Suite aux élections législatives anticipées au Royaume-Uni, des répercussions sont à prévoir et notamment dans le cadre des négociations liées au Brexit. Décryptage de la situation britannique avec Aurélie Duffy-Meunier, Maître de conférences à l’Université Paris II Panthéon-Assas.

« Privée de majorité solide, Theresa May a dû abandonner les principaux projets de son programme»

Quelles sont les conséquences constitutionnelles et politiques du résultat des élections législatives du 8 juin ?

Les élections du 8 juin dernier constituent une défaite pour le Parti conservateur qui n’a obtenu qu’une majorité relative à l’issue du scrutin. Ce résultat confirme qu’une décision de provoquer des élections anticipées est toujours risquée, comme l’avait montré l’échec des conservateurs lors des élections anticipées de 1974. Theresa May, qui voulait obtenir un mandat clair des électeurs pour mener à bien sa conception du Brexit, sort de ces élections fragilisée.

Alors que les travaillistes ont gagné 30 sièges grâce à leurs 262 députés, les conservateurs en ont perdu 13. Avec leurs 318 sièges, ils ne parviennent pas à atteindre la majorité absolue des 326 sièges. Les électeurs ont ainsi désigné un Parlement sans majorité absolue (hung Parliament). Theresa May a donc choisi de s’entendre avec les dix députés du Democratic Unionist Party pour former un Gouvernement de coalition, au prix d’un accord consistant en une aide financière de 1,1 Milliards d’euros pour l’Irlande du Nord.

La légitimité de Theresa May est aujourd’hui contestée. Malgré les appels à la démission des travaillistes, elle a décidé de se maintenir à la tête du Gouvernement à la suite du résultats de l’élection et du vote de confiance du 29 juin qu’elle a obtenu à une courte majorité de 323 voix contre 309. Un changement de Premier ministre en dehors de toute élection et de tout vote de confiance est possible après une procédure de remise en cause du mandat du leader du parti.

Le Parti conservateur est toutefois si fragilisé qu’il n’ose pour le moment y avoir recours. Certains observateurs ne seraient cependant pas étonnés de voir cette procédure utilisée dans un futur proche ou que de nouvelles élections anticipées aient lieu d’ici deux ans. Le résultat des élections montre que, même au Royaume du bipartisme, les électeurs n’ont pas donné aux conservateurs, par une majorité suffisamment forte, le blanc-seing, qu’ils souhaitaient. Sans doute est-ce lié au fait que l’un des principaux enjeux de ce scrutin était le Brexit. Cette question semble dépasser les clivages des partis traditionnels et engager l’intérêt général. En témoigne la référence faite par Theresa May au « large consensus » nécessaire pour adopter les lois relatives au Brexit dans sa déclaration postérieure au discours du trône du 21 juin.

Quel impact ce résultat va-t-il avoir sur le Brexit ?

Le résultat de l’élection révèle que la majorité des Britanniques n’est pas favorable au hard Brexit. La démocratie représentative a tempéré l’élan populaire qui s’est exprimé lors du référendum du 23 juin 2016. Cela va avoir des conséquences sur la nature du Brexit qui devrait « s’adoucir ». En témoigne, symboliquement, le fait que le projet de loi de retrait de l’Union, dénommé Great Repeal Bill avant les élections, ait été rebaptisé Repeal Bill dans le discours du trône. La Reine, vêtue aux couleurs de l’Europe, a d’ailleurs présenté, chose peu commune, un programme parlementaire sur deux ans afin de couvrir l’ensemble des négociations. Neuf des vingt-sept projets de loi présentés concernent le Brexit et les questions de douanes, de commerce, d’immigration, de pêche et d’agriculture notamment.

Privée de majorité solide, Theresa May a dû abandonner les principaux projets de son programme. Elle va devoir tenir compte des positions favorables à un soft Brexit des partis d’opposition. Face à elle, Michel Barnier a refusé le principe d’une négociation parallèle du divorce et du futur partenariat. Il privilégie un processus par étapes. L’importance, pour certains députés conservateurs, d’avoir un accord de l’ensemble des collectivités du Royaume-Uni, le fait que 53 % des britanniques souhaitent un référendum sur l’accord final, certaines voix au sein de la Chambre des Lords et celle du Président du Conseil européen, laissent penser que l’idée même du Brexit pourrait ne pas être inévitable.

S’il a bien lieu, qu’engendrera-t-il pour les ressortissants de l’Union Européenne résidant au Royaume Uni ? Pour les ressortissants Britanniques résidant au sein de l’Union Européenne ?

Theresa May a annoncé au Conseil européen des 22 et 23 juin la proposition relative au statut des ressortissants européens, qu’elle a présentée au Parlement britannique le 26 juin. Débuter les négociations par cette question prioritaire montre bien que l’Union européenne ne peut se penser qu’en partant des citoyens. L’intitulé même du document ministériel « Sauvegarder la position des citoyens européens vivant au Royaume-Uni et des britanniques vivant dans l’Union européenne » révèle qu’une remise en cause pure et simple de leur statut est juridiquement et politiquement intenable.

La proposition consiste à accorder aux citoyens résidant depuis plus de cinq ans au Royaume-Uni un « statut établi » leur conférant les mêmes droits que ceux dont ils disposent aujourd’hui, comme le droit de séjour, l’accès aux services publics et la possibilité de demander la citoyenneté. Les citoyens européens résidant depuis moins de cinq ans auront la possibilité, une fois les cinq années révolues, d’accéder à ce statut établi. En revanche, les citoyens européens arrivés après le 29 mars 2016, date de notification du retrait, et la sortie effective du Royaume-Uni, ne devraient pas y avoir droit, mais pourront s’établir de façon permanente en fonction de leur statut.

La proposition précise toutefois qu’un départ du Royaume-Uni pendant plus de deux ans conduit à la perte de ce statut. Cette offre est conditionnée par un principe de réciprocité pour les britanniques vivants dans l’Union et par le succès de l’accord sur le Brexit. Elle a été critiquée au niveau national, par Jeremy Corbyn, qui s’élève contre ce principe de réciprocité et, au niveau européen, par Michel Barnier, qui s’oppose à la fin de la compétence de la Cour de justice de l’Union en ce domaine.

Par Aurélie Duffy-Meunier