Laurence Burgorgue-Larsen, Professeur de droit public à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne décrypte l’enquête concernant Marine Le Pen au Parlement Européen.

 « Le parquet de Paris est compétent pour enquêter sur les activités des assistants parlementaires du Front National au Parlement Européen »

 Que reproche l’Organe de Lutte Anti-Fraude à Marine Le Pen ?

 Créé en 19991, l’Office européen de lutte anti-fraude (OLAF), a pour fonction de protéger les intérêts financiers de l’Union européenne : il considère que la présidente du Front national a indûment utilisé les deniers européens en recrutant et payant des assistants qui, au lieu d’effectuer un travail parlementaire relié au mandat de député européen de Marine Le Pen, ont en réalité travaillé pour les intérêts du seul Front national. Dans ce cadre, l’OLAF a constaté un détournement des fonds européens à une hauteur de 339.946 euros.

 Cette intervention de l’OLAF fait partie d’une de ses trois fonctions principales.

Il protège en effet les intérêts financiers de l’Union de trois manières : en apportant son soutien à la Commission européenne dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques de prévention et de détection des fraudes ; en enquêtant  en général sur la fraude, la corruption et toute autre activité illégale2; en recherchant et en enquêtant de façon spécifique sur les manquements professionnels graves des membres des institutions et organes de l’Union européenne susceptibles de faire l’objet d’une procédure disciplinaire ou pénale (article 4 du règlement n°883/2013 du Parlement et du Conseil du 11 septembre 2013)3

C’est dans le cadre de cette dernière fonction que l’OLAF, saisi conformément à l’article 5-2 in fine du Règlement de 20134 par le président du Parlement européen Martin Schulz, a enquêté sur les pratiques professionnelles de Marine Le Pen relatives au recrutement et aux finalités réelles du travail de ses assistants.

  L’OLAF peut-il réellement contraindre M. Le Pen à rembourser les sommes évoquées ?

 Si l’OLAF a le pouvoir d’enquêter sur des allégations de fraude au détriment du budget de l’Union européenne qui ont pour origine des manquements graves impliquant des membres du personnel des institutions et des organes de l’UE, il s’avère que le recouvrement des fonds ainsi que l’ouverture et la conduite des procédures disciplinaires relèvent de l’institution concernée.

Autrement dit, ce n’est pas l’OLAF qui, comme tel, pourra recouvrer les fonds qui ont été indûment utilisés par Mme Le Pen, mais ce sera le Parlement européen qui devra procéder au recouvrement des sommes frauduleusement utilisées, à savoir l’institution de l’UE au sein de laquelle Mme Le Pen évolue en tant que député. Ayant refusé de procéder au versement des sommes exigées, le Parlement européen a décidé d’opérer une retenue sur son traitement de député.

Pourquoi la justice française peut-elle se saisir de faits relevant du Parlement européen ?

 Toute l’efficacité de l’action de l’OLAF repose sur une étroite collaboration avec plusieurs acteurs clés. Ceux des instances internationales (l’ONU, la Banque mondiale, la Banque interaméricaine pour le développement, l’OCDE notamment) ; de l’Union européenne (les institutions, organes et organismes de l’Union) et, bien entendu, ceux des Etats membres eux-mêmes, les juridictions nationales et autres institutions administratives.

 Dans ce contexte et contrairement à la procédure de recouvrement et au lancement d’une procédure disciplinaire (à la charge de l’institution au sein de laquelle le manquement professionnel a été contacté), l’ouverture et la conduite d’une procédure pénale à l’encontre d’un membre d’une institution, organe ou organisme de l’Union, ne peut être engagée que par un Etat membre compétent pour juger la personne mise en cause, et ce dans l’attente de l’éventuelle création d’un « Parquet européen », comme le désire la Commission européenne (Proposition de la Commission de 2013, COM(2013) 534 final).

 Le Parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire relative aux activités des assistants parlementaires du Front national au Parlement européen sur la base de l’existence d’un possible  « abus de confiance » tel que défini à l’article 314-1 du code pénal5. Le Parquet a justifié sa compétence au regard de l’implantation, sur le territoire français (Strasbourg), du Parlement européen.

Par Laurence Burgorgue-Larsen

1 Par la décision 1999/352/CE, CECA, Euratom, JO L 136 du 31 mai 1999, p.20

2 Selon les informations officielles découlant du Rapport annuel de l’OLAF pour 2015 (p.17, Figure n°10), le secteur des fonds structurels et sociaux est celui où la fraude est la plus importante.

3 Article 4 du règlement n°883/2013 du Parlement et du Conseil du 11 septembre 2013

4 Article 5-2 in fine du règlement n°883/2013

5 Article 314-1 du Code pénal