L’ancien directeur du FBI James Comey avait confirmé en avril dernier l’existence d’une enquête sur les tentatives d’ingérences russes dans la campagne présidentielle américaine de 2016, et notamment sur une éventuelle coordination entre certains membres de l’équipe de Donald Trump et le gouvernement russe. Le Congrès, qui souhaite faire la lumière sur cette affaire, a auditionné James Comey récemment, tout comme Jeff Sessions, le Ministre de la Justice américain.

Idris Fassassi, Maître de Conférences à l’Université Paris II Panthéon-Assas décrypte cette enquête et analyse l’évolution des décrets anti-immigration de l’administration Trump.

« L’obstruction à la justice est punie par le droit américain. Néanmoins, des éventuelles poursuites pénales sur ce fondement ont très peu de chances d’aboutir »

  • Dans quel contexte s’inscrivent les auditions de James Comey et Jeff Sessions ?

Les auditions de l’ancien directeur du FBI James Comey et du ministre de la Justice Jeff Sessions s’inscrivent dans le cadre des enquêtes portant sur les efforts allégués de la Russie en vue d’influencer les élections américaines de 2016 au profit de Donald Trump.

Après avoir jugé « ridicules » les conclusions d’un rapport des agences de renseignement pointant les efforts de la Russie pour influencer l’élection à son avantage, Donald Trump a fini par admettre les interférences russes en janvier 2017. Il a en revanche fermement nié que des responsables de sa campagne aient été informés de ces agissements ou aient agi de concert avec les responsables russes.

Plusieurs procédures sont en cours, dont une enquête du FBI ouverte en juillet 2016 et différentes investigations menées par des commissions au Congrès.

Cette affaire a déjà conduit en février 2017 à la démission de Michael Flynn, le conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, qui a reconnu avoir menti au sujet de ses contacts avec des responsables russes lors de la phase de transition. Le ministre de la Justice, Jeff Sessions, a également dû annoncer qu’il s’abstiendrait de tout rôle dans les enquêtes portant sur la campagne de Donald Trump, après la révélation de contacts avec des responsables russes qu’il avait omis de mentionner.

L’affaire a pris une tournure singulière et des accents de Watergate le mois dernier avec le renvoi par le Président du directeur du FBI James Comey. Si le renvoi du directeur du FBI n’est pas illégal et relève effectivement des pouvoirs du Président, les circonstances de celui-ci interpellent dans la mesure où Comey enquêtait sur des proches de Donald Trump. Les motifs invoqués sont d’ailleurs peu clairs. Le Président a en effet d’abord évoqué la gestion par Comey de l’affaire des emails d’Hillary Clinton pendant la campagne – alors même que le choix de Comey de révéler qu’il rouvrait l’enquête sur la candidate démocrate quelques jours avant le scrutin avait été à l’époque loué par Donald Trump comme un acte « courageux » – avant d’indiquer que le renvoi était lié à l’enquête sur l’implication de la Russsie dans les élections.

Quelques jours plus tard, des extraits d’une note de Comey indiquant que le Président lui a recommandé de mettre fin à l’enquête sur Michael Flynn ont été publiés dans la presse. Le ministère de la Justice, sous la pression des démocrates, a alors nommé un procureur spécial, Robert Mueller, chargé d’enquêter sur l’éventuelle implication de certains individus en charge de la campagne de Donald Trump avec des responsables russes. Ce procureur spécial jouit d’une plus grande d’indépendance que les procureurs ordinaires, mais il n’est pas totalement indépendant à l’égard du ministère de la Justice et, en dernier ressort, du Président lui-même.

C’est dans ce contexte qu’ont eu lieu les auditions de James Comey, jeudi dernier, et de Jeff Sessions hier devant la commission du renseignement du Sénat.

  • Que retenir de ces auditions  et peut-on envisager des poursuites contre le Président?

Ces auditions furent singulièrement différentes, sur le fond et la forme. James Comey répondit avec précision aux questions des sénateurs et mit en difficulté le Président, tandis que Jeff Sessions refusa de répondre à certaines questions et défendit ses actions ainsi que celles de l’administration.

Concernant Comey, certains éléments étaient déjà connus mais le récit de ses interactions avec un Président qui lui demande s’il souhaite rester directeur du FBI, sollicite sa « loyauté », semble chercher à l’influencer, puis le congédie, fera date.

Deux éléments principaux ressortent de cette audition.

Le premier a trait à l’éventuelle obstruction à la justice dont se serait rendu coupable Donald Trump. Il est ici fait référence à la demande de Donald Trump en février 2017 de mettre fin à l’enquête sur Michael Flynn. « C’est un bonne personne. J’espère que vous pourrez laisser tomber [cette enquête] » aurait ainsi dit le Président à James Comey. L’obstruction à la justice est punie par le droit américain. Néanmoins, des éventuelles poursuites pénales sur ce fondement ont très peu de chances d’aboutir. La raison est double. La première, la plus importante, tient à ce qu’il est généralement considéré que les Présidents en exercice disposent d’une immunité pénale. La deuxième raison tient à ce que quand bien même l’on imaginerait des poursuites pénales contre le Président, celles-ci n’auraient que très peu de chances d’aboutir dans la mesure où il sera difficile de prouver l’intention criminelle. L’emploi du terme « j’espère » fera ainsi l’objet de différentes interprétations et le Président a d’ailleurs nié avoir tenu de tels propos – tout en précisant de manière surprenante : « même si je les avais tenus, il n’y aurait rien de mal ». Ce sera donc la parole du Président contre celle de James Comey.

Le second point, précisément, tient au caractère inédit des déclarations d’un ancien directeur du FBI décrivant un Président qui « ment », et dont le comportement l’incita, dès leur première rencontre, à rédiger des notes sur leur interactions parce qu’il pressentait qu’il pourrait mentir.

Si des poursuites pénales ne sont pas envisageables en l’état, en revanche demeure la question de l’impeachment. La question est de savoir si le comportement de Donald Trump relève de « la trahison, corruption ou autres hauts crimes et délits ». Ici, le standard est beaucoup moins élevé qu’en matière pénale. L’impeachment est en effet une procédure plus politique que juridique, entre les mains des membres du Congrès, qui disposent ainsi d’une grande marge de manœuvre pour apprécier ce qu’est un « haut crime ». Un comportement qui ne constituerait pas juridiquement une obstruction à la justice par exemple, ou une autre infraction pénale de manière plus générale, pourrait ainsi être considéré comme un « haut crime ». La limite, évidemment, tient à ce qu’il est peu probable d’imaginer à ce stade que la Chambre des représentants, dominée par des républicains, procède à la mise en accusation de Donald Trump, et encore plus irréaliste d’imaginer que deux tiers des sénateurs votent sa destitution.

L’audition de Jeff Sessions hier fut elle marquée par son refus de répondre à certaines questions concernant ses échanges avec le Président au sujet de l’enquête sur la Russie ou le renvoi de Comey. Jeff Sessions s’est justifié en affirmant ainsi protéger les droits du Président, qui pourrait invoquer ultérieurement le « privilège de l’Exécutif » lui permettant de garder secrètes certaines communications avec ses conseillers. Sessions a clairement rejeté toute idée de collusion avec des responsables russes durant la campagne et a, en somme, défendu la ligne soutenue par l’administration.

  • Quel est le sens des dernières décisions rendues au sujet du travel ban interdisant l’accès au territoire aux ressortissants de certains pays ?

Comme beaucoup d’affaires sous la Présidence Trump, celle relative au « travel  ban » ou « muslim ban » est une véritable saga, avec son lot de péripéties, que l’on doit d’ailleurs en grande partie à Donald Trump  lui-même. S’agissant des décisions des cours, il n’y a néanmoins pas de surprises puisque, décision après décision, les juges rejettent les arguments de l’administration et confirment la suspension du décret présidentiel.

Deux cours d’appel fédérales se sont récemment prononcées sur le décret du 6 mars qui, rappelons-le, avait été adopté en réaction à la suspension par les juges du premier décret. La première, le 25 mai dernier, a confirmé la suspension du décret au motif qu’il constituait une violation probable des dispositions constitutionnelles relatives à la liberté religieuse. La Cour affirme que l’impératif lié à la sécurité nationale n’est pas « la vraie raison » justifiant le décret. En s’appuyant sur les déclarations de campagne de Donald Trump, elle met en lumière, derrière le « langage vague relatif à la sécurité », « l’intolérance religieuse » et la volonté de « discriminer ».

Il  y a deux jours, la Cour d’appel pour le Neuvième circuit a elle aussi confirmé la suspension du décret, en le faisant de manière plus modeste toutefois. Elle ne s’est pas placée sur le terrain constitutionnel en effet, mais sur le terrain législatif, affirmant que le Président avait outrepassé les limites des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi. Elle a jugé que la mesure n’était pas suffisamment justifiée. 

L’administration a déjà saisi la Cour suprême de la première décision. Les récents tweets de Donald Trump critiquant les juridictions, contredisant la position défendue par ses avocats et appelant à restaurer la première version du décret et non la version « politiquement correcte », ne devraient toutefois pas augmenter ses chances, déjà limitées, de l‘emporter si la Cour suprême acceptait de se prononcer.

Par Idris Fassassi