De nombreux Français partis faire le djihad en Syrie et dans les pays voisins souhaitent revenir sur le territoire français. Décryptage de ce qui les attend, du point de vue juridique, par Farah Safi, professeur de droit à l’Université de Clermont.

« Si le sort de ces personnes est loin d’être respectueux des droits fondamentaux, celui de leurs proches n’en est pas moins compromis »

Les juridictions françaises sont-elles compétentes pour juger un Français pour des actes de terrorisme commis à l’étranger ?

Si l’application de la loi française n’est pas restreinte aux seules infractions commises sur le territoire de la République, les articles 113-6 et 113-7 du code pénal posent néanmoins des conditions à cette extension de compétence.

C’est la raison pour laquelle le législateur est intervenu par la loi du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme. Est ainsi créé un nouvel article 113-13 du code pénal qui prévoit que la loi française s’applique aux crimes et délits qualifiés d’actes de terrorisme s’ils sont commis à l’étranger par un Français ou par un individu résidant habituellement en France.

Les dispositions du nouvel article permettent ainsi de contourner deux exigences habituelles, celle de la réciprocité d’incrimination exigée en matière délictuelle (art. 113-6 al. 2) ou celle tenant à la nécessité d’une victime française (art. 113-7). Cette extension présente, par ailleurs, un intérêt procédural. En effet, l’article 113-8 du code pénal conditionne la poursuite des délits à une requête du ministère public sous réserve qu’une plainte préalable ait été déposée par la victime ou ses ayants droit ou qu’il y ait eu une dénonciation officielle par l’autorité du pays où le fait a été commis. En matière de terrorisme ces conditions ne sont pas exigées. La loi française peut donc s’appliquer à des faits commis à l’étranger lorsque deux conditions sont réunies : l’auteur des faits est un Français ou un étranger résident habituel en France, et les faits commis sont des actes de terrorisme tels que définis par le code pénal français, ne seraient-ils pas définis comme tels par la loi étrangère.

Si la volonté du législateur est de couvrir davantage d’actes qui peuvent mettre en péril la sécurité de la France, il reste à mesurer la portée d’une telle extension. D’une part, dans l’hypothèse du terrorisme, la loi française pouvait déjà s’appliquer facilement : si l’auteur de l’infraction est français ou résident habituel en France, il y a de fortes chances qu’au moins un des actes préparatoires soit réalisé sur le territoire de la République – l’achat du billet d’avion par exemple – ce qui permettait à la loi française de s’appliquer. D’autre part, se pose la question de l’efficacité des poursuites : dans de telles affaires, la coopération de l’Etat dans lequel les faits ont été commis est loin d’être assurée.

Quelles sont les principales mesures qui peuvent lui être appliquées lors de son arrivée en France ?

Depuis la loi du 3 juin 2016, il est possible de procéder à un contrôle administratif des retours sur le territoire de la République. L’article L. 225-1 du code de la sécurité intérieure prévoit que ce contrôle s’applique à toute personne à l’encontre de laquelle il existe « des raisons sérieuses de penser » que son déplacement à l’étranger avait pour « but de rejoindre un théâtre d’opérations de groupements terroristes dans des conditions susceptibles de la conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de son retour sur le territoire français ». Cette mesure préventive permet d’éviter que des terroristes puissent revenir en France dans le seul but d’y commettre des attentats.

Ces personnes peuvent être contraintes, dès leur arrivée en France, à résider dans un périmètre géographique déterminé ou être astreintes à demeurer à leurs domiciles (art. L. 225-2 du CSI). Elles peuvent également être interdites d’entrer en relation directe ou indirecte avec certaines personnes (art. L. 225-3 du CSI). Ces mesures administratives peuvent être suspendues si la personne accepte d’intégrer un établissement permettant sa réinsertion et l’acquisition des valeurs de citoyenneté (art. L. 225-6 du CSI).

Le fait de se soustraire à ces obligations constitue une infraction punie de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende (art. L. 225-7 du CSI).

La lutte contre le terrorisme passe alors aujourd’hui avant tout par des mesures de police administrative. Une personne peut être privée de plusieurs libertés dès lors que l’administration a des raisons sérieuses de penser qu’elle constitue une menace pour la sécurité. Les critères ne sont pas précisés, ce qui peut être source de dérapages – comment définir, par exemple, un théâtre d’opération de groupements terroristes ?

En cas de condamnation, ces personnes sont-elles soumises à un régime spécifique d’application des peines ?

Depuis la loi du 3 juin 2016, seules les juridictions parisiennes d’application des peines sont compétentes pour prendre les décisions concernant les personnes condamnées pour terrorisme (art. 706-22-1 CPP).

Par ailleurs, l’article 726-2 du code de procédure pénale permet  de prévoir une prise en charge spécifique des délinquants terroristes « au sein d’une unité dédiée ». Cette mesure a pour objectif de permettre la déradicalisation en milieu carcéral. Elle est permise lorsque le comportement du détenu « porte atteinte au maintien du bon ordre de l’établissement ». Une nouvelle fois, la rédaction du texte est floue : quels sont les critères pris en compte pour se prononcer sur la radicalisation du détenu ? N’est-ce pas dangereux de « rassembler » les personnes radicalisées dans ces unités dédiées ? Ne favorise-t-on pas, dans ce cas, le contact entre ces personnes les conduisant à être radicalisées davantage ?

En outre, si une personne condamnée pour terrorisme peut demander une libération conditionnelle, cette dernière ne peut être accordée que par le tribunal de l’application des peines ou après avis d’une commission chargée de procéder à une évaluation pluridisciplinaire de la dangerosité de la personne condamnée (art. 730-2-1 CPP). Quant à la possibilité de profiter d’un aménagement de la peine, si elle n’est pas exclue, elle demeure difficile à mettre en œuvre. D’un côté, il est possible de porter la durée de la période de sûreté à 30 ans et, d’un autre côté, cette durée ne peut être réduite que dans des conditions strictes (art. 720-5 CPP) – par exemple, le condamné doit avoir subi une incarcération d’une durée au moins égale à 30 ans, et l’avis des victimes ayant la qualité de parties civiles est recueilli tout comme celui d’un collège de 3 experts médicaux. Certains auteurs évoquent alors le retour de la perpétuité réelle : un Français parti « faire le djihad » à l’étranger et qui souhaite retourner en France risque de passer le reste de sa vie en prison. Et il ne faut surtout pas s’en inquiéter : si le sort de ces personnes est loin d’être respectueux des droits fondamentaux, celui de leurs proches (présomption de complicité ?) ou de ceux qui peuvent s’inquiéter de leur sort n’en est pas moins compromis. On relève, par exemple, que le fait de s’intéresser au sort d’un terroriste constitue une infraction (apologie du terrorisme) passible d’une peine d’emprisonnement (Cass. crim., 25 avril 2017, n° 16-83331).

 Par Farah Safi