Par Nicolas Vergnet, maître de conférences à l’Université Paris-Panthéon-Assas
Certaines additions s’avèrent plus salées que d’autres. C’est à cette dure réalité que se sont récemment heurtés les inventeurs du célèbre Big Mac. Après plusieurs années d’enquête pour fraude fiscale, McDonald’s a conclu le 16 juin dernier, avec le parquet national financier (PNF), une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) prévoyant une amende de 508 millions d’euros (à laquelle s’ajoute un règlement d’ensemble avec l’administration fiscale portant la somme totale à 1,245 milliards d’euros) en contrepartie de l’extinction de toute action publique à son encontre.

Le montant déboursé laissera certainement un goût amer à ses débiteurs qui ne sont toutefois pas les premiers à passer à la caisse en échange de l’abandon de poursuites pour fraude fiscale – quelques autres grandes entreprises américaines ayant ouvert la voie au cours des dernières années (Google en 2019, JP Morgan Chase en 2021, etc.). En dépit de sa rentabilité pour les finances publiques, cette justice négociée n’est pas du goût de tous, la vox populi se montrant particulièrement rétive face à des procédures en apparence réservées à quelques « puissants » aux poches suffisamment profondes pour échapper à la justice des hommes.

Reste qu’en l’absence de procès – donc de toute déclaration de culpabilité – l’histoire ne dira pas si véritablement un impôt a été fraudé. Chacun se fera son opinion autour du gigot dominical… ou (pourquoi pas) d’un bon hamburger – raison pour laquelle, en tout état de cause, quelques éclaircissements peuvent s’avérer utiles.

Qu’était-il reproché à McDonald’s dans le cadre de l’enquête pour fraude fiscale menée par le PNF en France ?

 Alors que la crise des subprimes s’abattait sur le monde et que son endiguement engendrait une sollicitation massive des finances publiques de nombreux pays, le géant du fast food entamait une importante mue de sa structure européenne aboutissant à une décrue de sa charge fiscale alors même que son chiffre d’affaires sur le Vieux Continent ne connaissait pas la crise (environ 20% de hausse entre 2008 et 2015).

Pour comprendre cette apparente contradiction, il faut observer que « McDonald’s » signifie peu de choses pour un fiscaliste : derrière ce nom se cache en réalité un groupe composé de centaines de filiales éparpillées dans des dizaines de pays, chacune étant un contribuable distinct, redevable de l’impôt sur les seuls bénéfices qu’il génère à son niveau – c’est-à-dire ses revenus diminués des coûts qu’il supporte. Or, l’écrasante majorité des restaurants aux arches d’or sont exploités par des franchisés : le bénéfice des restaurants de l’Hexagone ne se limite donc pas à une soustraction entre le prix de vente des menus et le coût supporté pour les fabriquer (salaires, produits, etc.) puisqu’à ces coûts s’ajoute celui afférent au droit d’exploiter le concept, le nom commercial, le savoir-faire, etc., actifs incorporels qui sont, pour leur part, détenus par des entités non-française du groupe (donc par d’autres contribuables).

Ces actifs incorporels étaient historiquement la propriété d’une entité américaine de l’entreprise qui facturait leur utilisation par le biais de redevances fixées à 5% du chiffre d’affaires réalisé par les restaurants – le prix d’un menu à 10 euros comportait donc 50 centimes correspondant au prix du concept, de la marque, etc., ce qui est loin d’être incongru lorsque l’on sait qu’on se rend généralement dans ces restaurants précisément en vue d’éviter toute surprise quant au contenu du plateau ou au goût des produits.

La réorganisation de 2009 a donc simplement consisté en un déplacement des actifs incorporels (et des redevances y afférentes) depuis les États-Unis vers une filiale luxembourgeoise… et avec ce transfert un relèvement du tarif qui passa de 5% à 10% du chiffre d’affaires, diminuant d’autant le bénéfice imposable laissé au niveau des restaurants en France.

En quoi le transfert de l’entité détentrice du nom et du savoir-faire McDonald’s au Luxembourg et l’augmentation de la redevance y afférent pouvaient-ils apparaitre comme frauduleux en France ?

À première vue, puisque chaque entité du groupe est, du point de vue fiscal, distincte des autres, l’on pourrait trouver logique que le bénéfice européen de McDonald’s soit majoritairement imposable au Luxembourg puisque c’est bien dans ce pays que sont détenus les actifs à forte valeur ajoutée. Toutefois, c’est dans ce pays également qu’une « magie » a opéré, puisque l’entité luxembourgeoise ayant acquis les droits de franchise les a directement alloués à sa succursale américaine. Sans entrer dans trop de détails, on observera que, du fait de cette allocation, les droits de franchise se sont retrouvés, du point de vue du droit luxembourgeois, exploités outre-Atlantique et les redevances de source française imposables chez l’oncle Sam… qui semblait pour sa part considérer qu’elles bénéficiaient à un contribuable résident du Luxembourg et devaient y supporter l’impôt tant et si bien qu’in fine, ces redevances se retrouvaient taxées ni d’un côté de l’océan, ni de l’autre. S’étant penchée sur cette situation sous l’angle de l’interdiction des aides d’État, la Commission européenne avait toutefois conclu en 2018 que le Luxembourg « n’avait pas fait une application erronée de la convention » signée avec les États-Unis. Dans le cadre de l’enquête du PNF, l’entreprise faisait valoir quant à elle que les profits réalisés au Luxembourg avaient bien été, in fine, imposés aux Etats-Unis et qu’ils étaient imposables au Royaume-Uni depuis 2016 (à la suite d’une nouvelle réorganisation).

Plus problématique a ainsi certainement été, pour les enquêteurs, le passage de 5% à 10% du tarif de la redevance versée par l’entité française au Luxembourg. Ce choix a eu pour effet de « déplacer » davantage des revenus français du groupe vers le Luxembourg… où ils ne supportaient aucune fiscalité (car la martingale sus-évoquée). Concédons qu’il n’est pas en soi proscrit de relever le tarif d’une redevance, pourvu que cela repose sur des éléments objectifs (le savoir-faire a été amélioré, le nom commercial a pris de la valeur, etc.) faute de quoi la situation traduirait un pur et simple transfert artificiel de matière imposable à l’étranger… qui pour sa part pourrait relever de la fraude fiscale. En raison de la signature de cette CJIP par McDonald’s, aucun juge n’aura le loisir de dire ce qu’il en était au cas présent.

 En quoi la CJIP  permet-elle d’échapper au procès pénal ? 

La CJIP a été introduite dans notre droit par la loi « Sapin 2 » de 2016. Elle permet aux entreprises poursuivies au titre de certaines infractions (corruption, blanchiment, fraude fiscale, etc.) d’éviter le procès pénal en contrepartie du paiement d’une amende. Bien qu’elle soit relativement récente en droit français (celle-ci n’est que la 10ème signée par le PNF), son principe s’inspire d’un mécanisme similaire prévu par le droit américain (le « deferred prosecution agreement ») qui autorise les entreprises poursuivies pour des faits de délinquance économique à passer un accord afin d’obtenir l’extinction des poursuites qui pèsent sur elles en échange du règlement de sanctions financières.

Ces transactions font régulièrement l’objet d’une importante couverture médiatique en raison certainement de l’importance des montants en jeu. Pour autant, elles ne sont pas exemptes de reproches, les uns y voyant l’expression d’une justice à deux vitesses (les délinquants de droit commun n’ayant pas accès à de telles possibilités d’évitement du procès alors même que les charges qui pèsent contre eux peuvent être d’une moindre gravité), les autres une réduction préjudiciable du nombre des procédures judiciaires dans le cadre de scandales de société potentiellement importants (ce fut notamment le cas pour la crise des subprimes aux Etats-Unis).

Pour ses défenseurs, la CJIP permet surtout l’expression d’une réponse pénale rapide et significative qui s’exonère de la tenue d’un procès pouvant s’avérer particulièrement long (surtout pour des affaires financières complexes). Les entreprises se voient quant à elles encouragées à coopérer, le passage par la transaction n’exposant que les faits et leur qualification juridique à l’exclusion de toute déclaration de culpabilité, et permettant d’éviter le procès correctionnel et l’inscription éventuelle d’une condamnation au casier judiciaire. Il n’est donc pas étonnant de voir le roi de la restauration rapide trouver quelque vertu à un tout aussi rapide règlement : « un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès », écrivait Balzac.

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