Alors que s’ouvre la XVème législature de la Vème République, et après de nombreux débats autour de la composition des groupes parlementaires de l’Assemblée nationale et la désignation de leurs présidents, décryptage de cette nouvelle configuration avec Damien Connil, chargé de recherche au CNRS – Université de Pau et des Pays de l’Adour, auteur de l’ouvrage Les groupes parlementaires en France (LGDJ, 2016).

« Il appartient au Parlement et aux parlementaires d’imaginer de nouvelles façons de travailler pour replacer le débat politique au cœur des assemblées »

Pourquoi la constitution des groupes apparaît-elle aujourd’hui si importante et comment expliquer le nombre de formations parlementaires au sein de l’Assemblée nationale ?

Cela traduit la recomposition du paysage politique à laquelle nous assistons avec le dépassement de frontières partisanes connues jusqu’alors et l’émergence de nouveaux rapprochements. C’est la manifestation parlementaire, institutionnelle et politique, de cette restructuration de la vie politique française. Les groupes sont des acteurs incontournables du Parlement. Ils rythment l’activité des Chambres. Ils structurent leur fonctionnement. A l’Assemblée nationale comme au Sénat, rien ne se fait sans l’intervention des groupes parlementaires ou de leurs représentants.

Constituer un groupe permet de disposer d’un certain nombre de moyens, en particulier d’un secrétariat et de collaborateurs, de participer à la constitution des organes de l’Assemblée qui s’efforcent de reproduire la configuration politique de la Chambre et d’être associé au fonctionnement du Parlement. De la détermination de l’ordre du jour au vote d’un texte, les groupes contribuent au bon déroulement de la procédure législative, à l’organisation des débats, à la répartition du temps de parole. Un jour de séance par mois est spécifiquement réservé à l’ordre du jour déterminé par les groupes d’opposition et minoritaires. Les séances de questions au gouvernement sont organisées en tenant compte des groupes et de leurs effectifs. Les groupes parlementaires sont des organes clés du fonctionnement de l’Assemblée nationale. Des rouages indispensables. Pour les députés eux-mêmes, appartenir à un groupe garantit une participation active à la vie du Parlement. C’est pourquoi certains élus, sans adhérer à un groupe, décident d’y être « apparentés » plutôt que de siéger en qualité de « non-inscrit ».

Constituer un groupe est aussi faire la démonstration de sa force et de sa présence. Cela donne du temps de parole et de la visibilité pour peser politiquement. Mais cela correspond également à une exigence de cohérence et de cohésion pour faire valoir une ligne politique, des choix, des orientations.

Le nombre de groupe est aujourd’hui le résultat d’une combinaison de facteurs : un seuil requis relativement bas (15 députés), un intérêt institutionnel en vue de disposer de moyens d’actions dont ne bénéficient pas les députés n’appartenant à aucun groupe et des considérations politiques d’affirmation de choix souvent distincts mais pouvant, parfois, de manière plus ou moins occasionnelle, se recouper.

Quels sont désormais les enjeux ou les défis de ces nouveaux groupes parlementaires ?

Ceux-ci diffèrent sensiblement selon les groupes.

Un défi majoritaire attend « La République en Marche » avec plus de 300 députés. Autrement dit, la nécessité pour le groupe d’associer ses membres à l’action de l’exécutif. Car, la majorité, prise en ses deux branches (au sein du Parlement et de l’exécutif), doit déterminer et mener l’action politique. La majorité parlementaire ne doit pas être négligée comme trop souvent sous la Vème République. Bien au contraire. A défaut, un sentiment de découragement ou de frustration pourrait gagner les députés de la majorité. Le groupe doit donc être un organe de travail, animé en ce sens et organisé à cette fin. De plus, une place devra être faite au groupe « Modem » qui doit, lui aussi, être pleinement associé et permettre l’équilibre de la majorité.

A l’inverse, pour les groupes d’opposition, quel que soit leur positionnement (du groupe « France insoumise » à celui des « Constructifs »), l’enjeu est de faire valoir leurs idées et leurs arguments, de faire entendre leur voix et, surtout, d’être en mesure d’exercer le contrôle de l’action gouvernementale qui leur revient à titre principal à condition de s’en donner les moyens. A cet égard, le nombre de groupes mais encore le nombre de parlementaires au sein de chacun des groupes importent dès lors que la mise en œuvre de certains moyens d’action n’appartiennent pas, en propre, aux groupes mais sont conditionnés par la réunion d’un certain nombre de parlementaires (par exemple la saisine du Conseil constitutionnel ou le dépôt d’une motion de censure) et dans le mesure où les ressources (financières et humaines) des groupes sont proportionnées à leur taille.

En toute hypothèse, les présidents de groupe joueront un rôle déterminant car leur fonction est absolument centrale. Ce sont eux qui parlent et agissent au nom de leur formation. Ils disposent pour cela de prérogatives importantes. Les présidents des groupes d’opposition et minoritaires bénéficient même de pouvoirs supplémentaires. Mais surtout, les présidents doivent être des interlocuteurs privilégiés pour les députés, bien sûr, mais aussi pour les instances de l’Assemblée et pour l’exécutif, quel que soit le statut du groupe (majorité, minorité, opposition). La fonction de président de groupe est éminemment politique. Il lui revient d’assurer l’unité et la cohésion du groupe, de faciliter le travail de ses membres, de porter la parole des députés, de dialoguer avec les autres acteurs institutionnels, d’encourager et d’animer l’activité parlementaire.

Dans ces conditions, quel pourra être le rôle des groupes parlementaires au cours de la XVème législature ?

Ce sera à eux de le définir. La Vème République – il ne faut pas l’oublier – repose sur une logique fondamentalement parlementaire. L’enjeu est donc là, aussi : dans l’émergence d’une nouvelle culture institutionnelle fondée sur la coopération et le dialogue (tant entre le gouvernement et la majorité parlementaire qu’entre la majorité et l’opposition). Or, de ce point de vue, on l’a dit par ailleurs, il appartient au Parlement et aux parlementaires d’imaginer de nouvelles façons de travailler pour replacer le débat politique au cœur des assemblées. Le rôle des groupes, l’approfondissement de leur structuration et, surtout, le développement de leurs capacités et de leur puissance de travail constituent des enjeux de tout premier plan. Ce n’est qu’à cette condition que les groupes pourront être les instruments d’une véritable revalorisation du Parlement.

Par Damien Connil