Par Ludivine Richefeu, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à CY Cergy, Paris Université
Pierre Palmade a été mis en examen pour homicide involontaire et blessures involontaires, après un grave accident de la route survenu le vendredi 10 février 2023 en Seine-et-Marne. Le véhicule qu’il conduisait avait en effet percuté une autre voiture, de face. Outre Pierre Palmade, trois personnes avaient été blessées dans cet accident : un homme de 38 ans, un enfant de 6 ans et une femme de 27 ans, enceinte de 6 mois et demi au moment de l’accident. Malgré son accouchement par césarienne effectué en urgence à la suite de l’accident, le fœtus qu’elle portait est décédé.

Le rapport d’expertise transmis à la juge d’instruction le 8 août dernier peut-il avoir une incidence sur la qualification pénale des infractions retenues à l’encontre de Pierre Palmade ?

Le rapport d’expertise sur les conditions du décès du fœtus était particulièrement attendu, la qualification d’homicide involontaire dépendant de celui-ci. Prévu à l’article 221-6 du Code pénal, l’homicide involontaire est en effet puni dès lors que « la mort d’autrui » a été causée « par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ». Toute la difficulté de cette qualification lors du décès d’un fœtus réside dans le fait de savoir si ce dernier peut être considéré comme « autrui », comme un autre nous-même. Cette question, difficilement tranchée en doctrine, l’est clairement en jurisprudence depuis un arrêt rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 29 juin 2001. Cette dernière rejette en effet la qualification d’homicide involontaire lorsque l’enfant est décédé in utero, c’est-à-dire lorsqu’il n’a pas vécu à la naissance, quand bien même celui-ci était en parfaite santé dans le ventre de sa mère avant l’accident. Dans cet arrêt de principe, elle juge que l’article 221-6 du Code pénal, qui réprime « l’homicide involontaire d’autrui », ne peut être étendu « au cas de l’enfant à naître dont le régime juridique relève de textes particuliers sur l’embryon ou le fœtus ». Cette solution a par la suite été précisée, la chambre criminelle admettant que l’auteur d’un accident de la circulation ayant entraîné la perte du fœtus puisse être poursuivi pour homicide involontaire lorsque l’enfant a vécu durant 1h après l’accouchement de la mère par césarienne, avant de décéder en raison des lésions vitales irréversibles causées par l’accident (crim. 25 juin 2002). Dès lors, deux hypothèses doivent être distinguées, entraînant chacune une solution différente. Soit le fœtus décède in utero à la suite de l’accident : la qualification d’homicide involontaire doit alors être exclue ; soit il naît vivant, respirant et le cœur battant, même quelques minutes, à la suite de l’accident, avant de décéder en raison des conséquences de ce dernier, et cette qualification peut alors être retenue.

Dans l’affaire Palmade, le rapport remis à la juge d’instruction conclut à la mort in utero du bébé porté par la mère victime de l’accident, en précisant que « cette enfant est viable, mais n’est pas vivante à la naissance […] Les quelques battements cardiaques observés vers 16 minutes après la naissance sont insuffisants pour assurer une fonction circulatoire efficace et ne peuvent en aucun cas être considérés comme des signes de vie extra-utérine ». Ce décès in utero fait ainsi obstacle à la qualification d’homicide involontaire.

Pourquoi ne pas reconnaître l’homicide involontaire à l’encontre d’un fœtus ?

Dans les arrêts précédemment cités, la Cour de cassation s’appuie sur le principe de légalité des délits et des peines, et plus précisément sur l’un de ses corollaires, le principe d’interprétation stricte de la loi pénale. Prévu par l’article 111-4 du Code pénal, ce principe interdit au juge, sous prétexte d’interprétation, d’ajouter à la loi, par exemple en qualifiant d’infraction un acte que le législateur n’a pas expressément prévu ni puni. L’interprétation stricte de la loi pénale vise donc à protéger les justiciables contre un risque d’arbitraire du magistrat, mais garantit également la prévisibilité de la loi pénale, condition essentielle à la sécurité juridique et à la démocratie. Toute la question porte dans ce contexte sur l’interprétation à donner au pronom « autrui » – c’est-à-dire à « toute personne autre que soi-même » – retenu par le législateur en matière d’homicide involontaire. Dès lors que la Cour de cassation retient une interprétation juridique en assimilant « autrui » à une personne humaine, le fœtus ne peut faire l’objet de la protection pénale de l’article 221-6.

Une évolution de la loi est-elle souhaitable ?

Le rejet de la qualification d’homicide involontaire sur un fœtus est loin d’être unanimement compris (il a même fait l’objet d’une QPC non transmise au Conseil constitutionnel : crim. 12 juin 2018, n° 17-86.666). L’on peut en effet considérer que la prise en considération juridique de la personne repose moins sur des critères biologiques que sur des critères de politique pénale. Plus de 20 ans après l’arrêt de principe rendu par la Cour de cassation, il serait donc intéressant de réinterroger cette exclusion du fœtus de la qualification d’homicide involontaire. Et cela d’autant plus qu’une telle réflexion ne nécessiterait pas forcément de déterminer le début de la vie, mais plutôt si le droit pénal doit protéger l’enfant à naître et, le cas échéant, le moment à partir duquel il doit établir cette protection. À titre d’exemple, la qualification d’homicide involontaire sur un fœtus pourrait être établie à partir du 6e mois de grossesse (moment où le fœtus a des chances de viabilité en cas d’accouchement prématuré), sans pour autant risquer de remettre en cause le droit à l’interruption volontaire de grossesse. Comme l’a écrit Jean Pradel, « on ne saurait assimiler volonté de la mère et imprudence d’un tiers ».

Une autre évolution législative pourrait consister dans l’ajout d’une circonstance aggravante tenant à l’état de grossesse de la victime au sein des articles 222-19-1 et 222-20-1 du Code pénal, qui punissent les blessures involontaires aggravées commises par le conducteur d’un véhicule. Mais ce serait alors la mère du fœtus que la loi pénale protègerait, et non le fœtus lui-même.