Alors que l’Affaire Weinstein a déclenché jusqu’en France un effet de libération de la parole inattendu et considérable à propos du viol et du harcèlement sexuel qui ne cesse depuis plus d’un mois, Pauline Le Monnier de Gouville, maître de conférences en droit privé à l’Université Paris II Panthéon-Assas nous propose un décryptage du harcèlement sexuel selon le point de vue juridique.

« En définitive, le législateur propose deux variantes de harcèlement sans réellement définir ce qu’est le harcèlement sexuel »

 Quel est l’état actuel du droit concernant le harcèlement sexuel ?

 Notre dispositif actuel est avant tout empreint d’une certaine confusion. L’arsenal répressif se révèle complexe, reflet, résolument, d’une politique accrue de lutte contre le harcèlement sexuel. Les modifications successives de l’incrimination attestent de l’embarras du législateur à appréhender ce comportement et à définir un seuil d’illégalité de manière objective. Il en résulte une législation particulièrement ambigüe. L’infraction de harcèlement sexuel fut d’abord élargie par une loi du 17 janvier 2002, qui punissait, à l’article 222-33 du Code pénal, « le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle » ; l’idée était de sanctionner le harcèlement indépendamment de tout lien de subordination entre l’auteur et la victime, à la fois « horizontalement » et « verticalement », donc. Cette tautologie fut cependant censurée par le Conseil constitutionnel en 2012, au nom du principe de légalité des délits et des peines. La loi du 6 août 2012 tenta dès lors de préciser, en les nuançant, divers comportements et scinde l’article en deux incriminations. Le paradoxe actuel tient à l’effort d’une plus grande précision qui se réalise malheureusement au prix d’une confusion des notions, mais aussi des qualifications juridiques.

Quels sont les actes reconnus comme relevant du harcèlement sexuel ?

 La première infraction, dite parfois « harcèlement sexuel principal », fait de la sexualité le moyen de l’infraction en punissant « le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ». Chaque terme importe et l’exégèse est parfois périlleuse.

L’infraction suppose d’abord des actes répétés (mais n’est-ce pas le propre du harcèlement ?) et des propos ou comportement à « connotation sexuelle » (propos ou gestes salaces, obscènes, avances sexuelles explicites, sons dérangeants, etc.). Il n’est pas nécessaire, en revanche, que l’auteur ait visé à obtenir une faveur sexuelle de la part de la victime (en cela, l’incrimination se distingue de la législation précédente), ni davantage qu’il existe un rapport d’autorité entre eux. L’infraction pourra donc être commise à l’occasion de quelque relation que ce soit, même si en pratique il s’agira souvent d’une relation de travail. L’infraction suppose, ensuite, que les propos ou comportement aient soit engendré une atteinte à la dignité de la victime, soit placé celle-ci dans un climat intimidant, hostile et offensant. La définition est somme toute assez curieuse, dès lors que seule la référence de la « connotation sexuelle » permet de qualifier le harcèlement de sexuel. En réalité, l’acte incriminé, qu’a souhaité isoler le législateur, se confond avec d’autres infractions existantes. D’abord, le harcèlement décrit exclut, a priori, tout contact physique avec la victime car, en ce dernier cas, la qualification d’agression sexuelle – voire de tentative de viol – pourrait s’appliquer.

Surtout, en supprimant la condition de l’obtention recherchée d’une faveur sexuelle, le législateur brouille la valeur sociale protégée – la liberté sexuelle – et estompe la typicité de l’infraction, laquelle peut se confondre avec celles de violences psychologiques, de menaces, d’injure ou encore de harcèlement moral. La référence à une situation intimidante, hostile ou offensante, par exemple, suppose implicitement des propos ou des comportements agressifs ou menaçants qui heurtent la victime.

La seconde incrimination, dite « harcèlement sexuel par assimilation », punit le « fait, même non répété, d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle ». La sexualité est ici la finalité du harcèlement et celui-ci ne suppose pas, cette fois, la répétition du comportement. Seul le but poursuivi, la faveur sexuelle, permet de qualifier l’infraction de harcèlement sexuel. Là encore, nul rapport de supériorité de l’auteur sur sa victime n’est exigé. A la différence de l’incrimination précédente, le résultat est juridiquement indifférent : il importe peu que l’auteur soit parvenu à ses fins, seule compte l’intention de porter atteinte à la liberté sexuelle d’autrui. Une nouvelle fois, l’on peut douter de l’opportunité de distinguer de la sorte une forme supplémentaire de harcèlement. L’incrimination d’un moyen contraignant exercé dans le but d’obtenir un acte sexuel se rapproche en effet de la tentative d’agression sexuelle (punie spécialement par l’article 222-31 du Code pénal).

En définitive, le législateur propose deux variantes de harcèlement sans réellement définir ce qu’est le harcèlement sexuel. Cela soulève nécessairement des difficultés d’interprétation et d’articulation entre ces deux comportements et les autres infractions du Code pénal. Notons par ailleurs que le Droit du travail définit de manière semblable, dans ses deux manifestations, le harcèlement sexuel (C. trav., art. L1153-1). La discrimination commise à la suite d’un harcèlement sexuel est punie d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende, tandis que tout salarié ayant commis des agissements de harcèlement sexuel est passible de sanctions disciplinaires (C. trav., art. L1153-6, L1155-2).

Quelles sont les preuves aujourd’hui reconnues par la justice dans le cadre du harcèlement sexuel ?

 La question de la preuve cristallise les difficultés évoquées. En procédure pénale, la preuve est libre et l’intérêt supérieur de la manifestation de la vérité justifie la possibilité, pour les particuliers, de produire tout élément de preuve, même obtenu de manière déloyale. Cette preuve sera soumise à un débat contradictoire et le juge l’appréciera selon son intime conviction. SMS, courriels, échanges téléphoniques, témoignages, etc. sont autant d’éléments admis en justice. Cette liberté s’épuise toutefois face aux difficultés d’appréciation des éléments de l’infraction. Comment, par exemple, apprécier la notion de « connotation sexuelle » ? En elle-même ou selon le ressenti, nécessairement subjectif, de la victime ? Où fixer le seuil d’inconvenance ? Où s’arrête la séduction maladroite ou l’audace ? En visant l’atteinte à la « dignité de la victime » et non de la personne humaine, le législateur fait de chacun l’arbitre de ce qu’il subit et de ce qu’il peut supporter. De même, comment apprécier le caractère « humiliant » ou « dégradant » de la situation créée ? En fonction de ce que ressentirait une « victime moyenne » ou des impressions de celui ou celle qui se prétend victime ? Quid d’une ambiance « simplement » malsaine ?

Par ailleurs, la référence au but « réel ou apparent » de l’obtention d’un acte sexuel pose nécessairement question d’un point de vue probatoire. Est-ce à dire qu’une apparence, même trompeuse, suffit à engager la responsabilité de l’auteur sans que la preuve d’une intention réelle ne soit rapportée ? Une telle affirmation se réaliserait au mépris de la présomption d’innocence et doit être écartée car certainement contraire à l’esprit de la loi. Il revient alors au juge d’apprécier les dénégations du prévenu (lequel invoquera, pourquoi pas, une plaisanterie) et la conformité de l’apparence à la réalité de ses intentions sur la base d’indices objectifs. La preuve sera d’autant plus difficile à rapporter qu’il faut encore établir une « forme de pression grave », sans que l’on ne sache ce qui est grave et ce qui ne l’est pas. Bref, en voulant bien faire, à vouloir trop faire, le législateur ouvre la voie, sinon aux présomptions à l’égard de l’auteur, à l’impunité de celui-ci, en guise de revers.

 Par Pauline Le Monnier de Gouville