L’ancien PDG de Renault-Nissan ne percevra pas d’indemnité de non-concurrence ni sa rémunération en actions.
Le Conseil d’administration de Renault a annoncé le 13 février qu’il renonçait à verser à Carlos Ghosn une indemnité de non-concurrence, correspondant à deux ans de rémunération fixe et variable ainsi que la suppression de sa rémunération en actions pour les années 2015 à 2018.

Décryptage par Véronique Magnier, professeur de droit à l’Université Paris-Sud, directrice de l’Institut Droit Éthique Patrimoine (IDEP)

« Indépendamment des critères de performance, la condition non remplie de présence justifie à elle seule que soit entérinée la perte des droits de Carlos Ghosn »

 

Qu’est-ce qu’une clause de non-concurrence ? Pourquoi ne sera-t-elle pas versée à Carlos Ghosn ?

Les clauses de non-concurrence ont connu une forte recrudescence ces dernières années dans les sociétés cotées et l’affaire Carlos Ghosn en fournit une intéressante illustration. Normalement, la rémunération est la contrepartie d’une prestation effectivement fournie. Pour les dirigeants, cette contrepartie s’évalue différemment selon que la rémunération est constituée d’une partie fixe, d’une rémunération variable, et parfois d’éléments exceptionnels. La pratique a développé des types de rémunérations qui ne sont pas nécessairement la contrepartie stricte d’une prestation définie, comme les « indemnités de départ », mais la loi a fini par les encadrer en posant des critères de performance.

De nature strictement conventionnelle, elle a pour objet de restreindre la liberté d’un salarié, cadre ou autre, d’exercer ses fonctions chez un concurrent. Elle doit être limitée dans l’espace et dans le temps en fonction des intérêts de la société à protéger ; l’employeur doit verser une indemnité pour compenser le préjudice subi par le salarié qui voit sa liberté de travail réduite. Cette contrepartie financière a un caractère automatique et joue à sens unique. Aussi, le salarié y a droit même en cas de licenciement pour faute grave ; l’employeur ne peut pas se prévaloir de la nullité de la clause de non-concurrence pour éviter de la verser. L’on comprend que les dirigeants aient recours à de tels mécanismes dont la quasi-automaticité contraste avec les conditions de performances des indemnités de départ.

Le Conseil d’administration décide des modalités et du montant de la rémunération de ses dirigeants. Au-delà, les pratiques de bonne gouvernance servent de guide lorsqu’il s’agit de verser effectivement les sommes promises. L’article 23 du code AFEP-MEDEF, qui vise l’indemnité de concurrence, préconise qu’elle ne dépasse pas le seuil de deux ans de rémunération fixe et variable. Il incite les Conseils d’administration à se réserver le droit de « renoncer à la mise en œuvre de cet accord lors du départ du dirigeant ». Si typiquement le cas du dirigeant qui fait valoir ses droits à la retraite entre dans ce cadre, aucun motif n’est exigé du Conseil d’administration et l’on peut estimer que sa décision revêt ici un caractère unilatéral. Dans le cas de Carlos Ghosn, c’est sans attendre qu’il ait fait valoir ses droits à la retraite que le Conseil d’administration de Renault a décidé de renoncer à mettre en œuvre la clause de non-concurrence. Les circonstances très particulières dans lesquelles se trouve l’ex-PDG de Renault expliquent sans doute qu’il ait entendu pleinement exercer sa souveraineté dans un souci de bonne gouvernance et pour préserver la réputation du groupe. L’Assemblée générale annuelle ne devrait pas permettre de revenir sur cette décision.

Le conseil d’administration a également décidé de supprimer la rémunération en actions pour les années 2015 à 2018. Pourquoi ? 

La rémunération variable constitue souvent une part importante de la rémunération des dirigeants. Elle fait l’objet d’une information dans le rapport sur le gouvernement d’entreprise qu’une société cotée doit établir chaque année à l’attention des actionnaires et le code AFEP-MEDEF attache une attention toute particulière à la présentation détaillée des règles d’attribution de cette partie variable annuelle : le dirigeant devant avoir contribué à la performance de la société, il est normal que le Conseil d’administration s’assure que les objectifs sont bien atteints avant de les verser. 

Selon le groupe Renault, la rémunération variable différée de Carlos Ghosn se compose  d’une rémunération variable pour les exercices 2014 à 2017 – estimée à hauteur de 4 millions d’euros- et de « plans d’attribution d’actions de performance pour les années 2015 à 2018 » composés de deux types d’actions, des actions gratuites et des actions de performance. Le montant global, estimé à 22 millions d’euros, devait être versé de manière différée quatre ans plus tard, soit en 2019. Renault a ajouté une condition à l’acquisition définitive de ces actions dues au titre de la part variable différée du Président-directeur général, laquelle figure dans le document de référence du groupe : « une condition de présence au sein de la société quatre ans après la date d’attribution des actions« .  Carlos Ghosn ayant démissionné de ses fonctions le 24 janvier 2019 à la suite de son incarcération au Japon en novembre 2018, la condition de présence pourrait ne pas être remplie. Indépendamment de la satisfaction (éventuelle) des critères de performance, la non réalisation de cette condition justifierait à elle seule que soit entérinée la perte des droits de Carlos Ghosn à l’acquisition définitive de ces titres, pour l’année 2019 comme pour l’avenir.Ce serait, en tout, une rémunération totale de 29,6 millions d’euros qui échapperait à Carlos Ghosn.

Carlos Ghosn pourra-t-il faire valoir ses droits à la retraite ?

Sous réserve de l’analyse des conditions de son régime de retraite, l’ancien PDG du groupe Renault, qui aura 65 ans en mars, devrait effectivement pouvoir faire valoir ses droits à la retraite. Ceux-ci devraient être calculés sur la base des quatorze années d’exercice dans le groupe entre 2005 et jusqu’au 24 janvier 2019, date de sa démission. Cette retraite chapeau serait estimée à 765.000 euros au minimum par an. La présomption d’innocence dont bénéficie Carlos Ghosn aujourd’hui ne devrait pas permettre au conseil d’administration du groupe de la lui refuser.

Pour aller plus loin :

Par Véronique Magnier