Le parquet de Paris a annoncé début janvier l’ouverture d’une enquête pour viols sur mineur après la publication d’un ouvrage mettant en cause l’auteur Gabriel Matzneff, à l’origine d’une polémique sur les pratiques de cet écrivain qui n’a jamais caché ses relations avec des personnes mineures. Une association de prévention contre la pédophilie a également annoncé le mercredi 8 janvier 2020 avoir porté plainte pour apologie de crime en délivrant une citation à comparaître à Gabriel Matzneff.

Décryptage de Jacques-Henri Robert, Expert du Club des juristes, Professeur émérite de l’Université Paris II Panthéon-Assas, Directeur de l’Institut de Criminologie de l’Université de Paris II de 1994 à 2008.

« Pour déterminer la date de plus ancien viol sur mineur de quinze ans qui soit susceptible d’être poursuivi, il faut se livrer à des calculs complexes »

Qu’est-ce qu’une citation directe à comparaître ?

Une citation directe à comparaître est une assignation devant le tribunal correctionnel ou le tribunal de police. On l’oppose au renvoi devant ces juridictions prononcé, à l’issue d’une instruction préparatoire, par un juge d’instruction ou, sur appel de son ordonnance, par une chambre de l’instruction.  Elle peut être délivrée par le ministère public ou la personne qui se dit victime d’une infraction.

La citation directe est la forme ordinaire de saisine du tribunal de police, après une enquête préliminaire qui se résume le plus souvent à un ou plusieurs procès-verbaux. Devant le tribunal correctionnel, l’enquête peut avoir été plus longue. La citation directe formée par les victimes est fréquente en matière d’injure et de diffamation.

Comment la loi définit-elle la notion d’apologie du crime?

L’apologie, qui se commet par un moyen de communication publique écrit, audiovisuel ou électronique, ou par des discours, consiste à décrire, présenter ou commenter une infraction en invitant à porter, sur elle, un jugement moral favorable. Elle est comparable à la provocation en ce que les esprits enclins à la délinquance peuvent y trouver des arguments et justifications propres à les aider à passer à l’acte. Mais l’apologie se distingue de la provocation parce qu’elle reste punissable même quand l’écrivain n’a pas désiré le renouvellement des infractions qu’il excuse ou justifie.

Sauf l’apologie du terrorisme qui est un délit de droit commun selon l’article art. 421-2-5 du Code pénal, l’apologie est un délit de presse qui fait encourir un emprisonnement de cinq ans et une amende de 45.000 €, peines prévues par l’article 24 al. 5 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Selon son article 65, l’action publique se prescrit par trois mois, délai beaucoup plus court que celui applicable à la prescription des délits de droit commun et qui est de six ans.

 

Que risque Gabriel Matzneff s’il est poursuivi pour viol sur mineur ? Les faits sont-ils prescrits ?

Le crime de viol sur mineur de quinze ans est puni de vingt ans de réclusion criminelle (art. 222-24, 2° C. pén.). Il se prescrit par trente ans, comptés depuis la majorité de la victime (art. 7 C. proc. pén.). Mais ce délai  n’a été établi que par la loi du 27 février 2017, et son calcul à compter de la majorité de la victime ne date que de la loi du 17 juin 1998. Vanessa Springora avait 47 ans en 2019, donc, née en 1972 elle est devenue majeure en 1990 et, si elle a été victime de viol à 14 ans, les faits remontent à 1986. A cette époque, la prescription n’était que de dix ans et elle était donc acquise en 1996 ; or, selon l’article 50 de la loi de 1998 n’a pas pu anéantir une prescription acquise. Le viol dont il s’agit, s’il a eu lieu, est donc aujourd’hui prescrit.

 Pour déterminer la date de plus ancien viol sur mineur de quinze ans qui soit susceptible d’être poursuivi, à supposer qu’aucun acte de poursuite ou d’instruction n’ait été accompli, il faut se livrer à des calculs complexes : en effet, jusqu’à la loi du 9 mars 2004, le délai était de dix ans, porté à vingt ans par cette loi puis  à trente ans par la loi précitée du 27 février 2017, entrée en vigueur le 1er mars suivant.

Mais la prescription trentenaire ne peut pas être invoquée contre l’accusé si, en 2017, la précédente prescription de vingt ans était déjà acquise : en conséquence, la cohorte des mineurs protégés par la loi du 27 février 2017 se réduit aux personnes devenues majeures après le 28 février 1997. A quoi il faut ajouter une dernière subtilité : si la victime est devenue majeure avant l’entrée en vigueur, le 19 juin 1998, de la loi du 17 juin 1998, la computation du délai à partir de sa majorité suppose que le crime lui-même n’était pas prescrit à cette date, c’est-à-dire qu’il avait été commis après le 18 juin 1988.

Pour aller plus loin :

Par Jacques Henri-Robert