Par Evan Raschel, Professeur à l’Université Clermont Auvergne, Directeur adjoint du Centre Michel de l’Hospital EA 4232

Dans un récit-fiction de plusieurs pages publié par le magazine Valeurs actuelles, Danièle Obono, noire de peau, « expérimente la responsabilité des Africains dans les horreurs de l’esclavage » au XVIIIe siècle. Des dessins de la députée de Paris, collier en fer au cou, comme autrefois les esclaves, accompagnent cette série d’été où des personnalités politiques « voyagent dans les couloirs du temps ».

Quelles suites judiciaires sont en cours et envisageables s’agissant de cette publication litigieuse ?

À la suite de la publication litigieuse, les condamnations ont été unanimes, notamment dans la classe politique – jusqu’au chef de l’État –, y compris parmi des personnes proches des idées défendues par le magazine engagé Valeurs actuelles.

Mais une réprobation morale, aussi large (et justifiée) soit-elle, n’implique pas nécessairement une réprobation pénale. Le principe de légalité criminelle impose de qualifier précisément les faits, au regard des incriminations préexistantes. À cet égard, la publication reprochée à Valeurs actuelles a ceci de particulier qu’elle pourrait correspondre à quelques textes, sans qu’aucun ne s’impose avec une évidence absolue.
La question aurait par exemple pu se poser d’une provocation « à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée », érigée en délit par l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881.

Le procureur de la République de Paris a préféré ouvrir une enquête sur un autre fondement, celui des injures racistes.
Rappelons qu’aux termes de l’article 29, alinéa 2 de la même loi sur la liberté de la presse, « Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure ». La représentation litigieuse peut en effet tout à fait être assimilée à une expression outrageante ou méprisante. Par ailleurs, rappelons également que l’« expression » visée doit s’entendre au sens le plus large, comme visant notamment la publication « des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués » (article 23).

Comment sont punies les injures à caractère raciste ?

Les injures racistes sont des infractions pénales. Comme il vient d’être dit, la première question qui se pose est de déterminer si l’expression a été publique ou non, pour déterminer si l’infraction est un délit ou une contravention (prévue par le Code pénal, il s’agit alors de contraventions de cinquième classe). En l’occurrence, l’expression reprochée à Valeurs actuelles est évidemment publique au sens de l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881.

La répression des injures publiques est prévue par l’article 33 de ladite loi. Alors que l’injure envers des particuliers n’est punie que d’une amende de 12 000 euros, c’est une peine d’emprisonnement d’une année, ainsi qu’une amende rehaussée à 45 000 euros, qui est encourue par l’auteur d’une injure publique « envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». Le tribunal pourra en outre ordonner l’affichage ou la diffusion de la décision prononcée.

Les peines sont donc fortes, du moins si on les compare à la moyenne de celles encourues en matière de presse, où l’emprisonnement est généralement exclu. En pratique, les rares peines d’emprisonnement prononcées le sont souvent pour des injures à caractère raciste (158 des peines d’emprisonnement prononcées sur les 227 recensées en droit de la presse pour la période 2010-2014), mais encore faut-il préciser que de nombreuses peines sont assorties d’un sursis.
Plus accessoirement, la peine d’emprisonnement prévue aura des conséquences procédurales, rendant notamment possible le recours à la garde à vue.

Quelles personnes pourraient être condamnées ?

C’est l’occasion de rappeler le système très original de responsabilité mis en place par la loi de 1881.
En premier lieu, la responsabilité pénale des personnes morales (en l’occurrence, celle possédant le magazine) est inapplicable. S’agissant de la presse écrite et de l’édition, l’article 43-1 de la loi prévoit que «Les dispositions de l’article 121-2 du Code pénal ne sont pas applicables aux infractions pour lesquelles les dispositions des articles 42 ou 43 de la présente loi sont applicables », c’est-à-dire les « crimes et délits commis par la voie de la presse ». Seule la responsabilité civile est envisageable (article 44).

Il convient donc de rechercher en priorité la responsabilité des personnes physiques, en respectant pour cela le mécanisme très original, connu sous le nom de « responsabilité pénale en cascade ». Un ordre est établi (article 42) : les directeurs de publications ou éditeurs sont principalement responsables, c’est-à-dire qu’ils sont considérés comme les auteurs principaux du délit. Ce n’est qu’à défaut d’existence ou d’identification possible de ces personnes que les auteurs de l’article ou du dessin seront poursuivis comme auteurs du délit.

Si le directeur de publication peut être poursuivi, ce qui devrait être ici le cas, le journaliste ne sera poursuivi que comme complice (mais encourra à ce titre les mêmes peines). Les poursuites visant le directeur de publication et le journaliste sont indépendantes : chacun peut être poursuivi seul. L’enquête visera notamment à identifier l’auteur du dessin et du texte, qui utilisait un pseudonyme.

Ce système se justifiait à sa création par l’importance accordée à la décision de publication (« la publication fait le délit », disent encore les spécialistes du droit de la presse). Il est aujourd’hui souvent critiqué, pour sa complexité, mais aussi pour sa logique même : ne faudrait-il pas plutôt considérer l’auteur des propos comme auteur principal, et le directeur de publication, qui donne son accord, comme son complice ?