Par Charlotte Robbe, bwg associés, et Nicolas Fortassin, Régnier Notaires

Depuis le 16 mars 2020, les déplacements sont réglementés et seuls 5 motifs limitativement énumérés par le décret de la même date peuvent justifier un déplacement, parmi lesquels ne figure pas celui de se rendre chez un notaire.

Par ailleurs, si un déplacement est autorisé vers son lieu d’exercice professionnel, le télétravail est recommandé dès que cela est possible. Les études notariales ont donc dû organiser différemment leur manière de travailler.

Pour poursuivre l’activité, les signatures d’actes ont pu se réaliser au moyen de procurations, d’autant que depuis l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016, une procuration sous seing privé peut être conclue sous forme électronique.

Toutefois, le problème restait entier s’agissant des actes solennels, très nombreux en matière de droit de la famille (donation, donation-partage, contrat de mariage etc). En effet, pour pareils actes, la procuration doit impérativement être authentique et certains actes, comme le PACS, ne peuvent pas être signés par procuration.

La solution est venue d’un texte pragmatique : le décret n°2020-395 du 3 avril 2020 autorisant l’acte notarié à distance pendant la période d’urgence sanitaire.

Concrètement, rien ne change s’agissant du nécessaire travail d’explication et d’échange avec les clients qui permet d’éclairer leur consentement ; l’expression du consentement en face à face avec le notaire demeure également, car il s’agit du principal fondement de l’authenticité de l’acte notarié. En revanche, s’agissant de la dernière formalité, qu’est la signature de l’acte authentique, elle peut se faire à distance, via toutefois des supports techniques agréés par le Conseil supérieur du notariat.

Tout serait donc possible ?

Après quelques semaines d’une pratique nouvelle, voici une étude, non exhaustive, de ce que l’on peut faire avancer à distance ou de ce que la sagesse commande tout de même de plutôt différer.

On peut anticiper, et signer un acte solennel, mais comment ?

La période semble propice à la réflexion, et à la rédaction, quand il s’agit de préparer un prochain événement, un mariage par exemple. Pour la rédaction de son contrat de mariage, on a du temps à consacrer pour échanger, entre époux, avec son notaire et son avocat, afin de construire ensemble un contrat sur-mesure, équilibré, et qui tienne compte de la particularité de chaque couple, protection d’un époux entrepreneur par exemple, ou existence d’un contexte international (cf. Le Club des juristes, 30 avril 2020, Mariage et confinement : convoler, différer, se préparer, par Isabelle Rein-Lescastereyres et Charlotte Robbe, avocates, bwg associés).

De la même manière, on peut mettre à profit ce temps de confinement pour concrétiser tout ce que l’on diffère souvent, par manque de temps ou par déni : la protection de ses proches en cas de disparition. Il est ainsi tout à fait possible de prendre conseil, et de préparer un testament. Pourquoi également, ne pas préparer une donation-partage pour organiser et optimiser la transmission de son patrimoine ?

Le moment permet aussi de réfléchir à l’anticipation de sa propre vulnérabilité, par la rédaction d’un mandat de protection future. En le rédigeant avec ses conseils, il est possible de prévoir des dispositions précises, sur-mesure, pour choisir qui sera la personne en charge de la protection de sa personne et de son patrimoine, définir son champ d’intervention, par exemple en désignant un mandataire au patrimoine, distinct du mandataire à la personne, mais aussi pour donner des directives, des instructions sur des décisions touchant à sa personne (lieu de vie par exemple) ou sur la stratégie à adopter pour la gestion du patrimoine du mandant.

Une fois le travail de réflexion et d’élaboration achevé, la signature peut s’organiser conformément aux dispositions de l’article 1 du décret d’exception n° 2020-395 du 3 avril 2020, paru au journal officiel du 4 avril 2020, validé par Ordonnance du Conseil d’État du 15 avril 2020, n° 439992.

Concrètement, pendant la période de l’état d’urgence sanitaire (à ce jour fixée au 24 mai et probablement prorogée jusqu’au 24 juillet), et jusqu’à 1 mois au-delà (soit à ce jour jusqu’au 24 juin, et jusqu’au 24 août en cas de prorogation de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 24 juillet 2020), les actes peuvent être signés électroniquement par comparution à distance.

Lors d’une cérémonie en visioconférence, le notaire lit l’acte authentique au client et lui fournit toutes les explications sur cet acte. Une fois cette lecture terminée et de manière simultanée (non interruption de la cérémonie), le notaire adresse une attestation de confirmation de consentement au moyen d’un procédé de signature électronique qualifié répondant aux exigences du décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017.

Le client signe l’attestation de confirmation du consentement au moyen de la plateforme électronique.

Le notaire réceptionne ladite attestation signée par le client, annexe une copie de cette attestation à son acte, puis signe seul l’acte authentique électronique.

La contrainte est que l’étude doit être techniquement équipée d’un système de visio-conférence agréé par le Conseil supérieur du notariat. A la mi-avril, et selon les propos du Président de la Chambre des notaires de Paris, Maître Bertrand Savouré, 60% des études du grand Paris étaient équipées, et la solidarité de la profession devait permettre aux notaires qui ne l’étaient pas encore, d’être invités dans les salles virtuelles d’un confrère équipé (cf.Webinar Club des Juristes-LexiNexis « Pratique notariale en période de crise sanitaire : agir, répondre, anticiper », 22 avril 2020).

Si les difficultés techniques sont maîtrisées du côté du notaire instrumentaire, ainsi que du côté du client, qui doit disposer d’un minimum d’équipements électroniques et d’une maîtrise de l’outil informatique, la signature peut intervenir.

Toutefois, et alors que l’état d’urgence n’était proclamé que jusqu’au 24 mai 2020, les instances notariales ont conseillé d’utiliser l’acte authentique avec comparution à distance avec discernement et ont fait appel au professionnalisme de chacun. Il est ainsi déconseillé de recevoir par comparution à distance les actes les plus graves comme par exemple les renonciations anticipées à exercer l’action en réduction ou les testaments authentiques ou encore les actes dont la signature pourrait être différée (contrat de mariage par exemple, les mariages étant actuellement suspendus). Différer de quelques semaines paraissait possible. Les choses seront peut-être un peu différentes si l’état d’urgence est prolongé de deux mois (jusqu’au 24 juillet) comme cela semble se dessiner.

Peut-on être divorcés par consentement mutuel durant la période de confinement ?

La réponse à cette question est : « ça dépend »…

1er scénario : ma convention de divorce par consentement mutuel avait été signée et transmise au notaire avant l’état d’urgence : si le notaire a pu la déposer, suis-je divorcé ?

Le dépôt de la convention de divorce peut se faire sans la présence des époux. Il n’y a donc pas d’obstacle pour procéder à cette formalité. En outre, le notaire dispose d’un délai de 15 jours, à compter de la réception de la convention, pour la déposer. Ce délai n’est assorti d’aucune sanction, mais un notaire engagera certainement sa responsabilité s’il n’y procédait pas dans ce délai de 15 jours, d’autant que, selon le CRIDON, il n’est pas certain qu’il bénéficie de la prorogation de l’ordonnance du 25 mars 2020.

Le point est à vérifier avec le notaire chargé du dépôt mais il a dû y procéder, quand bien même le délai de 15 jours qui lui était imparti est survenu durant la période juridiquement protégée. Vous êtes donc en principe divorcés.

2e scénario : ma convention de divorce est finalisée, mais pas encore signée, le divorce peut-il être effectif pendant la période de confinement ?

La signature de la convention de divorce doit impérativement s’effectuer en présence des époux et de leurs avocats. Aucun texte n’est venu modifier cette exigence malgré l’état d’urgence sanitaire proclamé. Il n’est donc pas possible de signer une convention de divorce, tant que les réunions physiques demeurent impossibles à organiser.

La signature de l’état liquidatif du régime matrimonial des futurs ex-époux est possible, mais de fait il ne prendra effet qu’au dépôt de la convention de divorce.

Dans pareil scénario, il faut donc patienter mais les futurs époux peuvent anticiper. Pour être divorcés au plus tôt à l’issue de la période de confinement, il est tout à fait possible de purger le délai de réflexion de 15 jours de l’article 229-4 du Code civil (l’avocat adresse à l’époux qu’il assiste par lettre recommandée avec demande d’avis de réception un projet de convention, qui ne peut être signé, à peine de nullité, avant l’expiration d’un délai de réflexion d’une durée de quinze jours à compter de sa réception), en adressant le projet de convention de divorce par voie électronique (« lettre recommandée électronique avec accusé de réception » – « AR24 »).

En effet l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais ne s’applique pas à ce délai de réflexion, comme a pu le dire le CRIDON dans un Flash du 10 avril, confirmé depuis par l’ordonnance du 15 avril 2020. Les projets envoyés et réceptionnés plus de 15 jours avant le déconfinement, pourront être signés dès le 11 mai, si cette date est confirmée et sous réserve de respecter les gestes barrières qui auront encore cours….

3e scénario : nous avions trouvé un accord juste avant le confinement, mais sans pouvoir finaliser les actes : comment avancer ?

Il n’y a pas d’obstacle matériel, pour l’avocat, comme pour le notaire, à rédiger la convention de divorce, et l’acte liquidatif éventuel.

Toutefois, en pratique, on peut éprouver certaines difficultés à réunir auprès des tiers des éléments nécessaires à la rédaction des actes : difficultés pour recevoir les pièces d’état civil des mairies qui ont réduit leurs activités, ralentissement des processus d’obtention de prêt pour refinancer un bien immobilier, ou de désolidarisation auprès des banques. L’interdépendance de chaînes de professionnels est particulièrement tangible en cette période, comme le soulignait Maître Bertrand Savouré (cf. Webinar Club des Juristes-LexiNexis « Pratique notariale en période de crise sanitaire : agir, répondre, anticiper », 22 avril 2020).

Quand survient ce qui ne prévient pas, le décès, peut-on entreprendre les premières diligences administratives dans les mêmes conditions qu’habituellement ?

S’agissant du décès, il y a ce qui a changé : parfois l’impossibilité de dire au revoir, l’impossibilité d’organiser des funérailles choisies et de réunir les proches (cf. Le Club des juristes, 21 avril 2020, « Funérailles et état d’urgence sanitaire », par Charlotte Robbe, avocat, bwg associés) ; mais il y a ce qui n’a pas évolué : la contrainte fiscale de déposer la déclaration de succession et de s’acquitter des droits de succession dans les 6 mois du décès (article 641 du CGI). Ce délai étant porté à 1 an en cas de décès à l’étranger.

Pas de répit donc, alors même que d’ores et déjà « en temps normal » ce délai de 6 mois est difficile à tenir.

Les particuliers ont donc encore davantage besoin d’être accompagnés dans ces démarches, et il faut pour eux accepter de se faire aider rapidement. L’essentiel peut être effectué, malgré quelques facteurs de complications…

Il faut renseigner le notaire sur la situation familiale, et le rendre destinataire d’un éventuel testament olographe retrouvé / conservé par un héritier.

En période classique, il est très rare de réaliser un rendez-vous spécialement pour l’ouverture d’un testament. A fortiori en ce moment, ces rendez-vous ne se tiendront pas mais le testament pourra cependant être déposé et une copie du dépôt et du testament sera circularisée par mail par exemple.
L’acte de notoriété, comme document de preuve de la qualité d’héritier, ne requiert pas la présence des héritiers et peut être passé grâce à une procuration sous seing privé. Cet acte est souvent très utile en pratique. On pense aux banques qui l’exigent pour débloquer les actifs bancaires ; ou encore dans la circonstance où le défunt avait souscrit une assurance vie sans désigner nommément ses bénéficiaires (avec une clause classique « mes héritiers »), pour libérer les fonds au profit des bénéficiaires. Or, ces liquidités peuvent être tout à fait nécessaires aux héritiers pour régler les droits de succession à verser dans les 6 mois du décès (1 ans en cas de décès à l’étranger).

Le laborieux travail d’inventaire a également vocation à commencer sans tarder. Des demandes pourront être faites pour connaître les actifs et le passif. Le travail du notaire sera certes suspendu aux retours des différents organismes et des banques notamment, mais bon nombre d’éléments peuvent déjà être compilés.

Les inventaires « physiques » sont en revanche différés, tout comme les estimations immobilières, à défaut de pouvoir se rendre sur les lieux.

L’objectif est, malgré la période de confinement et d’état d’urgence sanitaire, de ne surtout pas reporter ces opérations. Il faut les avancer au maximum pour essayer de tenir le délai de dépôt de la déclaration de succession ou, à défaut, de pouvoir avoir un travail déjà assez finalisé afin de permettre de déposer un acompte au titre des droits de succession pour limiter l’application des intérêts de retard.

 

[vcex_button url= »https://www.leclubdesjuristes.com/newsletter/ » title= »Abonnement à la newsletter » style= »flat » align= »center » color= »black » size= »medium » target= » rel= »none »]S’abonner à la newsletter du Club des juristes[/vcex_button]