Au début de l’année 2018, le Président de la République, Emmanuel Macron, a réitéré son souhait de voir disparaître la Cour de justice de la République.

Décryptage des fonctions de cette Cour par Bernard Grelon, professeur de droit honoraire de l’Université Paris Dauphine.

 « La disparition de la Cour de Justice de la République ne supprimera pas toutes les difficultés »

 Quelle est l’utilité de la Cour de justice de la République ?

La Cour de justice de la République (CJR) a été créée par la révision constitutionnelle du 27 juillet 199à l’initiative du Premier ministre Edouard Balladur en vue de faciliter la poursuite pénale des ministres mais aussi en vue d’éviter l’instrumentalisation politique de la procédure judiciaire.

Cette réforme a été engagée, à l’occasion de l’affaire dite du sang contaminé, les conditions d’ouverture de l’instruction devant la Haute Cour, alors compétente, qui ne pouvait être saisie qu’à l’initiative des parlementaires des deux chambres, n’ayant jamais pu être remplies.

La Cour de justice ne juge que les membres du gouvernement, Premier ministre compris, et seulement pour les crimes et délits commis dans l’exercice de leurs fonctions.

Il a parfois été tenté de restreindre la compétence de cette juridiction aux crimes et délits intentionnels à l’exclusion des délits d’imprudence et de négligence. Cette tentative, contraire à la lettre du texte constitutionnel, et à la volonté exprimée du législateur au cours des débats parlementaires a échoué. Ainsi en 1999 comme en 2016, les ministres ont été poursuivis et jugés pour des délits d’imprudence.

Qui la compose et à quelle(s) occasion(s) se réunit-elle ?

Une loi organique du 23 novembre 1993 a déterminé son organisation et la procédure applicable devant elle, par un large renvoi au code de procédure pénale.  La Cour de justice de la République comprend quinze juges : douze parlementaires élus par l’Assemblée nationale et le Sénat après chaque renouvellement et trois magistrats du siège à la Cour de cassation, dont l’un préside la Cour de justice de la République.

Le ministère public près la Cour de justice de la République est exercé par le procureur général près la Cour de cassation.

Selon l’article 68-2 de la Constitution, « toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit commis par un membre du gouvernement dans l’exercice de ses fonctions peut porter plainte» devant la Commission des requêtes,  (trois conseillers à la Cour de cassation, deux conseillers d’État, deux conseillers maîtres à la Cour des comptes), à qui revient la tâche de filtrer les plaintes. Celle-ci saisit ensuite le procureur général de la Cour de cassation qui transmet à la Commission d’instruction.

Celle-ci décide du renvoi auprès de la CJR au terme de l’instruction.

Les débats devant la CJR se déroulent selon une procédure inspirée de la procédure correctionnelle, mais sans que les victimes ne puissent se porter partie civile. Les quinze membres de la CJR votent sur chaque chef d’accusation à la majorité absolue et à bulletin secret. Les décisions de la CJR sont seulement susceptibles d’un pourvoi devant la Cour de cassation. Si l’arrêt est cassé, l’affaire est renvoyée devant la CJR entièrement recomposée.

Depuis la création de la Cour, une quarantaine de dossiers ont été portés auprès de la Commission d’instruction.

Pourquoi faudrait-il la supprimer ?

Le Président de la République a déclaré le 15 janvier dernier devant la Cour de cassation : « Il est clair aujourd’hui que la Cour de justice de la République ne remplit plus la fonction essentielle de traiter de la responsabilité des ministres ». En 2013 déjà, un projet de loi, abandonné depuis, qui faisait suite à l’avis de la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, présidée par Lionel Jospin avait prévu la suppression de ce «privilège qui n’a plus de raison d’être».

L’argument qui sous-tend ces critiques est celui de l’égalité devant la loi : les ministres, justiciables comme les autres, devraient toujours être jugés par les juridictions pénales de droit commun et non devant une juridiction spéciale.

L’argument est séduisant mais n’est pas pleinement convaincant car le ministre n’est pas dans une situation identique à celle de n’importe quel citoyen comme le rappelle le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-599 DC.

L’impartialité des juges ainsi que la clémence des verdicts de la CJR sont aussi régulièrement remises en cause. Derrière cette critique deux griefs partiellement contradictoires se font jour.  D’une part, la composition de la CJR favoriserait la connivence des politiques entre eux, d’autre part, l’on craint que l’appartenance partisane incite la juridiction à favoriser le ministre appartenant à son camp politique.

A cette critique, le législateur constitutionnel de 1993 répondait par avance, lors de l’élaboration de la loi, que la représentation parlementaire, institutionnellement chargée de contrôler le pouvoir exécutif était aussi légitime à porter un jugement sur les décisions d’un ministre que le juge pénal et est mieux placée que tout autre juge pour apprécier les difficultés des choix ministériels.

La CJR serait, aussi, une institution complexe à faire fonctionner s’articulant difficilement avec le fonctionnement des juridictions de droit commun.

Et, il est exact que cette dualité de juridictions suscite des difficultés liées tant à la hiérarchie des normes et aux difficultés d’application dans le temps de règles de procédure figées par la loi organique qu’à l’éclatement du traitement des mêmes faits dans des procédures distinctes devant des juridictions distinctes au risque de l’incohérence.

Il est enfin, reproché, avec un peu d’excès eu égard aux sommes en jeu, à la CJR de coûter cher : un budget de 800.000 euros par an ; 5 affaires jugées en près de 25 ans. 

Mais quel que soit le bienfondé de la plupart de ces critiques, la disparition de la CJR ne supprimera pas toutes les difficultés. La mise en cause pénale d’un ministre est fondamentalement une décision politique et si faire juger le ministre par des parlementaires peut faire difficulté au regard des principes d’impartialité et d’égalité, cette solution a au moins le mérite de rappeler qu’en la matière, la justice pénale est souvent le moyen de contester un choix politique plus que de sanctionner une faute pénale clairement identifiée.

Vouloir faire du juge ordinaire l’arbitre de ces choix peut être porteur de graves dangers. Ainsi que l’écrivait Robert Badinter « Le résultat, c’est qu’on juge un acte de gouvernement qui relève au premier chef, de la façon la plus évidente et la plus ferme, de la responsabilité politique, mais qui, à mon sens, ne saurait relever de la responsabilité pénale ».

En souhaitant encadrer les conditions d’intervention du juge pénal, le Président de la République a montré qu’il est conscient de ces risques de dérives.

Par Bernard Grelon