Par Pierrick Bruyas, chercheur postdoctoral à l’Université de Strasbourg, membre du CEIE, du Centre franco-allemand d’excellence Jean Monnet et chercheur invité à l’Université d’Aarhus au Danemark.

Le 4 octobre dernier, le Premier ministre britannique Rishi Sunak indiquait son souhait de faire du Royaume-Uni un pays « sans-tabac » en élevant chaque année l’âge légal d’achat de cigarettes d’un an, jusqu’à rendre impossible le tabagisme sur toute une génération. Pourrait-on imaginer que la France se lance également dans une telle aventure ?

La nocivité du tabac est incontestable, l’Union européenne donne un cadre

Le Premier ministre britannique met en avant la nocivité du tabac en expliquant qu’il est constitutif de la première cause des morts évitables dans son pays. La dangerosité du tabagisme est un fait scientifique établi qui touche les Européens et ne pouvait pas laisser les États membres de l’Union européenne indifférents. Malgré une première phase d’action relativement timide dans les années 1980, la Commission européenne propose des directives qui vont être adoptées au début des années 2000. C’est le cas d’une directive sur l’harmonisation et l’information des consommateurs pour la vente des produits du tabac en 2001 – révisée en 2014 et qui devrait faire l’objet d’une refonte et d’un durcissement dans le courant de l’année – ou encore d’une directive encadrant les pratiques publicitaires en 2003.

L’approche européenne jusqu’à présent se déroule en deux temps. D’abord, elle encadre les pratiques de vente des produits du tabac, en particulier afin d’éviter que certains États ne soient trop permissifs et sapent le travail de leurs voisins répressifs. Ensuite, elle travaille à garantir un haut niveau d’information des consommateurs et une sensibilisation des risques encourus par les fumeurs (on se souvient naturellement avoir vu apparaître des photographies et des slogans peu attirants sur les paquets de cigarettes au gré des transpositions de directives). Est-ce la bonne approche pour autant ? Les chiffres de la mortalité restent terriblement élevés et la Commission européenne estime que le commerce du tabac ferait perdre jusqu’à 100 millions d’euros par an aux États européens, malgré les recettes fiscales qu’il engendre.

L’Union européenne pourrait-elle s’opposer à la France si elle mettait en place une politique antitabac ?

D’autres solutions, plus radicales, peuvent être avancées pour lutter contre le tabagisme. Par exemple : interdire la vente en dessous d’un certain âge, à l’instar de ce que propose Rishi Sunak, augmenter drastiquement le prix des produits du tabac grâce à la fiscalité, comme l’a fait l’Australie, ou encore renforcer la vente monopolistique du tabac. Doit-on s’inquiéter de l’existence préalable du cadre européen si la France venait à faire de tels choix ? La réponse est clairement non. Il est possible pour un État membre comme la France de prendre ce genre de mesures afin de lutter contre ce que la Cour de justice de l’Union européenne appelle parfois « l’assuétude aux produits du tabac ».

La santé est au premier rang des intérêts protégés par le droit de l’Union

S’il est vrai que le droit européen accepte rarement les initiatives nationales qui visent à amoindrir la vitalité du marché et la libre circulation des marchandises, il est en revanche certain que le tabac ne peut pas être considéré comme une marchandise normale. La Cour de justice de l’UE a ainsi déjà jugé de façon univoque que les États avaient le droit de chercher à lutter contre le tabagisme. Cela peut passer par la vente dans des débits contrôlés par l’État, ou par le renforcement de cette pratique. Se concrétiser par une augmentation de l’âge minimum légal pour l’achat des produits. Ou encore, par l’augmentation conséquente des droits d’accises perçus au titre des produits du tabac pour en rendre l’achat dissuasif du fait du prix final. La directive sur le droit d’accise permet d’ailleurs aux États d’imposer selon leurs règles fiscales le tabac que les particuliers transportent de part et d’autre d’une frontière en trop grande quantité.

Le législateur doit rester vigilant face à une industrie du tabac qui parvient sans cesse à se réinventer