Julie Klein, Professeur de droit à l’Université de Rouen, décrypte l’allongement des délais de prescription applicables aux crimes sexuels commis sur les mineurs.

Flavie Flament et Jacques Calmettes remettent ce lundi 10 avril à Laurence Rossignol, Ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes leur rapport sur le délai de prescription applicables aux crimes sexuels commis sur les mineurs. 

« L’allongement du délai de prescription à 30 ans proposé par le Rapport pourrait se retourner contre les victimes lorsqu’elles ne seront pas en mesure d’apporter la preuve des faits » 

Quelle est l’origine de ce rapport ?

Dans un livre publié à l’automne dernier, l’animatrice de télévision F. Flament avait affirmé avoir été violée à l’âge de 13 ans par un célèbre photographe identifié depuis, à la suite d’autres témoignages, comme étant David Hamilton. Elle dénonçait le fait de ne plus pouvoir porter plainte contre lui, son action étant éteinte du fait de la prescription.

Devant l’émotion suscitée, la Ministre en charge des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, Laurence Rossignol, avait annoncé, le 22 novembre dernier, avoir confié à l’animatrice une mission de consensus sur les délais de prescription.

Cette mission, codirigée par Jacques Calmettes, magistrat honoraire, a entendu durant trois mois les acteurs du monde judiciaire, des victimes, des psychiatres et des neurologues. Elle remet aujourd’hui son rapport.

Quelles sont les règles de prescription actuellement applicables aux crimes sexuels commis sur les mineurs ? En quoi peuvent-elles paraître insuffisantes ?

La prescription applicable aux crimes sexuels commis sur les mineurs est déjà dérogatoire au droit commun. La loi Perben II, en 2004, a porté la prescription des viols et agressions sexuelles sur mineurs à vingt ans à compter de leur majorité (art. 8 c. proc. pen.). La récente réforme de la prescription pénale n’a pas modifié le régime de la prescription des crimes sexuels sur mineurs. Une personne qui a subi un viol dans son enfance a donc jusqu’à l’âge de 38 ans pour saisir la justice.

La difficulté tient à ce qu’un phénomène d’amnésie post-traumatique, dont l’existence est désormais scientifiquement admise, peut conduire la victime à ne prendre conscience des faits que de très nombreuses années après leur commission, à une époque où l’action publique est déjà prescrite. Dans une telle hypothèse, la victime ne peut plus agir, comme l’a affirmé le 18 décembre 2013 la Chambre criminelle de la Cour de cassation (pourvoi n° 13-81129) dans une affaire où une femme abusée dans son enfance n’avait pris conscience des faits que 34 ans plus tard.

L’opinion publique se satisfaisant de moins en moins du fait que l’écoulement du temps puisse conduire à ce que la victime se voit fermer les portes de la justice et à ce que l’auteur des faits lui échappe, la prescription des crimes sexuels commis sur les mineurs est généralement jugée insatisfaisante.

Comment peut-on améliorer le régime de prescription des crimes sexuels commis sur les mineurs ? Quelles sont les principales mesures proposées par le rapport ?

Face au désarroi des victimes, trois voies de réforme de la prescription des crimes sexuels commis sur les mineurs peuvent être proposées :

La première consiste en une suppression pure et simple de la prescription en la matière, les crimes sexuels sur mineurs devenant alors imprescriptibles. Cette mesure – radicale puisqu’en l’état du droit positif seuls les crimes contre l’humanité échappent à la prescription (art. 7 al. 3 c. proc. pen.) – est soutenue par de nombreuses associations.

Celles-ci font valoir l’exemple des droits étrangers ignorant la prescription des délits sexuels sur mineurs (Angleterre, Suisse par ex.), et peuvent se prévaloir désormais d’un précédent américain. En effet, en septembre 2016, à la suite de l’affaire Bill Cosby, accusé par des dizaines de femmes d’agressions sexuelles qui remontaient pour certaines d’entre elles aux années 1960, l’Etat de Californie a supprimé le délai de prescription pour les crimes sexuels. Il faut toutefois remarquer que l’ensemble de ces pays n’accordent pas à la prescription la même importance que le droit français, qui en fait une institution fondamentale du procès pénal.

La seconde consiste, tout en conservant le délai de prescription actuel, à reporter le point de départ du délai de prescription au jour où la victime prend conscience des faits, et est en mesure d’agir.

Une telle voie avait par exemple été soutenue par la Sénatrice Chantal Jouanno dans une proposition de loi déposée en 2014 qui visait à modifier le régime de prescription de l’action publique en matière d’infractions sexuelles. Elle revient, indirectement, à rendre l’action quasi-imprescriptible en permettant à toute victime d’agir de très nombreuses années après les faits dès lors qu’elle sera en mesure de démontrer qu’en raison d’une amnésie post-traumatique par exemple, elle n’était pas en mesure d’agir avant.

La troisième consiste, tout en conservant le principe d’une prescription de l’action publique en matière d’infractions sexuelles sur mineurs, à allonger la durée du délai de prescription.

C’est une telle voie, bien plus mesurée que les deux premières, que propose ici d’adopter le rapport en portant le délai de prescription de 20 à 30 ans. La mesure proposée décevra sans doute les tenants d’une approche plus radicale de la question de la prescription des infractions sexuelles sur mineurs. Elle permet cependant d’améliorer la situation des victimes face à la prescription, tout en préservant les principes directeurs du droit pénal. Si elle était adoptée, cette mesure autoriserait la victime à agir jusqu’à ses 48 ans, soit parfois plus de quarante ans après les faits.

Il demeure néanmoins que pouvoir intenter l’action n’est pas tout. Pour obtenir une condamnation, il faut encore établir la réalité de l’infraction, ce qui suppose que des preuves puissent être réunies. Or, la collecte des preuves, y compris par témoignages, résiste mal à l’épreuve du temps. Le danger est alors que l’allongement du délai de prescription, par faveur pour les victimes, ne se retourne contre elles dans les cas où, après un long parcours judiciaire, elles se trouveraient déboutées faute de preuve. Les espoirs de condamnation déçus risquent alors d’avoir de graves conséquences sur leur reconstruction.

Le rapport remis à la Ministre sur le délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur les mineurs ajoute à cette proposition principale une autre proposition, plus originale. S’inspirant d’une pratique mise en place par le parquet du TGI du Paris, il est suggéré que, même quand l’action s’avère prescrite, une enquête puisse néanmoins être ouverte et les personnes ayant subi des violences sexuelles lorsqu’elles étaient mineures entendues par la justice.

Il contient également une série de recommandations visant à améliorer l’accompagnement des victimes, notamment leur suivi médical, dont certaines figurent d’ores et déjà dans le plan interministériel de lutte contre les violences faites aux enfants (2017-2019) et pourront donc être mise en œuvre rapidement.

L’allongement du délai de prescription supposera en revanche l’intervention du législateur. Alors même que celui-ci vient d’adopter une réforme de la prescription pénale de grande ampleur, il n’est pas certain qu’il se saisisse à nouveau rapidement de la question de la prescription.

Par Julie Klein