Par Anne Levade, Professeur de droit public, Directeur du CIPCEA – Prep ENA Paris I-ENS, Université Paris I Panthéon Sorbonne – École de droit de la Sorbonne, Président de l’Association française de droit constitutionnel

Le 3 septembre 2020, le député Olivier Dassault a présenté une proposition de résolution visant à modifier le règlement de l’Assemblée nationale afin de supprimer le plafond du nombre de questions écrites dont disposent les députés.

Quel est le rôle des questions écrites devant l’Assemblée nationale ?

Les questions écrites sont l’un des mécanismes d’information, d’évaluation et de contrôle dont disposent les députés à l’égard du Gouvernement. C’est d’ailleurs à ce titre qu’elles sont prévues par l’article 135 du règlement de l’Assemblée nationale qui dispose d’emblée que « les députés peuvent poser des questions écrites à un ministre ».
Ce dispositif ne date pas de la Ve République. Il est apparu en 1909, à l’occasion d’une révision du règlement de la Chambre des députés, dans un contexte bien particulier. Les lois constitutionnelles de 1875 prévoyant seulement que « les ministres sont solidairement responsables devant les chambres de la politique générale du Gouvernement », toute interpellation d’un ministre en séance s’apparentait à une mise en cause de responsabilité susceptible de s’achever par le renversement du Gouvernement dans son ensemble. Dès lors, on imagina une procédure particulière permettant à un député d’échanger avec un ministre par une autre voie que l’intervention à la tribune afin de s’informer sur l’activité de l’exécutif, d’obtenir des renseignements utiles pour l’exercice de son mandat ou d’attirer l’attention sur un sujet. Les « questions écrites » étaient nées.

Leur originalité principale tient justement à leur caractère écrit qui les rend atypiques dans le cadre d’une activité parlementaire qui se caractérise par son oralité. Conçues comme une voie parallèle d’information mise en œuvre hors de l’hémicycle et sans débat, elles sont une prérogative individuelle du député qui peut en user très aisément et quasiment sans formalisme.
Largement méconnues du grand public – davantage accoutumé aux « questions au gouvernement » qui sont retransmises en direct et bénéficient d’un puissant relais médiatique – les questions écrites n’en sont pas moins très largement utilisées, au point que l’on a pu considérer qu’elles avaient été victimes de leur succès. En effet, si en 1959 un peu moins de 4 000 seulement avaient été posées, au début des années 2010, elles avoisinaient les 30 000 par an, avec un pic de 32 538 en 2013. Cette inflation a eu pour conséquence un ralentissement de leur traitement, les ministres ne parvenant plus à répondre dans un délai raisonnable, d’autant qu’un dispositif analogue quoique pas rigoureusement identique, est ouvert aux sénateurs. C’est ce qui explique que le mécanisme des questions écrites ait été à plusieurs reprises amendé afin de préserver leur efficacité.

Comment fonctionnent actuellement les questions écrites des députés aux ministres ?

La version actuellement en vigueur de l’article 135 du règlement de l’Assemblée résulte d’une révision introduite par la résolution n° 437 du 28 novembre 2014.
De manière générale, le mécanisme demeure conforme à l’esprit qui a présidé à sa création. Tout député peut poser une question écrite à un ministre, sur n’importe quel objet, dès lors, bien sûr, qu’il relève de la compétence qui est la sienne. Unique précision à cet égard : « les questions qui portent sur la politique générale du Gouvernement sont posées au Premier ministre ». Formellement, l’article 135 précise que ces questions « doivent être sommairement rédigées et se limiter aux éléments strictement indispensables à la compréhension de la question » et ajoute qu’elles « ne doivent contenir aucune imputation d’ordre personnel à l’égard de tiers nommément désignés ».

Sous l’angle procédural, la question est remise par le député qui en est l’auteur au Président de l’Assemblée qui la notifie au Gouvernement. Depuis 2010, le dépôt des questions écrites se fait par voie dématérialisée, permettant leur mise en ligne hebdomadaire sur le site de l’Assemblée. Enfin, questions et réponses sont l’objet d’une publication au Journal Officiel.
Ainsi présenté, le dispositif frappe par sa simplicité.

Toutefois, en pratique, il souffre d’un dysfonctionnement : le non-respect des délais de réponse par les ministres et, dans certains cas, l’absence pure et simple de réponse à la question.
C’est déjà ce qui avait justifié, en 1995, la création des « questions signalées ». L’article 135 le prévoit expressément : au terme du délai prévu pour répondre à une question écrite, « les présidents des groupes ont la faculté de signaler certaines des questions restées sans réponse. Le signalement est mentionné au Journal officiel. Les ministres sont alors tenus de répondre dans un délai de dix jours ».

En 2014, la situation ne s’étant guère améliorée, une nouvelle réforme était engagée visant à « mettre un terme à l’augmentation continue et importante du nombre de question écrites » et améliorer le « taux de réponse » qui avait fortement diminué. En premier lieu, on clarifiait la question des délais, l’article 135 disposant désormais que « Les réponses des ministres doivent être publiées dans les deux mois suivant la publication des questions ». En second lieu, partant du constat d’une « utilisation débridée de la procédure par un petit nombre d’élus », il était décidé « la mise en place d’un plafond de questions ». Aux termes du deuxième alinéa de l’article 135 du règlement, « La Conférence des présidents fixe, avant le début de chaque session ordinaire, le nombre maximal de questions écrites pouvant être posées par chaque député jusqu’au début de la session ordinaire suivante ». Dit autrement, chaque année est déterminé le nombre de questions écrites pouvant être posées par chaque député pour les douze mois suivants.

Quel est l’objectif de la proposition du député Olivier Dassault ?

La proposition de résolution présentée par Olivier Dassault a un objectif simple que son intitulé énonce clairement : « supprimer le plafond du nombre de questions écrites ». Chiffres à l’appui et prenant argument de ce que les questions fussent-elles moins nombreuses – un peu plus de 30 000 depuis 2017 – le taux de réponse n’est que de 70 %, la proposition estime que la réforme de 2014 « ne préservant pas l’efficacité de la procédure et limitant le pouvoir de contrôle » parlementaire, il y a lieu de revenir au statu quo ante en supprimant le deuxième alinéa de l’article 135.