Jeudi 25 mai dernier, La République en marche a décidé de déposer un recours contre le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, celui-ci lui accordant une durée d’antenne jugée trop faible pour la diffusion de ses clips de campagne, dans le cadre des élections législatives. A titre de comparaison, les durées des autres partis sont beaucoup plus importantes. Le juge des référés du Conseil d’Etat a décidé de transmettre cette question prioritaire de constitutionnalité au Conseil Constitutionnel, qui s’est prononcé le 31 mai.

Jean-Pierre Camby, Professeur associé à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, décrypte cet avis rendu par le Conseil Constitutionnel.

« Le caractère inédit de l’élection d’un Président soutenu par un mouvement de création récente rend l’application de la loi difficilement compatible avec l’expression équilibrée des forces politiques en présence »

 Pourquoi revient-il au Conseil Constitutionnel de prendre une décision à ce stade dans ce dossier ?

 Le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi en tant que juge électoral : il n’admet à ce titre sa compétence « exceptionnelle » avant le déroulement de l’élection que pour des actes dont l’absence de contrôle créerait des conséquences graves au plan institutionnel, si le juge devait ensuite annuler un nombre trop important d’élections du fait de l’irrégularité globale de la consultation. Tel est par exemple le cas du décret portant convocation des électeurs. Mais cette jurisprudence « Delmas » du 11 juin 1981 n’est pas applicable à l’organisation de la campagne audiovisuelle officielle. La loi qui organise celle-ci prévoit depuis son origine, le 29 décembre 1966, un critère unique selon que les formations politiques sont représentées par un groupe dans l’Assemblée sortante, auquel cas ces formations se partagent trois heures d’émissions officielles ou ne sont pas représentées de la sorte mais présentent au moins 75 candidats aux élections, ce seuil étant de nature à vérifier que l’organisation dispose d’une assise suffisante au plan national. Dans ce second cas, la loi prévoit une durée d’émission de sept minutes au premier tour, cinq au second.

Le CSA ne peut que tirer les conséquences du fait que le parti En marche, même s’il présente des députés sortants, n’a pas été représenté par un groupe parlementaire. La loi est dépourvue d’ambiguïté et ne laisse pas de marge d’appréciation.

En marche, en attaquant en référé devant le Conseil d’Etat la décision du CSA a assorti sa demande d’annulation d’une QPC en estimant qu’une telle attribution de temps d’émission, sans rapport avec la place de ce parti aujourd’hui, est susceptible de porter atteinte à l’expression pluraliste des opinions et à la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation, garanties par le troisième alinéa de l’article 4 de la Constitution.

Le Conseil agit donc non en tant que juge des élections à l’Assemblée nationale, mais comme juge de la conformité à la Constitution de la loi électorale, sur renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité par le juge des référés.

Quelle serait la possibilité de rendre la législation plus rapide dans son processus d’adaptation et de réactivité par rapport aux différents événements politiques ?

  Sur ce plan la décision est satisfaisante : elle est rendue dans des délais et avec une application différée tels qu’ils permettent la mise en place d’une nouvelle grille d’émissions. Sur le fond, le Conseil a effectivement retenu que la loi pouvait conduire à « l’octroi de temps d’antenne sur le service public manifestement hors de proportion avec la participation à la vie démocratique de la Nation de certains partis et groupements politiques. » La distorsion entre le succès électoral d’Emmanuel Macron, manifestation la plus récente et la plus mobilisatrice du suffrage universel, et le temps que le « parti du Président » obtient par l’application de la loi est en effet manifeste. Cette situation est nouvelle : aucun des Présidents élus depuis 1966, et aucun de leurs rivaux du second tour – à l’exception de Jean Marie Le Pen en 2002- ne manquaient du soutien de partis représentés par un groupe parlementaire préexistant.

Le caractère inédit de l’élection d’un Président soutenu par un mouvement de création récente rend l’application de la loi difficilement compatible avec l’expression équilibrée des forces politiques en présence, d’autant que le parti soutenant son adversaire du second tour n’est pas, lui non plus, représenté par un groupe parlementaire.  Mais faut-il modifier la loi autrement qu’à la marge ? La distorsion provient aussi du fait que les partis, au plan légal, n’interviennent pas dans les candidatures à l’élection présidentielle : celles-ci s’établissent à partir du soutien d’au moins cinq cent élus individuels. On ne trouve donc pas trace juridique des partis et groupements politiques dans le processus de désignation des candidats, reposant au contraire sur la conception d’un Président « au-dessus » des partis politiques, même s’ils concourent de manière évidente à l’élection. En Marche a d’ailleurs été créé en vue de l’élection présidentielle. En revanche, ce sont bien les partis qui apparaissent au plan législatif pour le partage des temps d’émissions de la campagne audiovisuelle.

Le raisonnement, fondé sur la disproportion entre la représentativité de certaines forces politiques – on ne peut pas dissocier la situation d’En Marche de celle du Front national, voire du Front de gauche, puisque le parti communiste est représenté par un groupe selon la décision du CSA, sans même citer d’autres partis –   et le temps d’émission auquel elles ont droit, est étayé.  Mais le réalisme a conduit le Conseil constitutionnel, à différer les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité, ce qui va amener le Conseil d’Etat, ou à défaut le CSA, à devoir établir une répartition plus équitable, alors que l’établissement des critères relève de la seule compétence du législateur. Nécessité fait loi, de manière transitoire ! Dans l’immédiat, le dépassement de temps « extra légal » pour les formations non représentées à l’Assemblée sortante ne peut excéder cinq fois le temps inscrit dans la loi, sans d’ailleurs que le Conseil justifie cette limite.

  Comment remédier au plan législatif à cette situation ?

 Le Conseil constitutionnel, sans demander au législateur d’abandonner le critère tiré de l’existence d’un groupe parlementaire, souhaite qu’il soit complété. Il ouvre une piste en mentionnant « la prise en compte de l’importance du courant d’idées ou d’opinions que les partis représentent, évaluée en fonction du nombre de candidats qui déclarent s’y rattacher et de leur représentativité, appréciée notamment par référence aux résultats obtenus lors des élections intervenues depuis les précédentes élections législatives ».

On peut douter que des critères incontestables puissent être clairement dégagés dans l’urgence à partir d’une telle piste, qui retient « notamment » les résultats obtenus lors de précédentes consultations électorales. Faut-il mettre sur un pied d’égalité l’élection la plus récente – et alors selon quelle pondération- les résultats du premier et du second tour – alors même que l’élection présidentielle met en compétition des candidats individuels et non des partis- et les élections antérieures locales ou européennes ? Comment tenir compte de l’équilibre entre majorité et opposition ? Les résultats des primaires sont-ils une mesure de représentativité ? Ces mêmes critères ne risquent-ils pas de s’appliquer à d’autres notions, comme celle de l’équité entre les candidats à l’élection présidentielle, ou à d’autres consultations, comme un référendum ?

En abandonnant le caractère exclusif de la représentativité parlementaire, qui, certes n’est pas satisfaisant en ce qu’il confère une prime aux sortants et n’empêche pas des distorsions manifestes entre la place résultant de la victoire à l’élection présidentielle et celle prévue par la loi pour un parti nouveau, on abandonne du même coup la simplicité du système. Les nouveaux critères, même s’ils ne devaient être que complémentaires de celui inscrit dans la loi depuis 1966, ne seront pas faciles à trouver. Le respect du pluralisme ne saurait non plus se résumer à donner davantage de temps d’émission au seul vainqueur de la compétition électorale la plus récente.

Par Jean-Pierre Camby