Guillaume Tusseau, professeur des universités à l’Ecole de droit de Sciences Po, décrypte la demande d’un nouveau référendum sur l’indépendance de l’Ecosse par le Parlement Ecossais.

En cette fin du mois de mars, chacun, au Royaume-Uni, a tiré les conséquences du vote du 23 juin 2016. A 51,89 %, les sujets de Sa Majesté ont voté en faveur du Brexit. Aussi, la Prime minister Theresa May a-t-elle, après avoir reçu l’approbation du Parlement, activé l’article 50 du Traité sur l’Union européenne et fait officiellement part au Conseil européen le 29 mars de son intention de se retirer de l’Union. La veille, à la tête d’une collectivité qui, à rebours de la majorité des électeurs, a voté à 62 % en faveur du maintien dans l’Union, la First Minister écossaise, Nicola Sturgeon, a sollicité du Parlement local l’organisation d’un nouveau referendum sur l’indépendance.

Le référendum écossais n’implique pas seulement l’Ecosse ni même le Royaume-Uni ou encore l’Union européenne, mais, plus fondamentalement, l’Europe des peuples

Le Royaume-Uni étant une monarchie constitutionnelle, comment l’Ecosse pourrait-elle demander son indépendance ?

La relation qui unit l’Angleterre et l’Ecosse date du traité et des actes d’union adoptés par leurs parlements respectifs en 1706 et 1707. Bien qu’ils puissent à bon droit être considérés comme matériellement constitutionnels, en ce qu’ils contribuent à régir les relations politiques et institutionnelles entre les deux peuples, ceux-ci n’ont, sur le plan formel, que la valeur de lois ordinaires. Il est donc relativement aisé sur le plan juridique de les remettre en cause et de défaire ce qui a été fait il y a plus de trois siècles.

La démarche qu’emprunte aujourd’hui la tête de file du Scottish National Party se calque sur celle suivie il y a moins de trois ans. Par 69 voix contre 59, le parlement écossais a accordé au gouvernement local un mandat afin de négocier avec Londres un « décret de l’article 30 » du Scotland Act 1998 lui permettant de tenir un nouveau référendum, entre l’automne 2018 et le printemps 2019. Suivant des modalités comparables, l’accord auquel les deux parties étaient parvenues en 2012 avait-il prévu que le vote serait supervisé par une commission électorale indépendante, qu’il devrait avoir lieu avant la fin 2014 et que la question ne devait offrir que deux options : indépendance ou statu quo. Le Parlement écossais était pour sa part compétent pour déterminer la majorité électorale, rédiger la question et définir les règles de financement de la campagne. Afin de justifier l’organisation d’un nouveau référendum, après celui du 18 septembre 2014 où 55,3% des Écossais s’étaient prononcés contre l’indépendance, Nicola Sturgeon s’appuie sur le changement de circonstances fondamental que constitue le Brexit. De fait, l’un des arguments essentiels qui avait pu convaincre les Écossais de rejeter l’indépendance en 2014 tenait précisément au risque de se séparer, en même temps que du Royaume-Uni, de l’Union européenne. Or l’argument est aujourd’hui renversé : c’est précisément pour rester dans l’Union européenne qu’il devient essentiel de quitter le Royaume-Uni.

Quelles conséquences cela aurait-il sur le Royaume-Uni ?

Si l’Ecosse quittait la Grande Bretagne et, eo ipso, le Royaume-Uni, celui-ci serait tout simplement dissout, quand bien même la Reine d’Angleterre serait à la tête du nouvel Etat. Il convient par ailleurs de s’interroger sur l’effet d’entrainement que pourrait avoir une telle démarche sur les nationalistes gallois, d’une part, et sur les républicains nord-irlandais, d’autre part. Les premiers, qui ont voté en faveur du Brexit, pourraient néanmoins être tentés par l’indépendance, tandis que les seconds, qui ont voté à 55,8% pour le « remain », pourraient se rapprocher de la République d’Irlande. L’ampleur de ces enjeux peut expliquer que, de son côté, Theresa May se soit montrée peu réceptive à la démarche écossaise. Elle a clairement signifié que le moment n’était pas venu de se pencher sur ce dossier, dont elle ne veut pas qu’il fragilise la position britannique lors des deux années de négociations qui s’ouvrent avec Bruxelles. De ce point de vue, elle a dû voir avec un certain soulagement la décision unanime de la Cour suprême rejetant toute nécessité d’associer les composantes du Royaume-Uni à la négociation avec l’Union européenne1.

Quoique pour sa part le droit écossais puisse paraître plus attaché au principe de souveraineté populaire qu’à celui de souveraineté du parlement2 , une voie négociée semble pour l’heure privilégiée par Edimbourg. En effet, le droit constitutionnel britannique n’envisage pas la possibilité d’une sécession unilatérale. Les questions constitutionnelles relevant du domaine réservé de Westminster3, il est nécessaire que le Parlement britannique consente à l’organisation du referendum. Toutefois, en cas de blocage, certains auteurs considèrent possible à l’Ecosse d’organiser un referendum purement consultatif sur toute question, notamment en vue d’indiquer à Londres qu’une modification du droit est nécessaire . Une telle voie, moins consensuelle que celle empruntée en 2012-2014, pourrait néanmoins contraindre, politiquement, Londres de ne pas faire obstacle à une nouvelle consultation sur la question de l’indépendance. Enfin, en dernière extrémité, l’hypothèse d’une sécession unilatérale, telle qu’elle a pu être discutée au Canada5 ou à propos du Kosovo6, pourrait être envisagée.

Quelles procédures seraient à mettre en œuvre pour l’Ecosse si elle souhaitait rester dans l’Union Européenne ?

Deux grandes thèses s’opposent à ce sujet. Selon une vision qui apparaît dominante, dans la mesure où l’Ecosse en tant que telle n’est pas un Etat souverain au sens du droit international, et a fortiori pas un Etat membre de l’Union, et dans la mesure où l’Etat membre dont elle ferait sécession n’en ferait plus partie ou serait en voie de ne plus en faire partie, il semble logique qu’elle se trouve soumise aux procédures applicables à tout Etat tiers, candidat à l’entrée dans l’Union. A ce titre, l’article 49 du Traité sur l’Union devrait s’appliquer. Selon ce texte, « Tout État européen qui respecte les valeurs visées à l’article 2 et s’engage à les promouvoir peut demander à devenir membre de l’Union. » La procédure suppose l’unanimité du Conseil, après consultation de la Commission et approbation du Parlement européen à la majorité de ses membres. Ensuite, les conditions précises de l’admission du nouvel Etat membre et les adaptations que cette admission entraîne en ce qui concerne les traités font l’objet d’un accord unanime entre les États membres et l’État demandeur. Le mécanisme est donc relativement lourd.

Une autre analyse, qui apparaît minoritaire, serait de nature à faciliter une transition plus souple. Elle conduit par exemple à considérer qu’en tant que citoyens de l’Union européenne, ceux-ci sont titulaires de droits dont ils ne peuvent être unilatéralement privés. Mais l’argument peut sembler fragile, dans la mesure où le retrait de l’Union, expressément prévu par le Traité, s’est déroulé en accord avec les procédures constitutionnelles nationales auxquelles renvoie l’article 50 TUE et selon un processus parfaitement démocratique. D’autres avancent le fait qu’advenant son indépendance, l’Etat écossais serait continuateur du Royaume-Uni au sein de l’UE au sens du droit international public. Il s’ensuivrait qu’aucune forme d’adhésion ne serait à proprement parler nécessaire4. Dans ces deux cas de figure, plutôt optimistes, aucune solution de continuité n’apparaîtrait.

De manière peut-être plus réaliste, il était envisagé lors du référendum de 2014 qu’eu égard à la situation inédite d’un nouvel Etat faisant auparavant partie d’un Etat membre lui-même membre pendant plus de quatre décennies des Communautés européennes puis de l’Union européenne, l’article 48 TUE offrirait la voie appropriée7. Il s’agirait ainsi simplement ( ?) de modifier les traités afin d’intégrer immédiatement l’Ecosse à l’Union.
Il reste que toute voie d’accommodement risque fort de buter sur un veto… espagnol. En effet, une crise ouverte oppose Madrid à Barcelone depuis plusieurs années au sujet de l’indépendance de la Catalogne. Les deux cas se situent d’une certaine manière en miroir : alors que l’Ecosse doit quitter le Royaume-Uni pour rester dans l’Union, la Catalogne souhaiterait y rentrer (ou y rester) conjointement au reste de l’Espagne. Tout signe suggérant qu’une sécession régionaliste puisse s’opérer à moindre frais sur le plan de l’appartenance à l’Union est de ce fait mal vu à Madrid. Il est dès lors manifeste que le referendum écossais n’implique pas seulement l’Ecosse ni même le Royaume-Uni ou encore l’Union européenne, mais, plus fondamentalement, l’Europe des peuples.

Par Guillaume Tusseau

1 – Cour suprême du Royaume Uni, Miller v Secretary of State for Exiting the European Union [2017] UKSC 5
2 – Court of Session, Inner House, MacCormick v. Lord Advocate 1953 SC 396, 411
3 – Scotland Act 1998, Schedule 5, Part I, 1(a).
4 – Smith, A. Young, « That’s how it Worked in 2014, and how it Would have to Work Again », accessible à l’adressehttps://ukconstitutionallaw.org (consulté le 30 mars 2017) ; S. Tierney, « A Second Scottish Independence Referendum Without a s.30 Order? A Legal Question that Demands a Political Answer », accessible à l’adresse https://constitution-unit.com/2017/03/22/a-second-scottish-independence-referendum-without-a-s-30-order-a-legal-question-that-demands-a-political-answer/
5 – Cour suprême du Canada, Renvoi relatif à la sécession du Québec [1998] 2 RCS 217
6 – 
Cour internationale de justice, 22 juillet 2010, Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010, p. 403.
7 – Scottish Government, Scotland’s Future, November 26, 2013, accessible à l’adresse http://www.gov.scot/Resource/0043/00439021.pdf