Le projet de loi d’habilitation présenté mercredi 28 juin par la Ministre du Travail prévoit un « référentiel obligatoire » pour les licenciements sans cause réelle et sérieuse. Or le plafonnement destiné à protéger les TPE/PME avait fait l’objet d’une censure du Conseil Constitutionnel  le 5 août 2015 ….

  Explications de Jean-Emmanuel Ray, professeur à l’Ecole de droit de Paris I – Sorbonne et membre du Club des Juristes.

 « Un plafonnement en forme de conflit des logiques »

Pourquoi ce thème fait-il  la Une de l’actualité sociale depuis deux ans ?

Car il cristallise une radicale opposition, voire un conflit des logiques.

Côté entreprises, tout patron de PME ou de TPE a un exemple de collègue qui, pour une faute vénielle dans la lettre de licenciement, un obscur pour lui mécanisme probatoire (ex : déclaration de caméra à la CNIL), voire en application de la règle « en cas de doute, il profite au salarié », a été condamné à des dizaines de mois de dommages-intérêts par un Conseil des Prud’hommes mais aussi par la Cour d’appel locale, qui alourdit souvent la sanction  fixée par l’institution paritaire. De quoi mettre en péril leur petite entreprise, les dégoûter d’embaucher…et privilégier la rupture conventionnelle homologuée, très utilisée par les  petits patrons. Rappelons que les PME forment l’essentiel du contentieux prud’homal, dont 80% des affaires portent sur des licenciements pour motif personnel.

« Les lois sont semblables aux toiles d’araignée, attrapant les petites mouches mais laissant passer les frelons » (J. Swift) : les grandes entreprises, à l’égard desquelles  les juges ont souvent  la main plus lourde,  ont en amont le Service Juridique ou les conseils qu’il faut pour éviter ces bévues, et les finances  pour y faire face en aval.

Côté syndicats au contraire, peu importe les circonstances: une faute patronale ainsi judiciairement constatée qui a conduit un salarié et sa famille à Pôle Emploi mérite naturellement pleine et entière réparation. A fortiori s’agissant d’un collaborateur âgé, pour lequel son licenciement constitue en réalité son exclusion du marché du travail. 

Et ce feuilleton dure depuis plus de deux ans : dans sa loi du 6 août 2015 « pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques », un jeune Ministre des Finances avait déjà prévu de plafonner ces dommages-intérêts pour ne pas mettre en difficulté les TPE/PME, mais aussi pour harmoniser  les montants octroyés par les juges. 

Plafond, plancher, référentiel, barêmisation…. De quoi s’agit-il exactement ?

 En l’état, le projet veut fixer « un référentiel obligatoire, établi notamment en fonction de l’ancienneté, pour les dommages et intérêts alloués par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, à l’exclusion des licenciements entachés par une faute de l’employeur d’une particulière gravité ».  Mais ce texte pourrait évoluer car il appartient au dernier thème soumis à concertation du 10 au 21 juillet.

Ce « référentiel obligatoire » pourrait donc être un barême fixe (peu apprécié des juges et encore moins des syndicats), ou un plancher / plafond d’indemnisation.

Un plancher incompressible, en forme de peine privée, existe déjà depuis juillet 1973: des dommages-intérêts équivalents à moins six mois de salaire brut pour un collaborateur ayant plus de deux ans d’ancienneté dans une entreprise d’au moins 11 salariés. Plancher approuvé le 13 octobre 2016 par le Conseil Constitutionnel: voulant « éviter de faire peser une charge trop lourde sur les entreprises qu’il a estimées économiquement plus fragiles,  le législateur a  poursuivi un but d’intérêt général. Il a opéré entre, d’une part, le droit de chacun d’obtenir un emploi et le principe de responsabilité et, d’autre part, la liberté d’entreprendre une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée ». Le montant minimum de 1973 pourrait donc être revu.

Mais c’est  le plafonnement qui fait couler beaucoup d’encre.

Dans son projet de loi de 2015 « pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques », le jeune Ministre des Finances avait prévu de plafonner les dommages-intérêts dûs en cas de licenciement non fondé.

Le 5 août 2015, le Conseil Constitutionnel avait censuré les modalités envisagées, mais nullement le principe même d’un plafonnement: le législateur « devait retenir des critères présentant un lien avec le préjudice subi par le salarié (…) ; tel n’est pas le cas du critère des effectifs de l’entreprise »…mais « le critère de l’ancienneté est en adéquation avec l’objet de la loi »: critère retenu par l’actuel projet.

Et le Conseil avait indirectement apporté de l’eau au moulin du Ministre d’hier, aujourd’hui Président: « En aménageant les conditions dans lesquelles la responsabilité de l’employeur peut être engagée, le législateur a entendu assurer une plus grande sécurité juridique et favoriser l’emploi en levant les freins à l’embauche ; il a ainsi poursuivi des buts d’intérêt général ».

« Favoriser l’emploi en levant les freins à l’embauche » donne au gouvernement actuel une vraie marge de manœuvre.

Quelles seraient les éventuelles conséquences de ce référentiel ?

 On peut imaginer que les montants retenus devraient tourner autour du barème indicatif prévu par la même loi Macron du 5 août 2015 et son décret du 23 novembre 2016: un mois  pour les salariés avec une ancienneté inférieure à un an (ce qui n’incite guère à aller en justice), 6 mois au bout de 5 ans, 18 mois pour une ancienneté de 30 ans ; avec majoration d’un mois pour les salariés âgés de plus de 50 ans, et en cas de « difficultés particulières de retour à l’emploi ».

1- Ces niveaux d’indemnisation auront un impact dépassant largement le contentieux de la cause réelle et sérieuse : ainsi en cas de départ suivi d’une transaction, les parties auront une base objective de négociation la facilitant.

2- Le projet ne vise que le seul défaut de cause réelle et sérieuse, et exclut les «fautes de l’employeur d’une particulière gravité » : celles qui  portent atteinte à la personne même du salarié comme les discriminations et autres harcèlements. Or ce sont justement ces lourdes fautes, conduisant en principe à la nullité du licenciement, qui font aujourd’hui largement grimper l’indemnisation.

Effet collatéral à venir ? Pour le licencié de demain, une incitation à se placer sur ces terrains aux frontières parfois floues (la définition du harcèlement moral…), au droit probatoire extrêmement favorable au demandeur devant seulement « présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte » (L.1134-1), et fort redoutés des entreprises car  pénalement sanctionnés  et souvent  médiatisés.

3- Le texte ne vise ni la réparation d’un licenciement irrégulier dans la procédure, ni celui parfaitement régulier mais littéralement « abusif » dans sa mise en œuvre: ainsi de pratiques vexatoires lors de la rupture (bureau vidé avec sac poubelle devant la porte), ni la réparation d’un préjudice moral démontré par le salarié (Cf. CS, 2 février 2017, n° 15-26.892, F-D).

Une très récente jurisprudence  de la Chambre Sociale parait enfin fort dangereuse pour nos TPE/PME créatrices d’emploi: celle dite « du motif contaminant ». Au visa de l’article 6-1 de la CEDH, un petit patron licenciant un collaborateur pour des très bonnes raisons, bien détaillées dans la lettre, peut voir ce licenciement  annulé s’il y a évoqué la saisine d’un juge par le licencié. Ainsi dans l’arrêt du 8 février 2017, où ce collaborateur licencié pour faute lourde devra finalement  être réintégré car « le grief (de la saisine du Conseil des Prud’hommes),  s’il figure en tant que tel dans la lettre de licenciement, est constitutif d’une atteinte à une liberté fondamentale, et entraîne à lui seul la nullité du licenciement »…peu importe la gravité ou le nombre de fautes énoncées par ailleurs.

Or quelles entreprises commettent ces erreurs ? 

Swift, encore.

Par Jean-Emmanuel Ray