Le Conseil constitutionnel a récemment étudié les différents recours déposés dans le cadre des élections législatives qui ont eu lieu en juin dernier.

Décryptage par Romain Rambaud, professeur de droit à l’Université de Grenoble.

« Le juge électoral n’apprécie pas la parfaite légalité de la tenue d’une élection mais le respect de la sincérité du scrutin »

La contestation de l’élection de Manuel Valls, puis la validation de son élection par le Conseil constitutionnel, ont été fortement médiatisées. Qu’a considéré le juge précisément ?

Le Conseil constitutionnel avait été saisi d’une requête présentée par Farida Amrani, candidate La France Insoumise, et par Gauthier Albignac, autre candidat malheureux, contre l’élection de Manuel Valls en tant que député de la 1ère circonscription de l’Essonne. Dans sa décision n°2017-5074/5089 AN du 8 décembre 2017 A.N., Essonne (1ère circ.), il a rejeté tous les arguments invoqués devant lui.

Sans entrer dans les détails, des griefs tirés de la violation des règles sur le financement, la campagne électorale et la tenue des bureaux de vote ont été soulevés mais écartés. Les contestations les plus sérieuses portaient sur les votes eux-mêmes. 141 suffrages étaient contestés, soit un nombre supérieur à l’écart de 139 voix séparant les deux candidats au second tour.

Farida Amrani faisait d’abord valoir que dans 31 cas, la signature apposée sur la liste d’émargement au second tour à l’encre couvrait une esquisse ou une première signature tracée au crayon, suggérant qu’une fraude avait été anticipée. Cependant le Conseil constitutionnel n’a établi ce fait que dans une seule hypothèse et n’y a pas vu d’irrégularité, d’autant que le cas était isolé.

Farida Amrani contestait ensuite l’authenticité de la signature de 110 électeurs portée sur les listes d’émargement de plusieurs bureaux de vote de la commune d’Évry et d’un bureau de vote de la commune de Corbeil-Essonnes au second tour, en raison des différences qu’elle présentait avec leur signature au premier tour, n’en désignant précisément selon le Conseil constitutionnel que 108. Pour 42 cas, le Conseil constitutionnel a estimé que les différences alléguées étaient ou bien peu probantes, ou bien imputables à des circonstances de fait non frauduleuses. En revanche, le juge a donné raison à Farida Amrani pour 66 votes frauduleux. Cependant, il a estimé que ces suffrages irréguliers restant en nombre inférieur à l’écart de voix entre les deux candidats du second tour, cette irrégularité n’avait pas eu d’effet sur la sincérité du scrutin et ne pouvait donc conduire à l’annulation de l’élection.

Cette solution est-elle étonnante ?

Eu égard à l’office du juge électoral, elle ne l’est pas : les juges électoraux fonctionnent de cette manière depuis au moins la fin du XVIIIème siècle. Il peut paraître choquant que l’élection ait été validée alors que la fraude est avérée pour 66 votes. Le raisonnement que tient le Conseil, à savoir retirer ces 66 voix des 139 voix d’écart et constater qu’en toute hypothèse, c’est-à-dire même si toutes ces voix avaient été en faveur de Manuel Valls, celui-ci aurait quand même gagné malgré la fraude, peut paraître d’un immense cynisme, mais c’est la solution classique.

Le juge électoral n’apprécie en effet pas la parfaite légalité de la tenue d’une élection mais le respect de la sincérité du scrutin, c’est-à-dire qu’il vérifie si les résultats de l’élection ont selon lui pu être changés ou non du fait de l’illégalité. Plusieurs facteurs expliquent cette solution. Tout d’abord, il faut souligner que souvent, si l’on peut établir qu’il y a eu fraude, il est impossible de savoir qui l’a établie et qui en a bénéficié : annuler une élection pour fraude reviendrait peut-être à sanctionner un candidat innocent. Par ailleurs, le juge n’annule pas sur le fondement du doute car l’objectif est de ne pas donner une prime aux manœuvres : un candidat sachant qu’il va perdre pourrait très bien frauder pour accuser ensuite son adversaire de l’avoir fait dans l’espoir de gagner dans un deuxième temps grâce à cette accusation de tricherie. D’autres arguments sont invoqués comme le fait que les électeurs auraient dans nombre de cas, y compris sans la fraude, voté dans le même sens. Quant au coût de l’organisation d’une nouvelle élection, il ne peut être retenu juridiquement. Cette solution peut bien sûr être discutée, mais elle est en tout état de cause classique.

Dans tous les cas, il n’existe pas de recours contre la décision du Conseil constitutionnel et la plainte contre X. déposée par la candidate de la France Insoumise a peu de chance de prospérer.

Quelles sont les autres décisions rendues par le Conseil constitutionnel dans le cadre des recours concernant ces élections législatives ?

Il y en a beaucoup d’autres et la plupart sont parfaitement classiques. Certaines sont plus originales sur le fond.

On peut faire référence d’abord à la décision n°2017-5256 QPC/AN du 16 novembre 2017 concernant l’élection dans la 4ème circonscription du Vaucluse, qui est la circonscription de Jacques Bompard. À la lecture, la décision peut paraître sans intérêt puisque la requête a été rejetée pour irrecevabilité à cause de sa tardiveté. Mais en réalité elle est très intéressante : d’abord parce que le Conseil a rejeté une QPC portant sur la brièveté du délai de recours, qui est de dix jours, et ensuite surtout parce qu’il faut se rappeler du contexte. Jacques Bompard s’est fait élire député mais n’avait en réalité aucune intention d’exercer son mandat : après cette élection, il s’est fait (ré)élire maire de sa ville d’Orange, ce qui a permis à sa suppléante, Marie-France Lorho, de le remplacer sans nouvelle élection. Ils ont profité d’une disposition nouvelle de la loi du 14 février 2014 : désormais, le député frappé d’incompatibilité pour cause de cumul des mandats est automatiquement remplacé par son suppléant sans nouvelle élection. Jacques Bompard a ainsi utilisé une « faille » du droit électoral lui permettant de se transformer en « locomotive électorale » pour sa suppléante. Cette pratique, qui s’apparente à une manœuvre, ne peut toutefois être sanctionnée par le Conseil constitutionnel…

La décision n° 2017-5092 AN du 18 décembre 2017 qui a annulé l’élection de Jean-Pierre Door dans la 4ème circonscription du Loiret mérite également d’être mentionnée car c’est l’utilisation de pages Facebook le jour du scrutin, en violation des règles interdisant la propagande la veille et le jour du scrutin, qui a entraîné l’annulation de l’élection, l’écart de voix étant de 7 voix seulement. Jean-Pierre Door avait en effet utilisé sa page Facebook de maire de Montargis et Fabrice Bouscal, adjoint au maire, avait publié des éléments de propagande sur sa page personnelle. S’il y a des précédents dans la jurisprudence du Conseil d’Etat, la prise en compte de Facebook par le juge constitutionnel est une avancée du droit électoral.

Enfin, la décision n° 2017-5112 AN du 18 décembre 2017 est essentielle sur un point. Si elle rejette la requête dirigée contre l’élection dans la 3ème circonscription des Landes, elle rappelle, par une formulation de principe, que l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme ne s’applique pas au contentieux électoral…

Par Romain Rambaud