Il y a plus d’une quarantaine de monnaies locales [EUSKO (pays basque), Méreau (Montargis), Pèche (Montreuil)…..]. Des villes importantes, telles que Paris, et des régions envisagent de s’en doter. La Normandie – 5 départements sont ainsi concernés : le Calvados, l’Eure, la Manche, l’Orne et la Seine-Maritime –  a, selon une conseillère régionale, alloué une somme de 400 000 € au projet de monnaie locale qui devrait voir le jour prochainement dans cette région, ce qui sera une première à une telle échelle.

Décryptage par Thierry Bonneau, professeur de droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas.

« L’État ne peut pas autoriser une concurrence directe à sa propre monnaie »

Est-il possible de créer sa propre monnaie et sous quelles conditions ?

On parle de monnaie, de monnaies locales, de monnaies locales complémentaires, de monnaies alternatives. Cela donne l’impression que l’on peut créer librement une nouvelle monnaie. D’autant que la monnaie locale peut se présenter sous forme de billets susceptibles de circuler entre les personnes qui les acceptent. Pourtant, d’un point de vue légal, la seule monnaie légale est celle autorisée par l’État, à savoir l’euro. Tout au moins si on prend en considération des dispositions de l’article L 111-1 du Code monétaire et financier.

Cette approche étatiste, qui est actuellement dominante, est parfois contestée.  Elle l’est également à propos des cryptomonnaies telles que le Bitcoin, l’Ether ou le Ripple. D’autant que l’on souligne que les cryptomonnaies comme les monnaies locales peuvent remplir les fonctions économiques de la monnaie, à savoir la triple fonction de mesure, de paiement et d’échange. Il n’en reste pas moins que, outre l’argument tiré de l’article L 111-1 précité, le pouvoir libératoire de ces monnaies est limité car celles-ci ne peuvent être utilisées que par les individus qui les acceptent.

On doit dès lors constater que le Code monétaire et financier entretient la confusion car il utilise le mot « monnaie ». L’une de ses sections est en effet intitulée « les titres de monnaies locales complémentaires » et comprend 2 articles consacrés à ces monnaies. C’est là une différence avec les cryptomonnaies qui ne sont pas actuellement prises en compte par la législation. Les monnaies locales disposent donc d’un statut et ne peuvent être émises que dans les conditions posées par la législation. Mais il eût été préférable d’éviter de parler de monnaies puisque les titres dits de monnaies locales sont en réalité des bons d’achats ou des coupons d’achats, dont le statut est similaire à celui des tickets restaurants, qui circulent dans un réseau de personnes et d’entreprises qui l’acceptent.

Quels échanges peut-on réaliser avec ce type de monnaie ?

Les monnaies locales, qui peuvent être émises sous forme papier comme sous forme électronique, ont pour contrepartie des fonds en euros reçus par leur émetteur. Les billets ou les coupons sont à parité avec l’euro et peuvent être utilisés auprès des commerçants et prestataires qui l’acceptent ainsi qu’entre particuliers. L’objectif de ces monnaies est de favoriser les échanges locaux, le commerce de proximité et les petits producteurs.

Certaines mairies et collectivités locales souhaitent payer leurs factures ou distribuer leurs subventions en monnaie locales. L’État ne semble toutefois pas y être favorable. Des actions en justice sont ainsi introduites pour faire obstacle à ce type d’usage.

On peut bien sûr s’interroger sur le bien-fondé de cette réticence car l’État a donné un fondement légal à ces monnaies locales. Elle peut néanmoins se comprendre dans la mesure où l’État ne peut pas autoriser une concurrence directe à sa propre monnaie. Mais c’est là le résultat de l’usage abusif du mot « monnaie ». Le recours aux prétendues monnaies locales par les collectivités territoriales aurait sans doute été plus facilement accepté si une terminologie évoquant un moyen de paiement sans référence au terme « monnaie » avait été utilisée.

La création des monnaies locales complémentaires fait-elle l’objet d’un contrôle ?

 Le contrôle paraît nécessaire en raison des risques de contrefaçon qui incontestablement existent. Il n’est pourtant mis en place, via l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), que si l’émission et la gestion des monnaies locales  relèvent des services bancaires de paiement ou de la monnaie électronique. Cette règle implique que les professionnels qui sont autorisés à émettre et gérer des monnaies locales – ce sont les professionnels visés par l’article 1 de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire (notamment les coopératives, les mutuelles et les sociétés commerciales recherchant une utilité sociale) – échappent à la réglementation bancaire si leur activité n’est pas constitutive d’un service bancaire de paiement ou d’une activité liée à la monnaie électronique. Il en est ainsi, selon l’ACPR, si les monnaies locales ne sont ni remboursables, ni fractionnables et ne donnent lieu à aucun rendu de monnaie. Le Code exige toutefois que l’émission et la gestion des titres de monnaies locales complémentaires soient leur unique objet social.

 La fourniture d’un service bancaire de paiement – ce qui implique l’émission de titres papier – ou d’une activité liée à la monnaie électonomique – ce qui implique l’émission de titres électronique – est subordonnée, par principe, à l’obtention d’un agrément : agrément bancaire s’il s’agit d’un établissement de crédit ; agrément au titre de la monnaie électronique s’il s’agit d’un établissement de monnaie électronique. L’ACPR peut toutefois exempter d’agrément les entreprises fournissant des services bancaires de paiement ou des activités de monnaie électronique pour l’acquisition de biens ou de services dans les locaux de ces entreprises ou dans le cadre d’un accord commercial s’appliquant à un réseau limité de personnes acceptant ces services ou activités ou pour un éventail limité de biens et services (art. L 511-7, II, et L 525-5, al. 1, CMF).

 

Par Thierry Bonneau