François Fillon a porté plainte mardi 2 mai contre Le Canard Enchaîné. Selon Robert Bourgi qui répondait à Jean-Pierre Elkabbach sur CNews, cette plainte, fondée sur l’article L97 du Code électoral qui réprime la propagation de « fausses nouvelles » ou de « bruits calomnieux » ayant pour effet de détourner les suffrages, aurait pour objectif l’annulation du scrutin présidentiel. A 48h du second tour de l’élection présidentielle française, Romain Rambaud, Professeur de droit à l’Université de Grenoble et fondateur du blog du droit électoral, décrypte l’éventualité d’une annulation du scrutin présidentiel et ses conditions.

« On fait en France comme si le contentieux de l’élection présidentielle n’allait pas poser de problème particulier, jusqu’au jour où… »

Dans quelle(s) circonstance(s) peut-on annuler le scrutin présidentiel une fois celui-ci passé ?

 En réalité, la question ne se pose pas en ces termes. Il faut bien comprendre que le contentieux de l’élection du Président de la République est un contentieux extrêmement particulier, complètement dérogatoire au droit commun. Cela résulte des textes de valeur fondamentale qui régissent l’élection présidentielle, l’article 58 de la Constitution, qui prévoit que « Le Conseil constitutionnel veille à la régularité de l’élection du Président de la République. Il examine les réclamations et proclame les résultats du scrutin », l’article 3.III de la loi n°62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel et, par renvoi, l’article 50 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.

 À la différence d’un contentieux électoral classique, devant le juge constitutionnel compris (élections législatives et sénatoriales), le contentieux présidentiel ne se fait pas a posteriori, engagé par un électeur ou un candidat après que les résultats ont été proclamés. C’est un contentieux qui se fait en amont (1er tour) ou en même temps que la proclamation des résultats (2ème tour), car le Conseil constitutionnel « examine et tranche définitivement toutes les réclamations » avant de proclamer les résultats (art. 50 de l’ordonnance n° 58-1067)1.

Le contentieux de l’élection présidentielle est donc préventif et non correctif. La Constitution garantit ainsi la stabilité des institutions puisque le candidat proclamé Président de la République ne pourra voir son élection remise en cause a posteriori. Ce qui commande cela, c’est tout simplement la raison d’Etat. C’est contestable. Mais c’est ainsi.

C’est également la raison pour laquelle le rejet des comptes de campagne d’un candidat à l’élection du Président de la République ne peut conduire, contrairement aux autres élections, au prononcé de l’inéligibilité du candidat et à la perte par voie de conséquence de son mandat. En effet, et tout à fait volontairement, les dispositions organiques de la loi n°62-1292 du 6 novembre 1962 qui fixent le droit électoral spécial de l’élection présidentielle (article 3.II) ne rendent pas applicables à l’élection présidentielle les articles du code électoral qui prévoient l’inéligibilité du candidat en cas de rejet de ses comptes de campagne (art. LO136-1 et L118-3) ou de manœuvres frauduleuses pendant la campagne électorale (art. LO136-3 et L118-4). C’est ainsi que le rejet des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy n’a pas conduit au prononcé de son inéligibilité (décision n° 2013-156 PDR du 4 juillet 2013 du Conseil constitutionnel) et qu’il n’aurait pas, s’il avait été élu, été déchu de son mandat.

En cas de demande d’annulation, quelle procédure est mise en place (qui demande l’annulation, dans quels délais, quelles institutions sont impliquées, quels faits sont mis en avant…) ?

La procédure contentieuse est prévue par le décret n°2001-213 du 8 mars 2001. Ce dernier régit les modalités de saisine du Conseil constitutionnel. Il distingue trois catégories de personnes.

En premier lieu, l’électeur : le décret de 2001 dispose que « Tout électeur a le droit de contester la régularité des opérations de vote en faisant porter au procès-verbal mention de sa réclamation ». C’est-à-dire que les modalités de saisine pour les électeurs sont particulières : ils ne saisissent pas le Conseil constitutionnel directement, mais par l’intermédiaire des réclamations qui sont portées sur les procès-verbaux des bureaux de vote et seulement par ce biais-là (décision n° 95-81 PDR du 12 mai 1995). C’est d’ailleurs la rigueur de cette règle qui a conduit le récent décret n°2016-1819 du 22 décembre 2016 à insérer dans l’article 30 du décret de 2001 le principe selon lequel « tout électeur a accès au procès-verbal des opérations de vote pendant la durée de ces opérations » : en effet, l’accès au procès-verbal était parfois réservé aux délégués du Conseil constitutionnel en méconnaissance des règles du code électoral, privant les électeurs de l’exercice du droit fondamental au recours contre l’élection présidentielle. Enfin, le délai de contestation pour les électeurs est donc très court : ils ne peuvent « saisir » le Conseil constitutionnel que le jour de l’élection ! Les représentants des candidats sont soumis au même régime, sachant qu’ils peuvent toutefois participer aux réunions des commissions départementales de recensement et porter des réclamations au procès-verbal à ce stade (art. 26 du décret de 2001).

En deuxième lieu, le représentant de l’Etat dispose, dans un délai de quarante-huit heures suivant la clôture du scrutin, de la possibilité de déférer directement au Conseil constitutionnel les opérations d’une circonscription de vote dans laquelle les conditions et formes légales ou réglementaires n’ont pas été observées. En troisième lieu, tout candidat peut également, dans le même délai de quarante-huit heures, déférer directement au Conseil constitutionnel l’ensemble des opérations électorales.

Une fois saisi, le Conseil dispose d’un délai très court pour examiner les réclamations. En vertu de l’article 29 du décret du 8 mars 2001, « Si, au premier tour, la majorité absolue n’est pas atteinte, le Conseil constitutionnel fait connaître, au plus tard le mercredi, à 20 heures, le nombre des suffrages obtenus par chacun des candidats en présence ». Pour le deuxième tour, le délai est théoriquement plus long : en effet, « Le Conseil constitutionnel proclame les résultats de l’ensemble de l’élection dans les dix jours qui suivent le scrutin où la majorité absolue des suffrages exprimés a été atteinte par un des candidats ». Cependant, le Conseil constitutionnel n’utilise pas ce délai : le Conseil Constitutionnel a annoncé par un communiqué du 5 mai 2017 que les résultats officiels seraient proclamés « le mercredi 10 mai à 17h30 », soit le troisième jour après le scrutin, comme en 2002 où les résultats avaient été proclamés dès le mercredi (décision n° 2002-111 PDR du 8 mai 2002).

Sur ce point, d’ailleurs, on peut s’interroger sur le calendrier même de l’élection présidentielle, car en réalité, le Conseil constitutionnel ne peut même pas se donner les dix jours auxquels il a droit, dans la mesure où le mandat de l’actuel Président de la République expire le 14 mai, soit avant la date limite qui lui est attribuée pour contrôler la régularité du scrutin. On peut donc se demander si les pouvoirs publics interprètent correctement l’article 7 de la Constitution selon lequel « L’élection du nouveau Président a lieu vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus avant l’expiration des pouvoirs du Président en exercice ». La question est moins anecdotique qu’il n’y paraît : on fait en France comme si le contentieux de l’élection présidentielle n’allait pas poser de problème particulier et que le délai de 10 jours ne sera jamais nécessaire, jusqu’au jour où…

Concernant enfin les moyens soulevés devant le Conseil constitutionnel, ils sont les mêmes qu’en contentieux électoral classique, avec cependant quelques particularités. La plupart des moyens sont des griefs relatifs aux opérations électorales (organisation des bureaux de vote, bulletins de vote, contrôle des délégués du Conseil constitutionnel, transmission des résultats, etc.), qui entraînent en général l’annulation des suffrages de bureaux de vote en entier ou de communes, mais jusqu’ici jamais au point de modifier les résultats du scrutin (c’est-à-dire affectant le passage au second tour ou l’élection du Président). Les irrégularités de propagande (interdiction de publicité commerciale, de diffusion de tracts la veille et le jour du scrutin, divulgation prématurée de résultats) sont peu effectives car il est impossible de démontrer que telle ou telle irrégularité a pu altérer la sincérité du scrutin au niveau national, hypothèse dans laquelle il faudrait au demeurant que l’écart des voix entre les candidats soit très faible (l’hypothèse avait pu être émise cette année pour le premier tour). On trouve parfois des cocasseries, comme l’annulation en 2002 des suffrages de la commune de Villemagne dans l’Aude parce que le maire avait fait installer au voisinage immédiat du bureau de vote « un dispositif symbolique de décontamination », ce qui avait été jugé par le Conseil constitutionnel comme incompatible « avec la dignité du scrutin » et « de nature à porter atteinte au secret du vote ainsi qu’à la liberté des électeurs » (décision n° 2002-111 PDR du 8 mai 2002).

Cette année, les « affaires » pourraient-elles devenir un argument contentieux et quelle serait la réponse du Conseil ? On ne peut le savoir avec certitude, même si en l’espèce il aurait sans doute dû faire valoir cet argument à l’issue du premier tour et qu’il sera difficile à établir que la sincérité du scrutin a été méconnue, surtout au second tour, les électeurs ayant voté en connaissance de cause…

Si l’élection est annulée, qui préside et pour quelles raisons ?

 La Constitution ne régit pas l’hypothèse où l’élection serait annulée et les résultats non proclamés, contrairement à l’hypothèse du report de l’élection présidentielle prévue à l’article 7 de la Constitution, pour laquelle c’est le Président en exercice qui reste en fonction. Dès lors, à l’expiration des pouvoirs du Président actuel, il faudra en revenir au principe général en vertu duquel c’est le président du Sénat qui assure l’intérim, car il y aurait alors vacance du pouvoir. Tout cela, cependant, reste une hypothèse d’école.

Par Romain Rambaud

Il suffit pour s’en rendre compte d’aller consulter, sur le site du Conseil constitutionnel, une décision de proclamation des résultats d’une élection présidentielle, ainsi que la décision n° 2017-169 PDR du 26 avril 2017, (Déclaration du 26 avril 2017 relative aux résultats du premier tour de scrutin de l’élection du Président de la République). Le Conseil constitutionnel déclare les suffrages exprimés obtenus par chacun des candidats, mais avant cela, et précisément pour les déterminer après annulations ou réformations éventuelles, il examine toutes les réclamations qui lui ont été adressées. Dans la foulée, le Conseil a adopté une deuxième décision pour établir la liste des candidats habilités à se présenter au deuxième tour (décision n°2017-170 PDR du 26 avril 2017). Au deuxième tour, il procédera un peu différemment : dans la même décision, il examinera toutes les réclamations puis proclamera le candidat élu Président de la République (voir la décision n° 2012-154 PDR du 10 mai 2012 portant proclamation des résultats de l’élection du Président de la République). Il est arrivé, lorsqu’il fut saisi directement par un candidat, qu’il rejette le recours par une décision du même jour que la décision de proclamation (décision n°65-10 PDR du 28 décembre 1965, Proclamation des résultats de l’élection du Président de la République et décision n° 65-11 PDR du 28 décembre 1965 portant sur une réclamation présentée par M. Mitterrand).