Par Didier Rebut, Professeur de Droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas, membre du Club des juristes

Le Club des juristes : Mme Éliane Houlette, ancienne Procureure nationale financier (PNF), a déclaré, devant la Commission d’enquête parlementaire sur les obstacles à l’indépendance de la justice, que l’enquête du PNF sur François Fillon avait fait l’objet de nombreuses demandes de remontées d’informations de la part du parquet général. Est-ce normal ?

Didier Rebut : Le procédé des remontées d’informations dans les affaires individuelles est lié à l’organisation hiérarchique du parquet. Cette organisation place les procureurs de la République sous la direction et le contrôle du Procureur général du ressort de leur juridiction. Le procureur de la République financier étant basé à Paris, il est placé sous l’autorité de la Procureure générale de Paris comme le sont également le Procureur de la République de Paris et le Procureur national antiterroriste. Cette subordination hiérarchique confère des prérogatives au Procureur général parmi lesquelles figure la possibilité d’obtenir des informations sur les affaires individuelles suivies par le procureur de la République. C’est ce que l’on appelle les remontées d’informations, lesquelles sont réglementées par une circulaire du 31 janvier 2014. Selon cette circulaire, l’objectif des remontées d’informations est notamment d’informer le Garde des sceaux « sur les procédures présentant une problématique d’ordre sociétal, un enjeu d’ordre public, ayant un retentissement médiatique national ou bien encore qui sont susceptibles de révéler une difficulté juridique ou d’application de la loi pénale ». Les remontées d’informations sont donc à destination du Garde de sceaux.

En l’occurrence, Mme Houlette a déclaré avoir fait l’objet de nombreuses demandes d’informations sur le déroulement de l’enquête visant François Fillon. Ces demandes n’étaient pas, en tant que telles, contraires aux critères des remontées d’informations définis par la circulaire du 31 janvier 2014 compte-tenu du retentissement médiatique national de cette enquête. Mme Houlette ne les conteste pas d’ailleurs sur ce point. C’est leur nombre et leur répétition dont elle s’est plainte, expliquant les avoir ressenties comme des pressions et ajoutant même, selon ses propres mots, qu’« on ne peut que se poser des questions ». Ce sont ces propos qui ont attiré l’attention parce qu’ils laissent entendre que les demandes d’informations du Parquet général auraient été inspirées par des motifs politiques ou, à tout le moins, auraient répondu à des sollicitations du pouvoir exécutif. On ne sait pas cependant si les demandes du Parquet général étaient faites de sa propre initiative ou à la requête de la Chancellerie. Dans tous les cas, elles étaient bien a priori destinées à la Chancellerie, puisque les remontées d’informations ont pour finalité d’informer le Garde des sceaux.

LCJ : L’ancienne Procureure nationale financier a aussi déclaré que la Procureur générale de Paris lui avait demandé de confier l’enquête visant François Fillon à un juge d’instruction. Pouvait-elle lui faire cette demande ?

D.R. : Le procureur général a le droit d’adresser des instructions dans des affaires individuelles au procureur de la République. Ce droit est précisément prévu par l’article 36 du Code de procédure pénale selon lequel « le procureur général peut enjoindre aux procureurs de la République, par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d’engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le procureur général juge opportunes ». Les termes de cet article montrent que le droit du Procureur général donne lieu à des injonctions, c’est-à-dire à de véritables ordres qui s’imposent au Procureur de la République. C’est là-encore une expression de l’organisation hiérarchique du Parquet.

En l’occurrence, la Procureure générale de Paris serait intervenue auprès de la Procureure nationale financier pour lui demander de mettre fin à son enquête et de saisir un juge d’instruction. Cette intervention entre a priori dans le champ d’application de l’article 36 du Code de procédure pénale, puisque l’ouverture d’une information judiciaire et la saisine d’un juge d’instruction s’analysent en procédure pénale comme un acte de mise en mouvement de l’action publique, c’est-à-dire comme un engagement des poursuites. La Procureure générale était donc bien en droit d’adresser une injonction en ce sens à la Procureure nationale financier.

Il convenait cependant que cette injonction fût versée au dossier, ce qui, selon les avocats de M. et Mme Fillon, n’a pas été le cas. Cette absence de versement est en effet contraire à l’article 36 CPP, lequel exige que les injonctions du Procureur général soient versées au dossier. Il est vrai que l’ancienne Procureure nationale financier explique que c’est elle qui a finalement décidé d’ouvrir une information judiciaire. L’explication vise évidemment à justifier l’absence de versement au dossier de la demande de la Procureure générale. Mais les avocats de M. et Mme Fillon peuvent objecter que l’obligation de verser les injonctions du Procureur général n’est pas subordonnée à leur exécution mais à leur délivrance. L’ancienne procureure nationale financier a certes essayé de devancer cette objection en expliquant que la demande de la Procureure générale ne relevait pas d’une injonction mais d’une demande informelle qui n’avait pas à être versée au dossier. Il y aura sans doute un débat sur ce point, étant donné que l’article 36 CPP ne détermine pas la forme des injonctions du Procureur général, de sorte qu’il n’est pas impératif qu’une demande soit formellement qualifiée d’injonction pour qu’elle ait cette nature.

LCJ : Les avocats de M. et Mme Fillon ont fait savoir hier qu’ils avaient demandé au tribunal correctionnel de rouvrir les débats alors que l’audience s’est terminée le 11 mars dernier et que le jugement doit être rendu le 29 juin. Quel est le fondement de cette demande ?

D.R. : Les avocats de M. et Mme Fillon font cette demande en s’appuyant sur l’article 463 du Code de procédure pénale qui autorise le tribunal à ordonner un supplément d’information quand il estime nécessaires des investigations supplémentaires. La jurisprudence admet sur le fondement de cet article que les parties puissent déposer une note en délibéré après la clôture de l’audience pour demander une réouverture des débats afin de discuter contradictoirement d’une nouvelle pièce ou de nouveaux éléments. C’est ce qu’ont fait les avocats de M. et Mme Fillon, lesquels ont déposé une note en délibéré demandant un débat contradictoire sur les éléments qui ressortent des déclarations de Mme Houlette. Ils ont aussi demandé que le tribunal sursoit à statuer jusqu’à ce que le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), qui a été saisi par le Président de la République, rende son avis. Ils considèrent en effet que ces nouveaux éléments confirment les dysfonctionnements procéduraux qu’ils avaient dénoncés, lesquels auraient résidé dans une enquête et une instruction strictement à charge et dans une procédure conduite à une vitesse sans précédent. Ils demandent donc à ce que le tribunal rouvre les débats pour discuter de l’impartialité de la procédure ayant visé M. et Mme Fillon à la lumière des déclarations de Mme Houlette et de l’avis à venir du CSM.

Mais le tribunal apprécie souverainement la suite à donner à une demande de réouverture des débats. Il n’est donc pas tenu de le faire. On peut supposer que les déclarations de l’ancienne Procureure nationale financier seront largement mis en avant devant la Cour d’appel pour remettre en cause la procédure contre M. et Mme Fillon si le tribunal rend son jugement lundi prochain et condamne M. et Mme Fillon.