ANSES et celle effectuée par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) qui classe le glyphosate comme «probablement cancérigène pour les humains», s’appuyant également sur le fait que de l’aveu même de l’ANSES le glyphosate doit être classé comme « toxique pour les organismes aquatiques » et que selon l’EFSA des effets négatifs sur la reproduction ne peuvent être complètement exclus, le tribunal administratif décide que l’ANSES a commis une erreur d’appréciation au regard du principe de précaution défini par l’article 5 de la Charte en autorisant le produit.

Cette annulation d’autorisation de mise sur le marché pourrait-elle être étendue à l’intégralité des produits contenant du glyphosate ?

Cette annulation, la première prise en France concernant un produit contenant du glyphosate, ne vaut que pour le produit en cause et non pour l’ensemble des produits contenant cette substance. D’autres recours contre d’autres produits déposés devant d’autres juridictions pourraient parfaitement connaître une issue différente. La concentration en glyphosate (41,5 % pour le Roundup 360), peut, en pratique, être déterminante. Tout comme la composition globale du produit et les interactions potentielles entre substances chimiques. Et un appel sera très certainement formé par Monsanto contre cet arrêt rendu en première instance. L’annulation de l’autorisation pourrait finalement être elle-même « annulée » par le Conseil d’Etat. Évoquons tout de même le fait que la haute juridiction a confirmé l’annulation par le Tribunal administratif de Nice de la décision de mise sur le marché de deux pesticides contenant une substance proche des néonicotinoïdes, suspectés d’être mortel pour les abeilles.

La décision du tribunal administratif de Lyon pourrait-elle avoir une influence sur la position de l’Union européenne relative à la commercialisation et l’utilisation du glyphosate ?

Je ne le formulerais pas de cette manière. Il est probable d’abord que le contexte des négociations sur le renouvellement du glyphosate, qui se dérouleront dans 4 ans, soit plus favorable à la prise en compte du principe de précaution. D’autres décisions auront sans doute été prises par des juridictions nationales, françaises mais aussi dans d’autres Etats membres. Il faut aussi compter avec la condamnation de Monsanto par le Tribunal de San Francisco pour ne pas avoir prévenu que l’exposition au Roundup pouvait être cancérigène. Grace aux procédures judiciaires engagées aux États-Unis, on a également appris, dans ce que l’on a appelé les « Monsanto papers » que Monsanto utilisait la technique du « ghostwriting », qui consiste à faire signer leurs propres études scientifiques par des chercheurs internationalement reconnus pour s’assurer de leur admission par les autorités décisionnelles. La question de la fiabilité et de l’indépendance des données produites par les scientifiques est en effet centrale dans ce dossier. Le Tribunal administratif de Lyon dans l’arrêt rendu, se prononce d’ailleurs sur les méthodes utilisées par les experts, leur indépendance ou conflits d’intérêt potentiels, le caractère public ou non des données produites.

Mais avant cela, il n’est pas exclu que la justice européenne elle-même ne se prononce sur la légalité de l’autorisation du glyphosate. Un recours en annulation a en effet été déposé par la région Bruxelles-capitale devant le Tribunal de l’Union européenne contre le règlement renouvelant l’autorisation de mise sur le marché du glyphosate. Si la requête est jugée recevable, le principe de précaution sera sans doute au cœur de la décision du juge de l’Union.

Par Eve Truilhé-Marengo