Le Parlement devrait examiner d’ici peu le projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable. Le gouvernement réfléchirait à légiférer par ordonnance sur ces propositions issues des États généraux de l’alimentation.

Décryptage par François Collart Dutilleul, Professeur émérite des universités et Membre correspondant de l’Académie d’agriculture de France.

« 30% des agriculteurs ont un revenu moyen de seulement 350€ par mois »

Dans quel contexte s’inscrit la Loi Alimentation ?

Le projet de loi pour « l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable » est l’un des fruits des États généraux de l’alimentation qui ont eu lieu de juillet à décembre 2017. Ces États généraux ont réuni un grand nombre de personnes de tous horizons et donné lieu à 14 ateliers thématiques qui portaient soit sur l’agriculture soit sur l’alimentation.

En réalité, le projet de loi dont la discussion va commencer ne recouvre qu’une faible partie de toutes les propositions issues des États généraux. Cette partie est celle qui correspond en fait aux promesses et suggestions faites par le Président de la République et le gouvernement au cours des discussions des États généraux et en particulier lors du « discours de Rungis » du Président de la République, Emmanuel Macron en octobre 2017.

On observera d’ailleurs que ce qui ressort des États généraux de l’alimentation concerne surtout l’agriculture et secondairement seulement l’alimentation. Il s’agit en réalité de faire évoluer les pratiques commerciales du secteur agroalimentaire afin de mettre fin aux incessantes crises agricoles qui se manifestent presque toutes par des crises des revenus des agriculteurs. On garde en mémoire ce chiffre qui circule de média en média indiquant que 30% des agriculteurs ont un revenu moyen de seulement 350€ par mois, et informant également du nombre important de suicides d’exploitants agricoles.

C’est à cette situation intenable que les États généraux et le projet de loi qui en résulte visent à répondre.

Quelles sont les mesures phares de ce texte ?

Le projet de loi comporte deux types de mesures, les unes concernant essentiellement l’agriculture et les autres visent surtout l’alimentation.

Du côté de l’agriculture, il y a plusieurs mesures dominantes.

La plus emblématique est un retour au droit commun pour les contrats conclus entre les producteurs et l’industrie agroalimentaire ou la grande distribution : la négociation devra être assise sur les conditions générales des vendeurs/producteurs alors que le texte actuel l’assoit sur celles des acheteurs. Il reste que cette inversion suppose que le contrat soit écrit, ce qui n’est obligatoire que pour le commerce de certains produits agricoles et pour des produits livrés en France. Dans bien des cas, le contrat se concluant sans écrit, la négociation imposée par le plus fort demeurera la règle. Et rien n’interdira de prévoir une livraison à la frontière d’un pays voisin.

Le projet prévoit également le relèvement de 10% du seuil de revente à perte. Il s’agit là d’empêcher la grande distribution d’écraser sa marge bénéficiaire sur certains produits, en baissant le plus possible le prix de revente et en imposant aux producteurs de leur vendre leur production en dessous de leur prix de revient. En augmentant le seuil, la grande distribution sera obligée de revendre plus cher. Mais rien ne dit qu’elle achètera plus cher d’autant, c’est-à-dire que les 10% bénéficieront aux producteurs.

D’autres mesures sont prévues, en particulier pour limiter les promotions qui écrasent les prix et conduisent les grands acheteurs à acheter toujours moins cher aux producteurs, et aussi pour dissocier le conseil et la vente de produits phytosanitaires (engrais, pesticides…). Car le cumul du conseil et de la vente peut pousser les fabricants à inciter à l’utilisation des intrants chimiques, ce qui accroît le coût de production pour les agriculteurs et diminue d’autant leur revenu.

En réalité, le projet de loi n’aura d’effets que si les producteurs se regroupent pour être plus forts dans la négociation avec l’industrie et la distribution. Mais reste à savoir si la concentration en agriculture peut se conjuguer avec la diminution de l’emploi des produits chimiques et avec la lutte contre le réchauffement climatique. Rien n’est moins sûr et la preuve est entièrement à faire.

Du côté de l’alimentation, on retrouve des objectifs certes importants, mais insuffisants à constituer une politique de plein exercice pour la sécurité, la souveraineté et la démocratie alimentaire. C’est ainsi que des mesures sont prévues pour renforcer la lutte contre le gaspillage alimentaire et pour permettre d’élever le niveau de qualité de l’alimentation dans la restauration collective. Ce n’est évidemment pas négligeable quand on sait que la restauration collective pèse plus de 17 milliards d’euros par an en France, pour plus de 3 milliards de repas. Mais ce n’est certainement pas à la hauteur des enjeux, en particulier en termes de santé publique quand on connaît les dommages sanitaires pour une part liés à une alimentation inadaptée ou déséquilibrée : diabète, obésité, maladies cardio vasculaires, allergies et intolérances, etc. Le projet de loi manque assurément d’ambition.

Pourquoi le gouvernement choisit-il de légiférer par ordonnances dans ce dossier ?

Les crises agricoles manifestent une assez grande diversité de problèmes auxquels le monde agricole est confronté. Pour certains, le problème vient de l’interdiction annoncée du glyphosate. Pour d’autres, ce sont les distorsions de concurrence venant de l’accord de libre commerce entre l’UE et le Mercosur. Pour d’autres encore, c’est la faiblesse de leurs revenus. Les céréaliers se plaignent de la volatilité des prix internationaux. Les éleveurs sont étranglés par des dettes liées à des investissements surdimensionnés, etc. Comment répondre sereinement à tous ces problèmes ? À la fois il y a une certaine urgence à décider de réformes ambitieuses, et à la fois il est difficile de débattre sereinement quand de nombreuses mesures à prendre sont plutôt techniques (seuil de revente à perte, par ex.).  L’expérience de ces derniers mois montre que les oppositions pèsent peu, ce qui rend possible un passage « en force », y compris contre les députés du parti majoritaire à l’Assemblée nationale qui sont sous la pression du « terrain ». Le pouvoir exécutif se méfie du législateur et préfère garder la main, quitte à supporter des critiques qu’il juge trop faibles pour mettre les réformes en péril.

 

Par François Collart Dutilleul