Par Franck Morel, Avocat associé, Flichy Grangé avocats, ancien conseiller social du Premier ministre, auteur de « Durée et aménagement du temps de travail, revue fiduciaire, 9e édition, 2021 »
Un salarié en arrêt maladie continue à engranger des droits aux congés payés pendant son absence. Différents arrêts rendus le 13 septembre dernier par la chambre sociale de la Cour de cassation soulignent ainsi la prééminence de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) et vont même au-delà des exigences qui devraient en découler.

Une jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), en vertu de laquelle le droit à quatre semaines de congés payés annuel (article 7 de la directive européenne 2003/88 du 4 novembre 2003) ne peut être subordonné à une période de travail effectif pour les travailleurs en congés maladie, a établi qu’un salarié malade devait acquérir malgré tout durant sa période de maladie des droits à congés payés. Pour autant, une directive n’a pas d’effet direct dans les litiges entre particuliers privés. L’arrêt maladie en droit national n’était ainsi pas assimilé à du temps de travail effectif pour le calcul du droit à congés payés (Cass. soc., 13 mars 2013, n° 11-22285), sauf en vertu d’une stipulation légale pour un arrêt pour accident du travail ou maladie professionnelle dans la limite d’un an (art. L. 3141-5 du code du travail).

La responsabilité de l‘Etat pour défaut de transposition du droit européen peut cependant être engagée, ce qui a déjà conduit à plusieurs décisions du juge administratif. La Cour de cassation a demandé en vain au législateur de faire évoluer le droit positif pour tenir compte de cette jurisprudence européenne (rapports annuels 2013, 2015, 2018). Aujourd’hui, elle tire les conséquences de ces arrêts mais surtout d’une nouvelle possibilité de conférer un effet direct à des prescriptions de droit européen. Le Traité de l’Union européenne indique que le contenu de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a la même valeur que les traités. Certains droits énoncés dans cette charte peuvent donc avoir un effet direct sur les litiges entre particuliers en cas d’impossibilité d’interpréter une réglementation nationale de manière à assurer sa conformité avec les dispositions d’une directive. Et c’est précisément ce qu’a estimé la CJUE au sujet de l’article 31 qui garantit un droit à un congé annuel payé.

Des arguments contestables

Le juge national en tire donc les conséquences. Dans deux arrêts, il permet à un arrêt maladie ou à un arrêt pour accident du travail ou de maladie professionnelle, sans limite de durée, d’être pris en compte pour le calcul du droit à congés payés, écartant toute prescription légale nationale contraire au droit européen (Cass. soc., 13 septembre 2023, n°22-17.340 et n°22-17.638). Mais il le fait sans se limiter aux quatre semaines prescrites par la directive européenne, alors même que le juge européen avait admis la possibilité de cette différenciation (CJUE, 2012, Dominguez).

Ses arguments sont contestables : puisque la charte ne fixe pas de quantum au droit garanti, on peut la respecter dès lors qu’on garantit un droit à congé payé, sans aller jusqu’aux 5 semaines accordés aux salariés bien portants. Le juge national estime toutefois que faire une différence serait générateur de discrimination à raison de l’état de santé. Mais des différences de rémunération existent déjà de ce fait entre un salarié malade et un bien portant sans que cela encourt ce grief. Etendre le raisonnement issu de la jurisprudence européenne aux cinq semaines mais aussi aux congés conventionnels est faire œuvre prétorienne de manière déraisonnable.

Une réponse pour l’avenir

Cependant, un troisième arrêt de la chambre sociale donne à cette déflagration la portée d’une véritable catastrophe (Cass. soc., 13 septembre 2023, n°22-17.529). La CJUE avait indiqué que tant l’article 31 de la charte précitée que l’article 7 de la directive s’opposaient à une réglementation nationale en vertu de laquelle le droit au congé annuel payé acquis par un travailleur au titre d’une période de référence est prescrit à l’issue d’un délai de trois ans qui commence à courir à la fin de l’année au cours de laquelle ce droit est né, lorsque l’employeur n’a pas effectivement mis le travailleur en mesure d’exercer ce droit. Le juge national en déduit que la prescription ne peut courir à compter de la fin de la période au cours de laquelle les congés auraient pu être pris, que si l’employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement, afin d’assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé payé.  Ce qui, par définition, est impossible pour un salarié malade. Dès lors, le droit à congés payés devient donc en partie imprescriptible de fait !

Mettre en place conventionnellement ou par la loi une période maximale de report de 15 mois comme l’autorise la CJUE peut constituer une réponse pour l’avenir. En revanche, pour le passé, la situation demeure délicate et il est assez dérangeant de constater qu’aucune étude d’impact n’a pu véritablement exister. Si le doyen Huglo mentionne qu’il « croit savoir que beaucoup d’entreprises se conforment déjà au droit de l’Union et ont modifié en ce sens leur logiciel de paie », cette affirmation reste sans autre précision. Ces arrêts le démontrent aisément : une étude d’impact obligatoirement publiée en cas de revirement de jurisprudence est toujours nécessaire. La construction de notre droit social, tant au plan européen qu’au plan national, est le fruit de la jurisprudence lorsque le législateur n’est plus en capacité de faire prévaloir ses orientations politiques.