Par Jérôme Peigné, Professeur à l’Université de Paris – Institut Droit et Santé (INSERM U 1145)

Devenu en l’espace de quelques semaines l’un des médicaments les plus connus au monde – mais aussi l’un des plus controversés – l’hydroxychloroquine est la dénomination commune internationale (DCI) d’une spécialité pharmaceutique commercialisée en France sous le nom de marque Plaquenil®.

Son utilisation dans le traitement de la maladie covid-19,  en dehors des indications antirhumatismales prévues par son autorisation de mise sur le marché (AMM), a notamment été préconisée par le professeur Raoult et l’équipe de l’Institut Hospitalo-Universitaire Méditerranée Infection, position relayée par de nombreux acteurs de la vie publique nationale, et même internationale. Au-delà des discussions scientifiques sur lesquelles on se gardera de porter un avis, les questions juridiques concernant ce médicament se sont principalement focalisées sur la liberté de prescription et les restrictions qui lui ont été apportées dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. La déferlante médiatique qui s’est manifestée autour de cette molécule conduit néanmoins à s’interroger sur un autre aspect : la qualification des allégations portées sur l’hydroxychloroquine.

La notion de publicité pharmaceutique : une définition fonctionnelle mais limitée

L’idée d’encadrer l’information faite en matière de médicament procède du constat suivant lequel les professionnels de santé, d’une part, et les consommateurs-patients, d’autre part, se trouvent dans une situation asymétrique par rapport aux laboratoires pharmaceutiques. C’est donc pour protéger la santé publique, mais également pour maîtriser les dépenses de l’assurance maladie, que la promotion relative aux médicaments a fait l’objet d’une réglementation spécifique.

C’est la directive 92/28/CEE du 31 mars 1992 (actuellement codifiée sous les articles 86 à 100 de la directive 2001/83/CE du 6 novembre 2001 modifiée) qui a établi une définition de la promotion pharmaceutique. Transposée sous l’article L. 5122-1 du Code de la santé publique, cette définition conçoit la publicité en faveur des médicaments comme toute forme d’information « qui vise à promouvoir la prescription, la délivrance, la vente ou la consommation de ces médicaments ».

A partir du moment où elle répond à cette définition, l’information relative à un médicament doit respecter plusieurs conditions de licéité et se voit soumise à un régime de police administrative : elle doit faire l’objet d’une autorisation préalable (appelée « visa de publicité »), délivrée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Cette autorisation obéit à un régime différent selon que le message publicitaire s’adresse au public (autorisation expresse) ou aux professionnels de santé (autorisation implicite), la méconnaissance de ces règles étant passible de sanctions pénale et administrative (art. L. 5422-6 et L. 5422-18 CSP).

La conception qui sous-tend la définition repose sur une approche fonctionnelle suivant laquelle l’information est dépendante de la communication qui en est faite, à savoir qu’elle implique une relation bilatérale entre un émetteur et un récepteur, selon un schéma de type cause à effet (déclencher l’acte de prescription, de dispensation ou de consommation du récepteur).

Dans ce contexte, le critère de l’intention promotionnelle devient décisif pour distinguer l’information de la publicité, en tout cas prépondérant par rapport à la qualité de l’émetteur. Même si initialement le droit de la publicité pharmaceutique a été imaginé pour encadrer la promotion faite par les laboratoires pharmaceutiques, le développement de la société de l’information a conduit la Cour de justice à statuer sur la nature des messages véhiculés par des tiers sur des sites internet. Elle a ainsi jugé que la diffusion par un journaliste d’informations relatives à un médicament, notamment à ses propriétés bénéfiques pour lutter contre des maladies, peut être considérée comme de la publicité, même lorsque ce tiers agit de sa propre initiative et de manière totalement indépendante de l’entreprise commercialisant le médicament (CJCE 2 avril 2009, aff. C-421/07). A l’inverse, la Cour de justice a précisé dans quelle mesure les informations présentées sur le site internet d’un laboratoire pharmaceutique pouvaient ne pas être regardées comme de la publicité (CJUE 5 mai 2011, aff. C-316/09).

Reste qu’en l’absence de définition de ce qu’est une information non promotionnelle, il revient aux juridictions nationales d’établir des critères permettant de distinguer l’information de la publicité.

La distinction de la publicité et de l’information : un critère jurisprudentiel manichéen et dépassé ?

Pour savoir si un message ou un discours portant sur un médicament est une information ou une publicité, le juge judiciaire français a établi un critère qui, pour relativement ancien et manichéen qu’il soit, reste applicable. Lorsque le contenu du message est positif, c’est-à-dire qu’il vante les propriétés d’un médicament, il s’agit d’une publicité puisqu’il est de nature à inciter sa prescription ou sa consommation (Cass. com., 13 janv. 1971, n° 69-14114). En revanche, lorsque le contenu du message est négatif, mettant par exemple en garde le public sur les dangers ou l’inefficacité du produit, il s’agit d’une information (CA Paris, 20 déc. 1974).

La diffusion d’informations critiques trouve une limite dans le préjudice qu’elle est susceptible de causer à l’exploitant du médicament. Même en l’absence d’une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation d’une information de nature à jeter le discrédit sur un médicament peut constituer un acte de dénigrement et engager la responsabilité civile de son auteur. La Cour de cassation a toutefois estimé que lorsque l’information en cause se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, cette divulgation relève du droit à la liberté d’expression, garanti par les stipulations de l’article 10 de la CESDH, et ne saurait, dès lors, être regardée comme fautive, sous réserve qu’elle soit exprimée avec mesure (Cass. civ. 1re, 11 juill. 2018, n° 17-21457).

Critiquer un médicament, dans les limites ainsi énoncées, relève donc du droit à l’information. En vanter les mérites et inciter à sa prescription constitue une publicité qui, si elle s’adresse au public, devrait en principe faire l’objet d’un visa de publicité (art. L. 5122-8 CSP).

Au regard de ces éléments, il semble finalement assez facile de qualifier les allégations des contempteurs et des laudateurs de l’hydroxychloroquine : mettre le public en garde contre l’efficacité et les effets indésirables de ce médicament est une information, alors que faire la promotion de sa prescription est une publicité.
Force est de reconnaître, toutefois, que la saturation médiatique qui a accompagné la crise sanitaire liée à la covid-19 n’a fait que révéler l’inadéquation de règles qui ont été élaborées à une époque où les canaux de l’information étaient tubulaires et non pas réticulaires, et où les blogs comme les réseaux sociaux n’existaient pas, le rôle des influenceurs étant alors insignifiant. Mais c’était, il est vrai, le « monde d’avant-hier ».

 

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