Incarcéré depuis le lundi 19 novembre 2018, le PDG de Renault a fait l’objet de deux nouvelles inculpations par la justice japonaise pour abus de confiance et pour avoir minoré ses revenus devant la justice japonaise à hauteur de 4 milliards de yens (l’équivalent de 31 millions d’euros), entre 2015 et 2018. Ce n’est pas la première fois que la rémunération de Carlos Ghosn est remise en cause. Déjà en 2010, sa rémunération, qui avoisinait les 7,56 millions d’euros, avait fait polémique.

Décryptage par Michel Storck, Professeur à l’Université de Strasbourg et Thibault de Ravel d’Esclapon, Maître de conférences à l’Université de Strasbourg

« Une partie de la rémunération variable de Carlos Ghosn dépend notamment de critère de performance et de responsabilité sociale de l’entreprise »

Des indemnités d’un montant important sont évoquées dans la presse. Quelles sont les règles qui encadrent le versement d’indemnités et autres rémunérations lors du départ d’un dirigeant ?

Il faut tout d’abord faire observer que ce n’est pas la première fois que le nom de Carlos Ghosn est cité lorsqu’il s’agit d’une question de rémunération d’un dirigeant d’une société cotée. Le dossier est d’autant plus sensible que l’État possède une participation très significative dans cette société emblématique de l’industrie française et parce que l’alliance avec Nissan a été particulièrement vantée. Aussi le ministre de l’Économie veille au grain. À l’époque, la rémunération de son principal dirigeant avait attiré l’attention lorsqu’en avril 2016 les actionnaires de la société Renault avaient désapprouvé la résolution le concernant. Cette procédure d’approbation n’était encore que de la soft law, issue du célèbre code AFEP-MEDEF. Mais le refus du conseil d’administration de suivre le vote de l’assemblée avait quelque peu étonné. Il a conduit à l’adoption d’une disposition de la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016 consacrant le say on pay ex ante (C.com., L. 225-37-2 et L. 225-82-2) – c’est-à-dire sur la rémunération à venir – mais également ex post (C.com., L. 225-100, II) – sur l’attribution de la rémunération passée. Aujourd’hui, et c’est une évolution importante, les actionnaires des grandes sociétés cotées se prononcent sur ce qui est alloué au dirigeant. La modification française est d’ailleurs allée plus loin que ce que prévoit le droit européen (à l’époque de la loi Sapin, la directive du 17 mai 2017 était en cours de discussion) et de légères modifications sont à venir avec le projet de loi PACTE en cours de discussion.

Les indemnités de départ – les fameux golden parachutes – ont toujours attiré l’attention. Leur montant y est certainement pour beaucoup. On apprend récemment d’un cabinet de conseil de vote que Carlos Ghosn pourrait toucher une somme de 30 millions d’euros après son départ de Renault-Nissan (retraite chapeau, actions de performance, clause de non-concurrence, etc.). De manière générale, la politique de rémunérations dans l’alliance commence à faire des débats et la Securities and Exchange Commission américaine (SEC) s’y intéresse. Quoi qu’il en soit, pour ce qui concerne la partie française de la rémunération de Carlos Goshn (la partie relative à son salaire chez Nissan n’est pas soumise au droit français), les choses sont désormais assez simples pour les sociétés cotées. La législation s’est construite au gré des différents scandales, ce qui n’est pas toujours le signe d’une grande cohérence. Principalement, au-delà de dispositions plus éparses (notamment en termes d’information), la réglementation, pour les indemnités de départ, s’oriente dans trois directions (qu’il n’est pas toujours simple de concilier). Tout d’abord, les parachutes dorés et les retraites chapeaux sont soumis à la procédure des conventions réglementées. Ensuite, ces éléments doivent être subordonnés au respect de conditions liées aux performances du bénéficiaire. Mais surtout, en dernier lieu, et depuis la loi Sapin 2, les actionnaires doivent se prononcer avant, par un vote contraignant, sur la rémunération des principaux dirigeants de la société. Mais ils doivent également se prononcer après, c’est-à-dire que l’assemblée doit statuer sur les éléments fixes, variables et exceptionnels composant la rémunération totale et les avantages de toute nature versés ou attribués au titre de l’exercice antérieur.

De quelle marge de manœuvre dispose la société ? Son conseil d’administration ou l’assemblée générale des actionnaires peuvent-ils s’opposer au versement des sommes évoquées ?

Toujours pour ce qui concerne la partie française, la société ne dispose que d’une faible marge de manœuvre, au moins au niveau du conseil d’administration. C’est plutôt à l’assemblée générale que les choses peuvent éventuellement jouer. Ceci étant, le vote ex ante et ex post sur la rémunération de Carlos Ghosn a révélé un résultat positif pour l’assemblée de juin 2018, de sorte que les critères de la rémunération du dirigeant ont été approuvés pour cet exercice. La question se pose plutôt de savoir si la rémunération va être approuvée lors de la prochaine assemblée, notamment pour le vote ex post (le dirigeant n’a été arrêté qu’à la fin de l’année). Une partie de la rémunération variable de Carlos Ghosn dépend notamment de critère de performance et de Responsabilité sociale de l’entreprise (RSE). Pour cette raison, il faudra suivre de près ce que recommanderont les agences en conseil de vote ainsi que la position de l’État français sur ce point qui a déjà indiqué, par la voix de son Ministre de l’Économie qu’il resterait très vigilant.

Quelles peuvent être les conséquences d’une éventuelle condamnation judiciaire d’un dirigeant sur les rémunérations déjà versées comme sur celles qui ont vocation à l’être dans l’avenir ?

Comme nous venons de le rappeler, si celle-ci intervient, elle pourrait exercer une influence sur le vote des actionnaires. Sans doute pourrait-on également considérer que monsieur Ghosn n’a guère été performant en termes de RSE. En revanche, le droit français ne connaît pas encore de clauses de claw back, à la manière anglo-saxonne, c’est-à-dire des clauses de restitution intervenant en cas de malversations. Certaines sociétés l’ont prévue d’elle-même et nombreux sont les pays qui reconnaissent cette pratique (elle s’applique également aux traders, en vertu de la directive CRD IV).

Pour aller plus loin : 

Par Michel Storck et Thibault de Ravel d’Esclapon