Jean-Christophe Barbato, Professeur  de droit à l’Université de Nantes, Chaire Jean Monnet, décrypte une éventuelle sortie de la France de la zone Euro. 

« Une sortie de l’euro serait illégale et exposerait la France à des recours en manquement devant la Cour de Justice de l’Union européenne »

La sortie d’un Etat de la zone Euro est-elle envisagée par les traités européens ?

Si les règles d’entrée dans la zone euro sont précisément déterminées par le Traité de Lisbonne (art. 140 TFUE), ce dernier, pas plus que ses prédécesseurs, ne prévoit de procédure pour se retirer de la monnaie unique.

Non seulement ce n’est pas prévu mais en l’état actuel de l’Union européenne, ce n’est pas permis. Une telle décision irait à l’encontre des nombreuses dispositions issues du Traité et du droit dérivé relatives à l’euro. Elle remettrait ainsi en cause la compétence exclusive dont bénéficie l’Union pour la politique monétaire des Etats de la zone euro (art. 3 TUE).
Elle serait également en contradiction avec les dispositions du règlement n°974/98 concernant l’introduction de l’euro qui prévoit notamment que l’euro est la monnaie française. De manière plus générale, autoriser une sortie de l’euro reviendrait à permettre à un Etat de modifier unilatéralement ses engagements européens, ce qui est évidemment interdit.

Pour devenir légal, l’abandon de l’euro par un Etat nécessiterait une modification préalable du texte des traités, ce qui ne peut se faire qu’à l’unanimité des Etats membres quelle que soit la procédure de révision employée.

En l’état actuel, la seule possibilité offerte aux Etats pour se retirer légalement de la monnaie unique consiste à partir complètement de l’Union européenne. Un tel droit de retrait est en revanche reconnu par le Traité (art. 50 TUE). C’est ce droit qui va être employé par le Royaume-Uni dans le cadre du Brexit.

Le Traité n’offre pas non plus à l’Union européenne la possibilité de forcer un de ses Etats membres à quitter la zone euro. Ce scénario avait cependant été évoqué dans le cas de la Grèce. Il aurait suffi à la BCE de refuser de verser des financements d’urgence à la République Hellénique. Cette dernière se trouvant alors dans la nécessité de renflouer ses banques et de payer ses fonctionnaires aurait dû émettre à nouveau une monnaie nationale puisque seule la BCE peut autoriser l’émission d’euros. L’Union aurait alors contraint un de ses Etats membres à commettre une violation de ses engagements, une opération susceptible d’engager la responsabilité des institutions.

Quelles démarches institutionnelles la France devrait-elle mettre en oeuvre si elle souhaitait sortir de la zone Euro ?

Quitter la zone euro sans quitter en même temps l’Union européenne constitue un acte illégal, il n’y a donc aucune procédure prévue. A l’inverse, il existe une procédure à suivre en cas de retrait de l’Union européenne (art. 50 TUE). Il ne s’agit cependant que d’encadrer les démarches à effectuer, la décision de retrait ne peut pas être remise en cause par les instances de l’Union.

Quelles seraient les conséquences juridiques d’un retour au Franc ?

Un retrait de la zone serait de nature à la fois à engager la responsabilité de la France et à peser sur l’endettement public et privé.

Le caractère illégal de la décision française exposerait l’hexagone à des recours en manquement devant la Cour de Justice de l’Union européenne. Cette procédure permet de constater qu’un Etat n’a pas respecté ses obligations européennes. Le constat d’un manquement, et il est ici assuré, oblige l’Etat concerné à mettre fin à la violation visée et, en cas de réticences, peut être assorti d’astreintes ou d’amendes. Selon toute probabilité, les répercussions d’une décision française toucheraient une multitude de textes et de dispositions de sorte que ce n’est pas un mais de nombreux constats en manquement qui risqueraient d’être prononcés avec les condamnations qui ne manqueront pas de suivre si la France ne revenait pas sur sa décision.

Devant les juridictions françaises, les conséquences financières seraient encore plus dommageables. Selon une jurisprudence constante, la responsabilité des Etats peut être engagée en cas de dommages causés aux particuliers à cause d’une violation du droit de l’Union (CJCE, 19 nov. 1991, Francovich et Bonnifaci, aff. jtes 6 et 9/90). Autrement dit, toutes les personnes physiques ou morales ayant subi un préjudice du fait de la décision française de sortir illégalement de l’euro seraient fondées à réclamer réparation auprès des juridictions françaises. Le volume des sommes qui pourraient ainsi être mises en jeu serait certainement de nature à causer quelques dommages à nos finances publiques.

Par ailleurs, il est certain que plusieurs dispositions relatives à l’euro bénéficient d’un effet direct. C’est par exemple le cas du règlement (règl. n°974/98) concernant l’introduction de l’euro qui prévoit notamment que l’euro est la monnaie française. Conformément, là aussi, à une jurisprudence constante les juridictions internes ont l’obligation d’assurer le plein effet du droit de l’Union en laissant au besoin inappliquée, de leur propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale sans attendre l’élimination préalable de celle-ci (CJCE, 9 mars 1978, Simmenthal, aff. 106/79). Autrement dit, le juge national se verrait dans l’obligation de ne pas prendre en compte la décision de sortie à cause de son illégalité en droit de l’Union européenne.
Un retour au franc mettrait donc le pays dans une situation juridiquement et financièrement intenable et l’entrainerait mécaniquement soit à renoncer à sa décision, soit à quitter l’Union européenne. Dans ce dernier cas, les conséquences qui viennent d’être exposées continueraient à s’appliquer jusqu’au départ effectif.

Le retour au franc aurait également un impact important sur l’endettement tant public que privé. Sans sortie de l’Union européenne, les contrats libellés en euro devront toujours être remboursés en euro. Or, le retour au franc entrainerait immanquablement une dévaluation de la monnaie française et donc une forte augmentation du poids des dettes.

Les partisans d’un retrait de la zone euro invoquent la lex monetae afin de minorer ces conséquences financières. Issu d’une jurisprudence de la Cour permanente de justice internationale, ce principe signifie que la décision unilatérale de l’Etat émetteur de la monnaie d’en changer la définition s’impose à tous, aux étrangers comme aux nationaux. Dès lors, les contrats de droit français pourraient faire l’objet d’un remboursement en franc sur la base d’une parité un franc / un euro à la faveur d’une redénomination de la dette dans la nouvelle monnaie nationale.

Cet argument ne résiste pas à l’analyse juridique. Tout d’abord, la France aurait quelques difficultés à se prévaloir d’une règle internationale dans le cadre de la mise en œuvre d’une action illégale du point de vue du droit de l’Union européenne mais également du droit international des traités. Ensuite, la Cour de Justice de l’Union européenne a estimé qu’en cas de contradiction entre les droits fondamentaux défendus par l’Union européenne et le droit international, les premiers devaient l’emporter (CJCE, 3 sept. 2008, Yassin Abdullah Kadi et Al Barakaat International Foundation c./ Conseil et Commission, Aff jtes C-402/05 et C-415/05). Or, une redénomination en entrainant une baisse objective de la valeur des créances toucherait à l’évidence au droit de propriété. En conséquence, les juridictions des Etats membres et celles de l’Union seraient dans l’obligation d’écarter la lex monetae au profit du droit de l’Union et donc de l’euro.

L’invocation de la lex monetae n’apparaît pas non plus véritablement efficace dans la perspective d’une sortie de l’Union. Dans la plupart des ordres juridiques nationaux, le droit constitutionnel prévaut sur le droit international. La protection de la propriété figure de manière systématique dans les constitutions des Etats. Accepter une redénomination reviendrait à léser gravement les personnes physiques et morales de l’Etat concerné. Il est donc tout à fait improbable qu’une telle opération soit facilement acceptée par les tribunaux étrangers. Sans même parler de l’accroissement de la dette, il est en tout cas certain qu’un retour au franc même accompagné d’une sortie de l’Union déboucherait sur de très nombreuses procédures et une très forte instabilité juridique avec les conséquences économiques que cela implique.

Pour terminer et cette fois, dans une perspective plus économique, ajoutons qu’une redénomination de la dette française ruinerait le crédit de la France auprès des prêteurs et conduirait mécaniquement à une augmentation des taux d’intérêt de nature à creuser gravement le déficit hexagonal.

Par Jean-Christophe Barbato