La prévision budgétaire 2018 de la France présente, selon la Commission européenne, un « risque de non-conformité » avec les règles européennes. Décryptage par Corinne Delon Desmoulin, maître de conférences en droit public et directrice du master Management public territorial à l’Université Rennes 2.

« Au-delà des éventuelles sanctions financières, c’est surtout la crédibilité de la France qui est en jeu depuis plusieurs années »

 Quel est le risque de non-conformité du budget présenté par la France évoqué par Bruxelles ?

 Il y a quelques jours, la Commission européenne a publié son désormais traditionnel « paquet d’automne ». Cet ensemble de rapports s’inscrit dans le cadre du cycle annuel de coordination des politiques économiques appelé Semestre européen.  Le Semestre européen a été établi à la suite de la crise économique mondiale de 2008 dans le cadre du renforcement des règles européennes contenues dans le Pacte de stabilité et de croissance puis dans le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance afin d’atteindre une meilleure coordination des politiques économiques des Etats membres de l’Union européenne. Dans ce cadre, la Commission examine chaque année les projets de plan budgétaire annuels des Etats membres de la zone euro pour vérifier leur conformité au Pacte de stabilité et de croissance. Or, la France reste sous surveillance renforcée car elle sous le coup d’une procédure pour déséquilibres macro-économiques (PDM) et d’une procédure pour déficit excessif (PDE). En effet, dès 2009, le Conseil a adressé à la France une recommandation l’enjoignant de mettre fin à sa situation de déficit excessif en raison tant de son déficit supérieur à 3 % du PIB et de sa dette supérieure à 60 % du PIB.

A plusieurs reprises, la France a pu bénéficier de délais supplémentaires conformément à l’article 3, paragraphe 5, du règlement (CE) n° 1467/97 mais devait mettre fin à ses déficits excessifs en 2017 aux termes de la recommandation du Conseil du 5 mars 2015 qui fixait une trajectoire à suivre. Or, pour 2018, les prévisions de la France s’écartent de cette trajectoire et ne sont pas conformes à ses engagements européens. En effet, si la France prévoit un déficit budgétaire en dessous du plafond de 3% pour 2018 (environ 2,6 % mais il est estimé à 2,9 pour la Commission européenne), elle prévoit un ajustement structurel de 0,1%, contre 0,6% demandé en 2015 et un déficit structurel de 2,1% alors que l’objectif de moyen terme (OMT) était fixé à 0,4%. Cela ne permettra pas d’obtenir une réduction de la dette qui est estimée à 96,9 % du PIB en 2018 alors que, rappelons-le, elle devrait se situer en dessous de 60% du PIB conformément au traité.

A quelles sanctions la France s’expose-t-elle dans ce cas ?

Si le gouvernement français réussit finalement à corriger la trajectoire d’ici le printemps, la France pourrait sortir du volet correctif du Pacte et verrait la pression de la Commission européenne s’alléger. Par contre, si les craintes de la Commission s’avèrent exactes, il n’est pas certain qu’elle accorde une nouvelle fois des délais à la France, d’autant que cette dernière a déjà, par le passé, bénéficié à plusieurs reprises de l’indulgence de l’Europe. La Commission pourrait ainsi demander l’année prochaine à la France des efforts supplémentaires à réaliser dans des délais très courts. C’est d’ailleurs ce que préconise la Commission à l’égard de la Roumanie qui n’a pas pris de mesures suivies d’effet après la mise en garde de la Commission du mois de juin dernier alors qu’elle s’est écartée de la trajectoire d’ajustement qui doit la conduire à la réalisation de son OMT.

Dans l’hypothèse où les résultats ne s’améliorent pas, la situation de la France deviendra difficile.  En effet, depuis le renforcement du Pacte de stabilité en 2011, les sanctions imposées aux pays de la zone euro qui ne respectent pas les recommandations relevant de la procédure de déficit excessif (art. 126 TFUE) ont été alourdiePIBs.  Ainsi, lorsque la Commission considère qu’il y a un déficit excessif, elle adresse à l’État membre un avis et en informe le Conseil. Si le Conseil considère qu’il y a effectivement déficit excessif, il adresse alors (sur recommandation de la Commission) une recommandation à l’État membre, en fixant un délai de 6 mois pour engager une action suivie d’effets. Si aucune action n’a été engagée, c’est-à-dire si l’Etat membre ne prend pas les mesures et les engagements adéquats pour tenir compte des observations formulées par la Commission, le Conseil peut le mettre en demeure de prendre des mesures dans un délai déterminé.

Si l’État membre ne se conforme pas à cette décision de mise en demeure, le Conseil peut, toujours sur recommandation de la Commission, prononcer des sanctions, telles que le dépôt non rémunéré d’une somme variant entre 0,2 et 0,5% du PIB. Ce dépôt peut être converti en amende au bout de 2 ans si le déficit excessif n’est pas comblé (règlement n° 1173/2011 du 16 nov. 2011). D’autres sanctions portant sur le non versement des fonds structurels peuvent également être prononcées.

Au-delà des sanctions des institutions, quelles peuvent être les autres incidences pour la France ?

Au-delà des éventuelles sanctions financières, c’est surtout la crédibilité de la France qui est en jeu depuis plusieurs années car elle fait partie désormais des derniers pays de la zone euro en difficultés. Si elle ne parvient pas à redresser ses comptes publics, il lui sera difficile de retrouver la confiance de ses partenaires européens, notamment allemands. D’autre part, comme elle est une des principales puissances économiques européennes, l’embellie économique de l’Europe peut difficilement perdurer si l’économie française ne suit pas. Mais le plus important réside sans doute dans la crédibilité politique. A l’heure où le projet européen est malmené, ou des décisions importantes doivent être prises en matière de défense, de ressources ou de lutte contre la fraude fiscale par exemple, il faut que l’Europe retrouve un leader. Le président français pourrait jouer ce rôle mais il semble bien que le préalable réside dans le respect par la France de ses obligations européennes.

Par Corinne Delon Desmoulin