Par Serge Slama – Professeur de droit public à l’Université Grenoble-Alpes – CRJ – Fellow à l’Institut convergences migrations (ICM) – Co-directeur du Master droit des libertés
Suite au meurtre de la petite Lola, dont le corps a été retrouvé dans une malle le 14 octobre 2022, une polémique s’est développée dès lors que la personne mise en examen pour ce meurtre[1], une jeune algérienne de 24 ans, a fait l’objet, lorsqu’elle a été interpellée le 21 août 2022 par la police aux frontières sans titre de séjour, d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), assortie d’un délai de départ volontaire de 30 jours. Cette affaire, instrumentalisée par des personnalités et réseaux d’extrême-droite, qualifiés par le porte-parole du gouvernement de « charognards », est l’occasion de revenir sur les difficultés d’exécution des OQTF…

Quelle était la situation juridique, du point de vue du droit des étrangers, de cette jeune algérienne ?

Selon les informations actuellement disponibles, confirmées par le Garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti devant l’Assemblée le 18 octobre 2022, cette jeune algérienne, Dhabia B. serait entrée légalement en France en 2016 avec un titre de séjour « étudiant ». Elle a donc dû entrer en France munie d’un visa de long séjour et bénéficier d’un certificat de résidence « étudiant » (titre III de l’avenant de l’avenant de l’accord franco-algérien de 1968[2]). A défaut d’inscription ou de progression dans ses études (elle aurait été inscrite en CAP de restauration), son titre de séjour étudiant a dû arriver à péremption ou ne pas être renouvelé.

Quoi qu’il en soit, alors qu’elle souhaitait a priori quitter la France, sans être munie d’un billet, cette jeune algérienne a été interpellée le 21 août 2022 par la Police aux frontières (PAF) d’Orly à l’accès à la zone internationale [3]. Dans la mesure où elle était alors en séjour irrégulier, elle a fait l’objet, de la part d’une préfecture (Val de Marne), probablement sans réel examen de sa situation (v. infra), d’une OQTF qui, dans ce cas de figure, est usuellement assortie d’un délai de départ volontaire (DDV) de 30 jours.

La préfecture ayant délivré l’OQTF était-elle dans l’obligation de lui accorder ce délai de départ volontaire de 30 jours ?

En application de l’article 7 de la directive « retour » du 16 décembre 2008, le droit français prévoit bien qu’en principe l’étranger ou l’étrangère qui fait l’objet d’une OQTF bénéficie d’un délai de départ volontaire de trente jours (CESEDA, article L 612-1). Le délai accordé peut être plus long ou être prolongé d’une « durée appropriée » s’il apparaît « nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas » (par exemple pour permettre à un étudiant étranger d’achever son année universitaire). Une large partie des étrangers faisant l’objet d’une OQTF bénéficient de ce délai de départ volontaire de 30 jours – surtout après un refus de séjour.

Toutefois, en vertu de l’article L 612-2 du CESEDA, le préfet peut refuser d’accorder un délai de départ volontaire pour trois motifs :

(1) le comportement de l’étranger ou de l’étrangère constitue une menace pour l’ordre public ; (2) l’étranger ou l’étrangère s’est vu refuser la délivrance ou le renouvellement de son titre de séjour […] au motif que sa demande était manifestement infondée ou frauduleuse ; (3) il existe un risque que l’étranger ou l’étrangère se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l’objet.

Dans le cas d’espèce, seul le troisième motif (le risque de fuite) aurait pu justifier de ne pas accorder à cette ressortissante algérienne un tel délai de départ volontaire. L’article L 612-3 du CESEDA précise en effet que, « sauf circonstance particulière », ce risque peut être considéré comme établi lorsque « 3° L’étranger s’est maintenu sur le territoire français plus d’un mois après l’expiration de son titre de séjour, […], sans en avoir demandé le renouvellement » (on suppose, sans certitude, que c’est bien le cas ici).

D’après le Garde des Sceaux, lorsqu’elle a été interpellée, Dhabia B. n’avait aucun antécédent judiciaire et elle n’était connue des services de police qu’en tant que victime de violences conjugales. Cette circonstance aurait pu justifier un réexamen de sa situation administrative. En effet, même si les ressortissantes et ressortissants algériens ne sont pas éligibles au titre de séjour « vie privée et familiale » délivré en raison de violences exercées au sein du couple ou par un ancien conjoint ou conjointe (CESEDA, article L 425-6), il est recommandé aux préfets, par voie de circulaire ministérielle, de « tenir compte, parmi d’autres éléments, de la circonstance de violences conjugales, attestée par tout moyen […], pour décider du droit au séjour d’un ressortissant algérien ». Un tel  réexamen se justifiait d’autant plus que cette jeune algérienne apparaît souffrir d’importants troubles psychiatriques. Son état de santé aurait pu constituer un obstacle légal à la mesure d’éloignement et même, s’il y avait un danger imminent, une mesure d’hospitalisation d’office…

En tout état de cause, s’agissant d’une ressortissante algérienne, les perspectives d’éloignement étaient quasi-nulles car les autorités de ce pays délivrent, comme on le sait, très peu de laissez-passer consulaires.

Mais passé le délai de départ volontaire de trente jours cette Algérienne n’aurait-elle pas dû quitter le territoire français ?

Tout dépend si elle a, ou non, contesté l’OQTF devant le tribunal administratif. Devant l’Assemblée, le Garde des Sceaux a indiqué expressément ne pas savoir si elle avait effectivement saisi le tribunal administratif. Si un délai de départ volontaire a été accordé, la mesure ne peut être exécutée d’office durant ce délai (CESEDA, art. L711-1) et l’étranger bénéficie d’un délai de trente jours, à compter de la notification de l’OQTF, pour la contester devant le tribunal administratif (CESEDA, art. L614-4). Ce recours est suspensif et donc la mesure ne peut être exécutée tant que le tribunal n’a pas rendu sa décision (en théorie dans les trois mois mais en région parisienne ce délai est loin d’être tenu).

Si elle n’a pas introduit ce recours, elle aurait effectivement dû quitter le territoire français dans les trente jours. Mais d’une part elle était déjà, depuis plusieurs années, en séjour irrégulier, et dans une situation très précaire[4], conditions de vie qui ont pu favoriser la décompensation psychiatrique, et, d’autre part, on sait que le taux d’exécution des mesures d’éloignement est faible.

Justement, s’agissant du taux d’exécution des OQTF, est-il possible de « faire mieux », comme l’annonce le porte-parole du Gouvernement ?

Depuis plus de trente ans, le taux d’exécution des mesures d’éloignement est un tonneau des Danaïdes de tous les ministres de l’intérieur (de Pasqua à Darmanin)[5]. Le vrai problème est qu’on a une machine préfectorale qui s’est emballée et produit en masse des irréguliers. Ainsi, selon un rapport sénatorial, en 2019[6], sur 122 839 OQTF prononcées, 15 013 ont été exécutées d’office (soit 12,2%)[7]. En outre, environ 8 700 personnes ont quitté le territoire français avec l’aide au retour volontaire[8].

Mais on ignore le nombre total d’étrangers faisant l’objet d’une OQTF qui quittent réellement le territoire ou, à l’inverse, qui bénéficient, après plusieurs années, d’une régularisation.

On peut néanmoins regretter que face à ces statistiques, la seule recette adoptée par tous les gouvernements depuis une vingtaine d’années a été de rendre les procédures d’éloignement de plus en plus dérogatoires et expéditives. Même si elle envisage de reprendre à son compte les propositions du Conseil d’Etat visant à simplifier le contentieux des étrangers, la future loi Darmanin, pour ce qu’on en connaît, n’échappe pas à cette spirale infernale[9].

Pourtant la meilleure façon d’améliorer le taux d’exécution des OQTF serait de… diminuer drastiquement le nombre d’OQTF prononcées – par exemple en conditionnant son édiction à la certitude que l’étranger pourra effectivement être éloigné (notamment par l’obtention préalable d’un laissez-passer consulaire) et en faisant un réel examen préalable de sa situation au regard de tous les motifs qui justifieraient la délivrance d’un titre de séjour (dans l’optique d’un plein contentieux). Mais, plutôt que d’envisager un autre droit des étrangers, on préfère, le plus souvent, livrer le droit des étrangers aux idées des charognards…

[1]  Selon l’AFP, elle a été mise en examen pour « meurtre sur mineure de moins de 15 ans en lien avec un viol commis avec actes de torture et de barbarie et recel de cadavre».

[2] La délivrance des titres de séjour aux ressortissants algériens n’est pas régie par le CESEDA mais par les accords franco-algériens modifiés.

[3] Les associations intervenant en rétention, comme la Cimade, dénoncent de longue date cette pratique absurde de la PAF consistant, lors des contrôles à la sortie du territoire français, à interpeller les étrangers en séjour irrégulier quittant la France pour leur notifier une OQTF, afin de « faire du chiffre ».

[4] La précarité des étudiants étrangers s’est particulièrement accrue durant les deux années de Covid 19.

[5] « Pourquoi les étrangers en situation irrégulière ne sont pas tous expulsés », Libé/ Checknews, 18 octobre 2017.

[6] Compte tenu de l’épidémie SARS-Cov-2 les années 2020 et 2021 ne sont pas statistiquement significatives.

[7] Le ministère de l’intérieur diffuse, sur son site, le nombre de « Mesures exécutées » et « Les éloignements et départs d’étrangers en situation irrégulière » (avec les départs dits « aidés », qui sont en réalité souvent également non spontanés)

[8] OFII, Rapport d’activité 2019, p.94.

[9] « Immigration : « Une nouvelle loi réduira les droits des étrangers », estime Serge Slama, professeur de droit public », 20 minutes, 3 août 2022.

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