Nicolas Molfessis et Didier Rebut, Professeurs à l’Université Paris II Panthéon-Assas, décryptent la possible mise en examen de François Fillon, prévue le 15 mars prochain.

« La convocation devant le juge d’instruction est une étape logique de la procédure, que n’empêche pas le statut de M. Fillon »

Le statut du parlementaire empêche-t-il une convocation à des fins de mise en examen ?

Il faut distinguer deux notions, toutes deux protectrices du parlementaire et de son immunité.

La première se manifeste par son irresponsabilité. Elle vise à soustraire les parlementaires à toute poursuite pour les actes liés à l’exercice de leur mandat. Elle est posée par la Constitution dans son article 26, premier alinéa, qui dispose qu’« aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ». Elle concerne les interventions et votes, propositions de loi, amendements, rapports ou avis, questions, actes accomplis dans le cadre d’une mission confiée par les instances parlementaires. Elle n’est pas en cause dans la décision de ne pas se rendre à une convocation judiciaire même si la défense de F. Fillon fait valoir qu’il ne devrait pas être responsable pour ce qui concerne l’emploi de son assistant parlementaire.

Ce qui est ici en cause, c’est l’inviolabilité qui protège le parlementaire. Elle vise à éviter, comme l’explique le site de l’Assemblée nationale, que l’exercice du mandat parlementaire ne soit entravé par certaines actions pénales pour des actes accomplis par les députés en tant que simples citoyens. Elle réglemente les conditions dans lesquelles s’exerce l’action pénale pour les actes étrangers à leur fonction. A ce titre, le député ne peut faire l’objet d’une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté (contrôle judiciaire) sans l’autorisation du Bureau, sauf les cas de crime ou délit flagrant, ou de condamnation définitive. L’inviolabilité est exclusivement attachée à la personne des parlementaires. Cela concerne les mesures d’arrestation ou celles qui sont privatives ou restrictives de liberté. Cela n’empêche donc pas les perquisitions.

De même, l’inviolabilité ne protège pas les membres de la famille et les tiers.

Depuis la réforme du 4 août 1995, le régime de l’inviolabilité ne protège plus le député contre l’engagement de poursuites et donc une mise en examen.
Il reste que pour être mis en examen, M Fillon doit non seulement être convoqué mais aussi se rendre à la convocation.

Aurait-il pu refuser de se rendre à sa convocation ?

La convocation par un juge d’instruction aux fins de mise en examen est obligatoire, ce qui signifie que la personne concernée doit y répondre. Le juge d’instruction peut donc recourir à la force publique et faire amener cette personne devant elle si elle n’a pas répondu à une première convocation. Il délivre alors, selon les cas, un mandat d’amener ou un mandat d’arrêt qui sont des ordres donnés à la force publique d’arrêter une personne et de la faire comparaître devant lui.

En pratique, il est très rare, sauf pour les personnes en fuite, que le juge d’instruction recoure à la force publique pour faire comparaître une personne qui n’a pas répondu à sa convocation. Il dresse plutôt un procès-verbal de non comparution et procède à une nouvelle convocation. Les personnes convoquées pour être mises en examen finissent en effet toujours par y répondre.
M. Fillon est dans une situation particulière : il est protégé par son inviolabilité parlementaire contre toute décision de recours à la force publique qui viserait à le contraindre à comparaître aux fins de mise en examen. L’article 26 de la Constitution, comme on l’a vu ci-dessus, interdit en effet qu’un parlementaire fasse l’objet d’une mesure d’arrestation, ce que serait précisément l’exécution d’un mandat à son encontre, pendant la durée de son mandat. Il s’ensuit que les juges d’instruction n’avaient pas la possibilité de délivrer un mandat contre M. Fillon s’il ne répondait pas à leur convocation.

Le refus de M. Fillon de répondre à sa convocation aux fins de mis en examen aurait empêché qu’elle ait lieu puisque la mise en examen ne peut intervenir qu’en présence de la personne concernée. La mise en examen est un acte contradictoire qui se fait en présence de cette personne. Le juge d’instruction est donc dans l’impossibilité de mettre une personne en examen si elle ne comparait pas.

Puisque la mise en examen est possible, le refus de se rendre à la convocation se serait présenté comme une forme d’opposition à la justice. M. Fillon a choisi clairement de ne pas faire obstacle à la justice et a annoncé qu’il se rendrait à cette convocation. Il dénonce la manière dont la procédure avance et se déroule, sans s’y opposer frontalement.

Il faut dire que le refus de se rendre à la convocation aurait compliqué beaucoup la procédure Il aurait fallu procéder à une demande auprès du Bureau de l’Assemblée pour imposer le recours à la force publique afin que le député soit amené devant le juge.

François Fillon a critiqué que l’on n’ait pas permis à ses avocats de saisir la chambre de l’instruction pour qu’elle examine ses arguments, est-ce justifié ?

Il n’y a aucune anomalie sur ce point. La saisine de la chambre de l’instruction est réservée aux seules personnes ayant un statut dans l’information judiciaire, lesquelles sont uniquement les personnes mises en examen, les témoins assistés et les victimes qui se sont constituées parties civiles. Une personne suspecte ne peut pas saisir la chambre de l’instruction avant d’avoir été mise en examen. C’est seulement après cette mesure qu’elle peut le faire.

En l’occurrence, M. Fillon n’a toujours pas de statut dans l’information judiciaire qui a été ouverte vendredi dernier. Il acquerra ce statut avec sa mise en examen ou, si les juges décident de ne pas le mettre en examen, avec son placement sous le statut de témoin assisté. C’est alors qu’il pourra saisir la chambre de l’instruction et lui demander de se prononcer sur les arguments de droit qu’il avance pour contester les poursuites dont il fait l’objet.

Par Nicolas Molfessis et Didier Rebut