Alors qu’il n’est pas arrivé à ses fins la semaine passée, le bureau politique du parti Les Républicains va tenter d’entériner la rupture avec ses membres ayant rejoint le gouvernement ou soutenant la politique de l’exécutif. Décryptage des conditions de suspension et d’exclusion d’un adhérent d’organisation politique avec Romain Rambaud, professeur de droit à l’Université de Grenoble.

« On peut douter en l’état de la jurisprudence que le juge judiciaire se considère habilité à remettre en cause sur le fond l’exclusion »

Peut-on suspendre l’adhésion d’un membre d’une organisation politique ? Si oui, comment ?

En France, il n’existe pas de statut général des partis politiques qui fixerait une solution commune pour tous les partis. Au contraire, l’article 4 de la Constitution protège la liberté des partis politiques en prévoyant que « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement », principe confirmé par l’article 7 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique. Par voie de conséquence, les partis politiques sont des personnes morales de droit privé, des associations, qui fixent elles-mêmes, dans leurs statuts, les modalités de sanction de leurs adhérents, les règles de suspension ou d’exclusion.

Pour ce qui concerne l’exemple récent du parti Les Républicains, la réponse se trouve donc dans les statuts du parti de mai 2015 : l’article 5§6 prévoit que la « qualité d’adhérent se perd également par la démission ou l’exclusion, dans les conditions fixées par le Règlement intérieur ». Le règlement intérieur prévoit les sanctions à l’égard des adhérents dans son article 4. L’article 4§4 dispose que dans l’attente de la décision de sanction, le Président du Mouvement peut, après avis du Bureau Politique, décider de suspendre l’intéressé à titre provisoire et que le pouvoir disciplinaire à l’égard des adhérents du mouvement titulaires d’un ou plusieurs mandat électif et des adhérents du Mouvement exerçant une fonction gouvernementale est exercé par le Bureau Politique. L’article 24§4 des statuts prévoit cependant une condition de quorum : il est prévu que le bureau politique ne délibère valablement que lorsque la majorité de ses membres en exercice est présente. Lorsque le quorum n’est pas atteint, une nouvelle réunion du Bureau Politique est fixée, à trois jours au moins d’intervalle, au cours de laquelle il délibère sans condition de quorum.

C’est ce qu’il s’est produit s’agissant de l’exclusion des membres LR ayant accepté des fonctions gouvernementales ou des membres du groupe des « Constructifs » (les ministres Gérald Darmanin et Sébastien Lecornu ainsi que les députés Franck Riester et Thierry Solère, le Premier Ministre ayant été considéré comme démissionnaire en raison de son refus de se rendre devant la commission chargé de l’auditionner) : 47 membres ont participé alors que le quorum était de 63. Il faudra donc une seconde délibération, sans condition de quorum, pour entériner les décisions d’exclusion.

Quelles sont les voies de recours existantes pour un membre suspendu ?

Tout d’abord, il faut souligner que beaucoup de partis politiques prévoient dans leurs statuts que les adhérents sanctionnés peuvent ou doivent saisir des commissions visant à examiner en premier lieu leurs recours. Le juge judiciaire est vigilant sur ce point et il arrive, lorsque cela est conforme aux statuts, qu’il rejette des recours directement dirigés devant lui si les adhérents n’ont pas respecté cette obligation de saisine d’une autorité intra-partisane. Par exemple, le recours de Rama Yade contre la victoire de Laurent Hénart à la tête du parti radical avait été rejeté par le TGI de Paris en mai 2015 parce que la conseillère régionale d’lle-de-France et vice-présidente du Parti radical à l’époque n’avait pas saisi dans les délais les instances de recours interne du parti pour contester le résultat de l’élection interne, alors que cela était prévu par les statuts. Les membres exclus doivent donc aussi être vigilants sur ces questions de procédure.

En espèce, l’article 47§4 prévoit que « La Commission des Recours du Mouvement statue, en cas de contestation par l’intéressé, sur le refus d’une demande d’adhésion au Mouvement » et l’article 4§7 du règlement intérieur prévoit que « Toute décision de sanction à l’égard d’un adhérent peut donner lieu à recours devant la Commission des Recours du Mouvement. Le recours doit être formé par l’intéressé dans les sept jours francs de la notification de la décision ». La prudence juridique voudrait donc que les intéressés forment un recours devant cette instance avant de saisir le juge judiciaire, même si une saisine directe est aussi envisageable dans cette hypothèse.

Ensuite, en cas de conflit aggravé, les membres sanctionnés peuvent saisir le juge judiciaire, qui exerce un contrôle, qui au demeurant est croissant. Cependant, le juge sanctionne plus facilement les irrégularités de procédure que les conditions de fond. De jurisprudence constance, les droits fondamentaux des personnes, au premier rang desquels le droit au contradictoire, doit être respecté. Mais de manière plus générale, les statuts du parti doivent l’être : c’est ainsi qu’en juillet 2015, le TGI de Nanterre avait annulé la suspension de Jean-Marie le Pen du Front National parce que celle-ci avait été prononcée sans précision de durée et pouvait donc être assimilée à une exclusion, pour laquelle les conditions de procédures n’avaient pas été respectées. En revanche, s’agissant des conditions de fond, le juge judicaire fait encore preuve d’une certaine réserve : l’exclusion finalement prononcée de Jean-Marie Le Pen dans le respect des règles de procédure prévues par le parti avait été validée par la justice en novembre 2016 parce que ses positions étaient devenues incompatibles avec la ligne du parti ce qui reste à l’appréciation du parti.

Dès lors, même s’il pourrait être difficile pour certains des membres exclus (on pense notamment aux « Constructifs ») de trouver dans les statuts un fondement juridique d’exclusion, on peut douter en l’état de la jurisprudence que le juge judiciaire se considère habilité à remettre en cause sur le fond l’exclusion au nom de l’article 4 de la Constitution.

Comment cela peut-il se traduire dans le cadre d’élections futures (quel parti les députés concernés représentent-ils) ?

Avant chaque élection, c’est le parti politique qui décide des investitures : par conséquent, on peut estimer qu’il est probable qu’un membre exclu d’un parti ne se voit pas confier, sauf conditions politiques très particulières, l’investiture de celui-ci… Que se passerait-il si un candidat décidait de se présenter malgré tout en usurpant l’étiquette du parti politique ?

Le juge électoral rechigne certes, lors du contrôle d’une élection, à contrôler les ralliements, adhésions, investitures, soutiens politiques : c’est ainsi qu’il refuse de contrôler la régularité d’une décision accordant ou non l’investiture, parce que ces questions appellent à connaître de rapports entre personnes privées et échappent par principe à la compétence du juge des élections… sauf lorsque cela relève d’une manœuvre. Le fait pour un candidat de se prévaloir du soutien d’un parti dont il ne dispose pas est considéré comme une manœuvre de nature à tromper les électeurs susceptible de fausser le scrutin à condition que le parti en cause soit explicite sur son refus d’investir le candidat (Cons. const. 13 juill. 2012, AN Paris, 5e circ. ; CE, Elections municipales de Noisy Le Grand, juillet 2016). Il faudrait donc, dans le cadre de prochaines élections, que le parti se désolidarise et ne reste pas dans une position ambiguë… ce qui dépendra des circonstances politiques du moment. Les jeux restent ouverts.

Par Romain Rambaud