Par Thierry Bonneau, Agrégé des facultés de droit, Professeur de droit bancaire et financier à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2), Directeur du Master 2 de droit bancaire et financier

Et Catherine Feunteun, Docteur en droit, Avocat à la Cour

Élaborée sur l’égide du Comité de Bâle, la règlementation prudentielle, qui impose aux établissements de crédit, des normes de gestion tel que le ratio de solvabilité, cela afin d’assurer leur stabilité financière, et plus généralement celle du système financier, a fait l’objet d’accords successifs, dits Bâle I (1988), Bâle II (2004) et Bâle III (2010). Adopté en décembre 2010, Bâle III a été finalisé en décembre 2017. Cette finalisation conduit certains à parler de Bâle IV sans que cette terminologie soit unanime.

Ces accords participent de la soft law et ne s’imposent pas aux États. Ils sont toutefois généralement pris en compte, ce qui est le cas du côté de l’Union européenne. Bâle l’a été par la directive 89/647 du 18 décembre 1989, Bâle II par la directive 2006/48 du 14 juin 2006. Bâle III l’a été, malgré les critiques du Parlement européen, par la directive 2013/36 (dite directive CRD IV) et le règlement 575/2013 du 26 juin 2013 (plus couramment appelé règlement CRR), ce dernier ayant été modifié par le règlement 2019/876 du 20 mai 2019 (le règlement CRR2), afin de prendre en compte des normes non initialement introduites dans la législation européenne.

Bâle IV, ou si l’on préfère, Bâle III finalisé, est en cours de prise en compte par les autorités européennes. Le débat fait toutefois rage car cet accord « effraie » les banques. C’est d’ailleurs une partie du titre d’un dossier publié par une revue de la profession bancaire : la Revue Banque. Étant observé que le débat se concentre sur le mécanisme de l’output floor et qu’il y a plusieurs options pour le prendre en considération dans la législation européenne[1].

La prise en compte de Bâle III finalisé peut conduire, selon certains, à accroître le montant fonds propres des établissements de crédit, et donc à nuire à leur activité de crédit. Toutefois, en mai 2021, Monsieur François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France, a contesté l’idée que les nouvelles règles prudentielles affectent la capacité de ces établissements à financer l’économie.

Financement de l’économie versus la stabilité financière ? Sans doute ne doit-on pas être excessif. Le débat mérite toutefois d’être expliqué et compris.

Pourriez-vous nous exposer les axes principaux de « Bâle III finalisé » ?

L’idée à la base de la réglementation prudentielle est d’exiger un montant minimal de fonds propres en couverture des risques encourus par les établissements de crédit, en particulier le risque de crédit lié à la défaillance de ceux auxquels ils ont prêté de l’argent. Le ratio de solvabilité est à l’évidence un ratio phare même si on doit souligner que bien d’autres risques sont pris en compte, tel que le risque de marché, que la réglementation comporte d’autres ratios et qu’elle explique en quoi les fonds propres consistent ainsi que les méthodes qui permettent de les calculer.

L’évolution de cette règlementation est globalement caractérisée par son durcissement. Bâle III a d’ailleurs marqué un important durcissement des exigences prudentielles. Les textes européens de 2013 s’en font l’écho même si tous les durcissements n’ont pas été pris en compte.

Le montant du ratio global de solvabilité n’a pas été grandement modifié. En revanche, la composition des fonds propres a été revue, notamment afin d’éliminer ceux qui n’avaient pas joué le rôle attendu d’eux pendant la crise de 2008. Par ailleurs, le LCR (Liquidity coverage ratio), qui couvre le risque de liquidité, a été introduit dans la réglementation prudentielle européenne.

D’autres réformes ont été introduites par Bale III finalisé. Cet accord comporte les parties suivantes : « Introduction », « Approche standard pour le risqué de crédit », « Approche du risqué de crédit fondée sur les notations internes (IRB) », « Exigences minimales de fonds propres en regard du risqué de CVA », « Exigences minimales de fonds propres en regard du risqué opérationnel », « Plancher sur les actifs pondérés en fonction des risques (« output floor ») », et « Ratio de levier ».

Le mécanisme de l’Output floor, mécanisme plancher applicable au calcul des RWAs (risk weighted assets ; actifs pondérés en fonction des risques), n’est pas nouveau car il a été introduit par Bâle II. Il a été maintenu par Bâle III et pris en compte à l’article 500 du règlement du 26 juin 2013. Étant observé que le § 5 de ce texte permet aux autorités nationales, après consultation de l’EBA, de dispenser certains établissements du respect du plancher prévu par le règlement si certaines conditions sont respectées, ceux-ci devant en particulier satisfaire à toutes les exigences relatives à l’approche notation interne, dite NI.

Il s’agit d’une méthode d’évaluation des actifs fondée sur des paramètres déterminés par l’établissement lui-même. Elle s’oppose à la méthode standard qui conduit à utiliser des systèmes de notation fournis par des organismes externes et/ou la réglementation.

Bâle III finalisé a introduit une exigence de plancher applicable aux RWAs utilisant l’approche NI (The Final Basel III Accord, p. 137). Cette nouvelle exigence n’est pas sans impact car elle accroît le montant des fonds propres à détenir par les établissements de crédit. Étant observé que la question est de savoir si cette nouvelle exigence s’applique uniquement aux règles issues de l’accord de Bâle ou si elle doit être également appliquée aux règles d’origine uniquement européenne.

Cette réforme affaiblit-elle réellement la capacité de financement des banques françaises ?

Il convient, au préalable, de souligner que l’objectif de cette réglementation prudentielle est des plus louable : en protégeant la solvabilité des banques, l’objectif principal est d’éviter la survenance des crises financières comme la crise dite des subprimes de 2008 dont les effets ressentis plus de dix ans après sont évalués à plus de 945 milliards de dollars….

Toutefois, une réforme prudentielle réussie doit concilier deux impératifs : préserver la stabilité financière et protéger la croissance économique (et donc la capacité des banques à financer l’économie). Or, la transposition en droit européen de la réforme de Bâle III finalisé telle qu’elle est actuellement discutée par les institutions européennes ne paraît pas atteindre ce juste équilibre.

Nous pouvons prendre l’exemple du mécanisme de l’output floor. Rappelons, à titre liminaire, que les établissements de crédit et certaines entreprises d’investissement sont tenus de respecter des exigences en fonds propres réglementaires qui sont calculées en pourcentage des actifs pondérés par les risques (risk weighted assets ou « RWAs »). Ces RWAs correspondent au montant de leurs actifs auquel on applique un pourcentage dit de pondération qui reflète les risques auxquels ils sont exposés.

Le calcul de ces RWAs, et plus précisément du pourcentage de pondération, était à l’origine effectué conformément à l’approche dite « standard », c’est-à-dire par rapport à des pourcentages prédéterminés par la réglementation européenne et qui dépendent de la nature de l’actif concerné. Par exemple, dans le cadre d’un prêt bancaire, une garantie émanant de l’État se verra appliquer un pourcentage de pondération plus important (le plus souvent 100%) qu’une garantie émanant d’un particulier (qui sera le plus souvent assortie d’une pondération de 50%) car la réglementation considère que le risque de défaut de l’État est plus faible et donc le risque de crédit aussi, ce qui permettra à la banque de se voir appliquer une exigence en fonds propres plus faible. Cependant, et afin de bénéficier d’une approche plus sur mesure et donc une évaluation plus fine notamment du risque de crédit, des banques ont substitué à cette approche standard une approche basée sur leurs modèles internes d’évaluation du risque (approche dite « interne »).

En réponse à une utilisation croissante de l’approche interne, qui conduit inéluctablement à une baisse des exigences en fonds propres, le Comité de Bâle décida d’instaurer un mécanisme de plancher (mécanisme de « output floor ») qui est applicable au calcul des RWAs afin de limiter l’utilisation de l’approche interne. Plus précisément, en application de cet output floor, le montant des RWAs sur les établissements assujettis doivent retenir pour calculer les exigences minimales de fonds propres qui leur sont applicables, doit être le maximum entre (i) le montant des RWAs calculés selon la méthode interne et (ii) 72,5% du montant des RWAs calculés selon la méthode standard.

La question qui fait actuellement l’objet de débats très nourris au niveau européen, et qui se pose, est de savoir si le mécanisme de l’output floor doit s’appliquer uniquement, et comme le prévoit le Comité de Bâle, aux exigences minimales de fonds propres posées par les Accords de Bâle ou s’il doit également s’appliquer aux exigences de fonds propres supplémentaires imposées par la réglementation européenne. Le Règlement CRR prévoit, en effet, des exigences en fonds propres additionnelles par rapport à celles posées par l’accord de Bâle III.

Appliquer l’output floor à l’ensemble des exigences bâloises et européennes conduirait inéluctablement à une hausse des exigences en fonds propres pour les banques puisqu’elles seraient d’autant plus limitées dans l’utilisation de l’approche interne, approche qui leur permet justement une analyse plus fine (car davantage adaptée à leurs paramètres internes) des risques auxquels elles sont exposées.

Or, face à cette augmentation quantitative effrénée des exigences en fonds propres, et étant donné que ces exigences sont calculées en fonction du montant des crédits octroyés et du profil de risque de l’emprunteur, les banques pourraient être contraintes de diminuer l’octroi des crédits et d’en durcir les conditions d’octroi.

Quel serait, à votre sens, le principal axe d’amélioration à apporter ?

Pour y répondre, une première remarque s’impose : les accords de Bâle ont certes une valeur de soft law (ou droit souple) en ce sens que les États, et l’Union européenne, ont en principe toute latitude pour transposer ces accords dans les droits nationaux. Toutefois en pratique, ces accords sont le plus souvent et en très grande majorité transposés quasi pleinement en droit européen (tel fut le cas de l’accord de Bâle III de décembre 2010 et de sa transposition par le Règlement européen CRR). Ce constat est important car il démontre que le principal axe d’amélioration doit en réalité venir non pas de l’Union européenne mais du Comité de Bâle. Le processus d’élaboration des accords de Bâle doit, à notre sens, être revu avec notamment la nécessité d’études d’impact plus nombreuses et plus détaillées (avec par exemple la réalisation d’une étude relative à l’impact du mécanisme de l’output floor sur la capacité des banques à financer l’économie), ou encore une prise en considération plus importante des potentielles divergences de concurrence au niveau international entre les banques. Tel est, par exemple, le cas de l’output floor qui pénalise fortement les grandes banques européennes qui utilisent en majorité l’approche interne, à la différence des banques américaines qui l’utilisent peu et usent en majeure partie de l’approche standard.

[1] (v. Haut comité juridique de la place de Paris, Rapport sur les modalités d’application du plancher mis en place pour le calcul des actifs pondérés (output floor) dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord Bâle III finalisé en Europe, 9 décembre 2019 ; EBA, Policy advice on the Basel III reforms: output floor, 2 august 2019, EBA-Op-2019-09c

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