Début 2014 et au terme de la procédure collégiale prévue par l’article R. 4127-37 du Code de la santé publique, le docteur Kariger, alors en charge de Vincent Lambert, avait pris la décision d’interrompre la nutrition et l’hydratation artificielles de Vincent Lambert. Cette décision a été validée par le Conseil d’Etat dans un arrêt d’assemblée du 24 juin 2014 après une expertise médicale sollicitée par la haute juridiction elle-même. La décision d’interrompre le traitement n’a toutefois pu être appliquée, la Cour européenne des droits de l’homme, saisie d’un recours par les parents de Vincent Lambert, ayant demandé à la France de surseoir à son exécution jusqu’à ce qu’elle se soit prononcée sur cette affaire. Un an plus tard, la Cour de Strasbourg a rejeté ce recours (arrêt du 5 juin 2015).

A la suite de cet arrêt, le docteur Simon, qui a remplacé entre temps le docteur Kariger en qualité de médecin en charge de Vincent Lambert, a annoncé à la famille en juillet 2015 l’engagement d’une nouvelle procédure collégiale en vue de l’éventuelle interruption de son traitement. Il a toutefois rapidement décidé de suspendre cette procédure estimant que « les conditions de sérénité et de sécurité nécessaires à la poursuite de cette procédure, tant pour V. Lambert que pour l’équipe soignante [n’étaient] pas réunies ».

 C’est cette décision de suspension qui est à l’origine de la présente procédure, décryptée par Xavier Dupré de Boulois, Professeur de droit à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

 « Pour autant que la situation clinique du patient soit la même que celle décrite par les experts désignés par le Conseil d’Etat en 2014, la procédure collégiale a vocation à aller à son terme et à entraîner l’interruption des traitements prodigués à Vincent Lambert »

 Quel est l’apport de cette nouvelle décision du Conseil d’Etat dans l’affaire Vincent Lambert ?

 En premier lieu, il a jugé que la décision prise par le docteur Kariger en janvier 2014 et validée par le Conseil d’Etat en juin 2014 ne pouvait plus recevoir application puisque ce médecin n’avait plus la charge de Vincent Lambert depuis son départ du CHU de Reims en septembre de la même année. Il a en effet estimé que les décisions de limiter ou d’arrêter les traitements dont la poursuite traduirait une obstination déraisonnable doivent être prises par le médecin en charge du patient et ne peuvent être mises en œuvre que par ce même médecin ou sous sa responsabilité. Pour ce faire, il s’est notamment référé au principe déontologique d’indépendance professionnelle des médecins qui figure aux articles R. 4127-5 du code de la santé publique et L. 162-2 de code de la sécurité sociale. Il en résulte que le docteur Simon ne pouvait se voir imposer de mettre en œuvre une décision prise par un confrère et qu’il ne pouvait pas non plus s’estimer liée par elle. En conséquence, c’est donc bien une nouvelle procédure qui devait être engagée.

 En second lieu, le Conseil d’Etat a estimé que la Cour administrative d’appel de Nancy a pu considérer que la décision de suspension de la procédure collégiale sans indication de durée prise par le docteur Simon était illégale en ce qu’elle ne pouvait être fondée sur un motif du type de celui avancé. Elle ne pouvait donc reposer sur l’absence des conditions de sérénité et de sécurité nécessaires à la poursuite de cette procédure. De ce point de vue, l’arrêt du Conseil d’Etat rappelle que son engagement n’est pas à la discrétion du médecin en charge du patient. Cette procédure a été mise en place en vue de prévenir les atteintes à la dignité des patients à raison d’un traitement dont la poursuite traduit une obstination déraisonnable. Dès lors qu’il est avéré que les conditions définies par le Code de la santé publique sont réunies, il appartient donc au médecin d’engager la procédure collégiale dont l’objectif est de mettre fin à une atteinte à la dignité du patient. A charge pour l’établissement hospitalier de placer ce médecin en situation d’assurer sa mission dans une ambiance sereine. On peut ajouter que ce « rappel à l’ordre » permet de priver d’effet le tapage délétère entretenu par certains membres de la famille Lambert et les mouvements « pro-life » autour de ce cas emblématique.

 Quelle est la conséquence de cet arrêt sur la situation présente de Vincent Lambert ?

 Le Conseil d’Etat ayant rejeté le pouvoir contre l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nancy, il a vocation à recevoir plein effet. La juridiction d’appel a enjoint au centre hospitalier universitaire de Reims « de mettre le docteur Simon., ou tout autre praticien susceptible de lui succéder, en mesure de répondre aux obligations lui incombant vis-à-vis de Vincent Lambert en vertu du code de la santé publique ». La nouvelle procédure collégiale a donc vocation à suivre son cours. Et pour autant que la situation clinique de Vincent Lambert soit la même que celle décrite par les experts désignés par le Conseil d’Etat en 2014, elle a vocation à aller à son terme et à entraîner l’interruption des traitements prodigués au patient. Il nous semble que deux éléments nouveaux sont indifférents à l’égard de cette issue fatale.

Le premier est l’évolution du cadre juridique applicable. La présente affaire a été jugée au regard des dispositions du Code de la santé telles qu’elles résultaient de la loi Leonetti du 22 avril 2005. Les dispositions pertinentes du Code de la santé publique procèdent désormais de la loi du 2 février 2016 dite Leonetti 2 et des décrets n°2016-1066 et n°2016-1067 du 3 août 2016 pris pour assurer son application.

Ce nouveau dispositif s’inscrit dans la continuité de la loi de 2005 tout en tenant compte de ses difficultés d’application révélées par l’affaire Vincent Lambert. Il organise la procédure collégiale (art. R. 4127-37-2 CSP). De même, et dans la suite des appréciations portées par le Conseil d’Etat dans son arrêt Lambert de 2014, la loi précise désormais que « la nutrition et l’hydratation artificielles constituent des traitements qui peuvent être arrêtés » (art. L1110-5-1). Les dispositions en cause de la loi de 2016 ont été jugées conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel récemment (Cons. const., n°2017-632 QPC, 2 juin 2017, Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés).

Le second élément nouveau est l’arrêt du 8 mars 2017 (n°408146, Rec.) rendu dans une autre affaire médiatisée à l’occasion duquel le Conseil d’Etat a rejeté le recours contre l’ordonnance du TA de Marseille qui a suspendu la décision de mettre un terme au traitement d’un tout petit enfant. La solution retenue est intimement liée aux circonstances de l’espèce. Le Conseil a notamment relevé que compte tenu des éléments d’amélioration constatés de l’état de conscience de l’enfant et de l’incertitude à la date de l’ordonnance sur l’évolution future de cet état, l’arrêt des traitements ne pouvait être regardé comme pris au terme d’un délai suffisamment long pour évaluer de manière certaine les conséquences de ses lésions neurologiques.

 Dans quelle mesure le contentieux relatif à la tutelle sur Vincent Lambert est de nature à interférer avec la procédure collégiale à venir ?

Il ne devrait pas interférer avec cette procédure et ce d’autant plus qu’il a trouvé son épilogue par un arrêt de la première chambre civile du 8 décembre 2016 (n°16-20.298, Bull.).

La Cour a rejeté le pourvoi des parents contre l’arrêt de la Cour d’appel de Reims qui a placé Vincent Lambert sous tutelle et a désigné sa femme en qualité de tutrice. Au demeurant, le Conseil d’Etat a relevé dans l’arrêt sous observations qu’aucune disposition du Code de la santé publique n’implique qu’une décision d’arrêt de traitement soit subordonnée à l’intervention préalable d’une mesure de protection prise sur le fondement du code civil. Tout juste le tuteur, s’il en a été désigné un, doit-il être consulté en cas de décision de limitation ou d’arrêt de traitement (art. R. 4127-37-2).

Par Xavier Dupré de Boulois