Le 25 janvier 2018, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision de Valérie Pécresse de supprimer la réduction de 50% du Passe Navigo aux 117 000 étrangers en situation irrégulière titulaires de l’Aide médicale d’Etat.
Décryptage avec Stéphane Manson, professeur de droit public à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines et doyen honoraire de la Faculté de droit et science politique.

« Le Code des transports impose aux autorités organisatrices de transports de consentir une réduction d’au moins 50% sur les tarifs de transports publics, à destination des usagers dont les ressources sont inférieures ou égales à un plafond déterminé annuellement »

Quels étaient l’objet et le périmètre de la délibération annulée par le tribunal administratif de Paris ?

Issu de la loi du 13 décembre 2000 (« Solidarité et renouvellement urbain »), l’article L1113-1 du Code des transports impose aux autorités organisatrices de transports de consentir une réduction d’au moins 50% sur les tarifs de transports publics, à destination des usagers dont les ressources sont inférieures ou égales à un plafond déterminé annuellement (celui de la Couverture Maladie Universelle Complémentaire, fixé – au moment des faits de l’espèce- à 8645 Euros par an). Par une délibération du 7 décembre 2001, le Syndicat des transports d’Ile-de-France (le STIF) avait, conformément aux prescriptions la loi, instauré la tarification solidarité transport pour son aire de compétence. De son côté, le Conseil régional avait, par la suite, complété le dispositif en portant de 50% à 75 % la réduction consentie. Chaque mois, 660 000 usagers des transports publics franciliens ont donc bénéficié de ces conditions avantageuses. Parmi eux, 117 000 personnes (soit 17% du total) étaient destinataires de l’AME (Aide Médicale de l’Etat : applicable aux étrangers en situation irrégulière, résidant en France depuis au moins 3 mois et disposant de ressources dont le montant est inférieur ou égal au plafond CMU-C).

La mise en œuvre d’une promesse électorale de la présidente de la Région Ile-de-France visait précisément cette dernière catégorie d’usagers. Dès le 21 janvier 2016, une délibération du Conseil régional supprima les 25% de réduction naguère consentis à destination des bénéficiaires de l’AME, ne laissant alors subsister -en toute légalité puisque le seuil minimum des 50% de rabais demeurait acquis- que la seule délibération votée par le STIF le 7 décembre 2001. Le 17 février 2016, le conseil d’administration du STIF décida, à son tour, d’exclure du périmètre de la réduction de 50% les 117 000 usagers destinataires de l’AME, étrangers en situation irrégulière.

C’est la délibération annulée, le 25 janvier 2018, par le Tribunal administratif de Paris.

Pour quel motif la délibération du STIF a-t-elle été annulée ?

La question suscite une triple observation.

D’une part, il convient de remarquer que la transmission de la délibération querellée au préfet de la Région Ile-de-France n’avait suscité aucune réaction de la part du service du contrôle préfectoral de la légalité (aucun recours gracieux, ni a fortiori de déféré), alors même que l’illégalité apparaissait grossière.

D’autre part, saisi par un élu écologiste du Conseil régional ainsi qu’un collectif associatif et syndical, le Tribunal administratif de Paris a estimé qu’en excluant les ayants droit de l’AME du dispositif tarification solidarité transport, le STIF avait commis une erreur de droit. En effet, l’article L 1113-1 du Code des transports ne subordonne le bénéfice de la réduction tarifaire qu’à une seule condition de ressources (le plafond CMU-C). En excluant, par la délibération attaquée, les étrangers sans documents du champ d’application de l’article L 1113-1, l’établissement public régional a donc ajouté une condition non prévue par la loi.

Enfin, l’annulation prononcée par le Tribunal fait revivre la réduction de 50% en tant qu’elle inclut dans son champ d’application les ayants droit de l’AME. Les 25% de réduction supplémentaire demeurent, quant à eux, légalement retirés de l’ordre juridique depuis la délibération votée par le conseil régional le 21 janvier 2016.

Ainsi que la présidente du Conseil régional d’Ile-de-France le suggère dans la presse, la loi pourrait-elle valablement écarter les étrangers sans documents du bénéfice de la tarification transport solidarité ?

La réponse est a priori positive, mais elle doit être nuancée.

Positive tout d’abord, dans la mesure où l’on sait que le Conseil constitutionnel considère que les étrangers sont placés dans une situation différente de celles des nationaux (v. not. Cons. const. déc. n° 93-325 DC du 12 août 1993) et qu’en leur sein, les étrangers en situation irrégulière constituent une catégorie distincte (v. par ex. Cons. const. déc. n° 2011-137 QPC du 16 juin 2011). Au-delà des droits et libertés inconditionnels, applicables à toute personne humaine, y compris aux étrangers sans papiers (articulés, en premier lieu par les ordres juridiques de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe, autour du droit à la vie et du droit à la dignité), l’accès à d’autres droits par les étrangers peut, en revanche, être valablement conditionné par la régularité du séjour (l’adhésion au régime général de sécurité sociale, le bénéfice des prestations familiales, l‘accès au logement social, le RSA etc.).

Plus précisément, la liberté d’aller et venir, dont l’exercice s’avérerait alors plus difficile –mais pas impossible- pour les étrangers sans papiers, est l’objet d’une protection dont l’intensité est variable. En effet, les textes européens (art. 2 du 4e protocole additionnel à la Convention européenne ; art. 45 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE) autant que les normes du droit national (art. R 321-1 CESEDA) convergent pour garantir la liberté d’aller et venir au bénéfice des citoyens et résidents en situation régulière (v. également Cons. const. déc. n° 2016-606/607 QPC du 24 janvier 2017). Quant aux étrangers sans documents, ils s’exposent –sous réserve du respect par la puissance publique d’un certain nombre de garanties- à des mesures d’assignation voire de rétention.

La réponse doit cependant être nuancée. Le Conseil constitutionnel veille en effet à ce que les entraves apportées à la liberté de déplacement des étrangers dépourvus de titre ne compromettent pas, a minima, leur accès aux droits et libertés inconditionnels
(v. Cons. const. déc. n° 97-389 DC du 22 avr. 1997). Gageons toutefois que pareil standard ne paraît pas en mesure de compromettre la constitutionnalité de l’exclusion suggérée par la présidente de région.

 

Par Stéphane Manson