Le 23 avril 2019, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté une résolution sur les violences sexuelles en période de conflit. Le texte de cette résolution a été profondément édulcoré par rapport au projet initial, en raison de la menace de veto américain et aux pressions d’autres États.

Décryptage par Sabrina Robert-Cuendet, professeur à l’Université du Mans.

« La résolution encourage le renforcement des législations nationales et demande aux États de prendre des « engagements précis » pour lutter contre l’impunité mais elle ne définit pas les infractions incriminées ni les peines encourues. »

Une résolution de l’ONU a-t-elle une force contraignante?

Les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, ont une force contraignante, contrairement aux résolutions de l’Assemblée générale qui n’ont valeur que de recommandation.

Par conséquent, tous les États membres de l’ONU sont tenus de respecter et d’appliquer les résolutions du Conseil de sécurité. Pour autant, les dispositions de ces résolutions ne sont pas toujours décisoires. Le Conseil de sécurité peut « exiger » quelque chose, comme il peut « encourager » un comportement ou simplement « réaffirmer » une position. En fonction de la terminologie utilisée, la marge de manœuvre des États pour s’acquitter de leurs obligations est plus ou moins grande.

Que souhaitait faire le texte originel de la résolution sur les violences sexuelles ? Pourquoi cela posait-il problème à certains pays, notamment les États-Unis ?

Le premier projet de résolution a été déposé par l’Allemagne, qui assure actuellement la présidence du Conseil de sécurité. Cette initiative s’inscrit dans un cadre normatif déjà bien consolidé. Depuis plus de dix ans, le Conseil de sécurité a adopté plusieurs résolutions qui dénoncent le recours aux violences sexuelles comme arme de guerre. Ces violences peuvent être constitutives de violations graves du droit international (crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocide ou terrorisme). Le Conseil de sécurité a, à plusieurs reprises, exigé des États qu’ils y mettent fin ; il leur a demandé de poursuivre et de punir les auteurs et d’exclure toute amnistie ou immunité à leur égard.

La mise en œuvre de ces résolutions est toutefois loin d’être effective. Dans son rapport annuel de mars 2019, qui rend compte de leur mise en œuvre, le Secrétaire général souligne que les violences sexuelles ne reculent pas et sont utilisées, en de nombreux lieux, de manière systématique, à des fins de répression, de terreur et de contrôle des territoires et des ressources naturelles (le rapport recense une cinquantaine de parties, étatiques et non étatiques, qui, sur l’année 2018, se seraient livrées à des violences sexuelles comme arme ou tactique de guerre). Il relève également de trop nombreuses situations d’impunité. Le rapport déplore par exemple que parmi les milliers de membres de l’État islamique poursuivis pour terrorisme, aucune condamnation n’a pour le moment été prononcée pour violence sexuelle.

Le projet allemand visait à renforcer le dispositif existant en mettant l’accent sur les droits des victimes – les femmes, les jeunes filles, les enfants nés de viol … qui sont ostracisés par la communauté – du point de vue de leurs besoins médicaux, de l’accès à la justice ou encore de leur droit à réparation.

Sur le premier point, le projet faisait référence à la nécessité de permettre un accès aux « soins de santé sexuelle et procréative ». Cette nécessité a déjà été reconnue dans deux résolutions précédentes du Conseil de sécurité (Résolution 1889 (2009) et Résolution 2106 (2013)). Mais cette fois-ci, la formulation a suscité l’hostilité de certains États, dans la mesure où le recours aux soins procréatifs implique la reconnaissance du droit à l’avortement. Elle a été supprimée du texte de la résolution qui renvoie de manière plus générale à l’« accès non discriminatoire à des services tels que les soins médicaux et psychosociaux ». La Résolution 2467 a finalement été adoptée avec le vote des États-Unis, qui avaient menacé d’opposer leur veto à la résolution telle que la proposait l’Allemagne, mais aussi l’abstention de la Chine et de la Russie (ce qui, même pour des membres permanents du Conseil de sécurité, n’empêche pas l’adoption d’une résolution).

Que dit la résolution expurgée ? Comment seront punis les crimes sexuels en temps de guerre ?

Outre la suppression de la référence aux soins procréatifs, le texte de la résolution 2467 ne fait pas référence à la création d’un organisme international pour aider à faire juger les coupables qui était proposée dans le projet allemand. Il aurait pu s’agir, par exemple, d’une commission d’enquête internationale apportant un soutien aux États dans l’instruction des poursuites. Il n’était en tout cas pas question d’envisager la création d’un tribunal international spécial, comme certains l’appellent de leurs vœux. De ce point de vue, la résolution rappelle que les violences sexuelles font partie des crimes pour lesquels la Cour pénale internationale peut être saisie, conformément au Statut de Rome (actuellement, deux affaires déférées à la CPI comportent des chefs d’accusation de violences sexuelles). Mais ce recours à la justice pénale internationale reste exceptionnel et incertain.

Pour l’essentiel, la résolution 2467 rappelle que c’est la responsabilité des États d’incriminer ces agissements et de poursuivre et punir leurs auteurs. La résolution encourage le renforcement des législations nationales. Elle demande aux États de prendre des « engagements précis » pour lutter contre l’impunité. Mais elle ne définit pas elle-même les infractions incriminées ni les peines encourues. Or, toute la difficulté tient au fait que les dispositifs législatifs internes sont encore, dans bien des cas, insuffisants ou que la justice est entravée par de nombreux obstacles structurels, institutionnels, culturels ou politiques, comme le souligne le rapport du Secrétaire général.

Il faut toutefois relever quelques avancées dans la résolution. Celle-ci met l’accent sur la nécessité de mieux protéger les victimes masculines là où, dans son rapport annuel, le Secrétaire général déplore que, dans bien des cas, le viol masculin ne soit même pas puni par la loi. La résolution demande également aux États d’envisager la création d’un fonds international destiné à assurer l’effectivité du droit à réparation des victimes.

Pour aller plus loin :

Par Sabrina Robert-Cuendet.