Nicolas Molfessis, professeur à l’Université Panthéon-Assas, secrétaire général du Club des juristes, décrypte les déclarations d’Emmanuel Macron devant le Congrès sur l’inflation législative et l’office de la loi.

 Emmanuel Macron, lors de son discours à Versailles a déclaré que : « La loi n’est pas faite pour accompagner servilement les petits pas de la vie de notre pays. Elle est faite pour en encadrer les transformations profondes, les débats essentiels et donner un cap. Elle accompagne de manière évidente les débuts d’un mandat. Mais légiférer moins ensuite, c’est donner plus d’attention aux textes fondamentaux… C’est cela le rôle du Parlement. Légiférer moins, c’est mieux allouer le temps parlementaire, c’est réserver ce temps au contrôle et à l’évaluation. Je sais que nombre d’entre vous y ont déjà réfléchi ».

« Pour lutter contre l’inflation législative, il faut faire évoluer les missions des parlementaires »

Emmanuel Macron a consacré une partie de son discours de Versailles à évoquer l’office de la loi, soulignant que « la loi ne devait pas accompagner servilement les petits pas de la vie de notre pays ». Faut-il se réjouir d’une telle déclaration ?

A priori il faut évidemment se féliciter de ce type de déclaration. Il y a des relents de Portalis dans cette affirmation. Dans son discours préliminaire du projet de Code civil, il avait esquissé une théorie des rapports entre la loi et les faits, qui résonne ici. La loi doit-elle essayer de suivre pas à pas l’action des hommes ? Ce serait un objectif vain expliquait Portalis : « Comment enchaîner l’action du temps ? Comment s’opposer au cours des événements, ou à la pente insensible des mœurs ? Comment connaître et calculer d’avance ce que l’expérience  seule peut nous révéler ? La prévoyance peut-elle jamais s’étendre à des objets que la pensée ne peut atteindre ? Un code, quelque complet qu’il puisse paraître, n’est pas plutôt achevé, que mille questions inattendues viennent s’offrir aux magistrats. Car les lois une fois rédigées demeurent telles qu’elles ont été écrites. Les hommes, au contraire, ne se reposent jamais ; ils agissent toujours : et ce mouvement, qui ne s’arrête pas, et dont les effets sont diversement modifiés par les circonstances, produit, à chaque instant, quelque combinaison nouvelle, quelque nouveau fait, quelque résultat nouveau ». Le Président de la République a raison d’affirmer que la loi ne doit pas « accompagner servilement » ; elle doit en effet précéder l’évolution d’une société, la permettre et la favoriser. Elle est un programme d’action pour l’avenir, et non le produit de réactions aventureuses à ce qui s’est déjà passé. Mais entre les déclarations au Congrès et les actes, il y a souvent un écart. C’est là que tout se jouera…

Le Président Macron souligne aussi la nécessité de légiférer moins. Là aussi, il faut s’en réjouir ?

C’est évident. Le trop plein de lois est dénoncé de toutes parts depuis plus d’un quart de siècle dans notre pays. La France souffre d’un étouffement normatif qui sclérose l’activité humaine, provoque un sentiment d’angoisse face à la norme, réfrène les initiatives et les envies. Le droit, qui devrait libérer les énergies et façonner une société meilleure et plus sûre, devient souvent oppressant. Chacun le subit dans sa vie quotidienne : face aux règles qui pèsent sur nous, nous étouffons. On n’y perd pas que du temps, car le moteur même de l’activité dépend de la législation. Les entreprises en font ainsi l’amère expérience, surtout les PME qui n’ont pas la possibilité, comme les grandes entreprises, d’être dotées de cohortes de juristes pour faire face à la norme. La législation a un rôle essentiel à jouer dans l’attractivité et la compétitivité de notre pays. Ceci dit, il faut noter que le Président de la République fait ici une distinction entre le début du mandat, qui n’échappera pas à la loi, et la suite. La diète n’est pas pour tout de suite. D’abord on réforme. C’est logique, mais là encore, on verra à l’usage. Il n’est pas facile aux gouvernants de savoir maîtriser leurs pulsions législatives.

C’est terrible à dire, mais il faut presque désormais considérer l’option législative comme une mauvaise solution a priori, et la loi comme un mal. Dans notre pays qui cultive tant l’amour des lois, il faut prendre acte du fléau que constitue l’inflation normative. Les pouvoirs publics ont bien d’autres modes d’action. Que l’exécutif installe rapidement le nouvel univers législatif qui doit servir de cadre à son action, pour ensuite relâcher la pression normative et mettre fin au « turn-over » législatif.

Que faut-il entendre par l’affirmation selon laquelle « légiférer moins, c’est mieux allouer le temps parlementaire… » ?

Le Président vise ici, en creux, l’activisme législatif des parlementaires, principal responsable des dérèglements actuels. Car si l’inflation législative est un phénomène désormais bien installé, ses causes et sa traduction ont en réalité considérablement évolué ses dernières années. Aujourd’hui, le principal problème relève du Parlement plus que de l’exécutif. Le nombre des amendements votés par texte de loi est devenu gigantesque. Par suite, la taille des lois, entre le dépôt au Parlement et la sortie du processus législatif, s’en trouve souvent multipliée par trois ou quatre. La loi de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique est entrée au Parlement en août 2016 avec 15 articles, elle en est ressortie en février 2017 avec 148 articles. La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte est passée, quant à elle, de 64 à 215 articles en moins d’un an de processus parlementaire ; celle du 6 août 2015 pour l’activité la croissance et l’égalité des chances économiques comprenait 106 articles lors de son dépôt au Parlement et en comptera 308 lors de sa promulgation, celle du 26 janvier 2016 de modernisation du système de santé comptait 57 articles au départ pour finir avec 227 articles, etc.

Les causes de cet activisme sont diverses. Mais la principale est bien humaine : les parlementaires doivent montrer qu’ils existent. Dans un quinquennat au cours duquel sont votés un peu plus de 250 textes pour 577 députés, on comprend que la majorité des députés ne pourra même pas rapporter sur un texte de loi au cours du mandat. Voilà pourquoi l’amendement est devenu le signe de l’existence même du parlementaire. L’enjeu, si l’on veut faire évoluer les choses, est donc de trouver comment occuper 577 députés, au surplus interdits de cumul de mandats. Pour cela, il faut rapidement faire évoluer les missions des parlementaires, savoir leur faire comprendre qu’ils n’ont pas pour seule fonction de créer de la norme. D’où la référence, dans le discours du Président Macron, au contrôle et à l’évaluation des textes, qui servira non seulement à mieux légiférer mais aussi à moins légiférer. Le constat est là ; restent les réalisations.

Par Nicolas Molfessis