Depuis l’émergence des rassemblements citoyens et populaires des « gilets jaunes », de nombreuses idées circulent pour que ces derniers puissent faire entendre leurs voix. La dernière en date, le rassemblement d’initiative citoyenne, le « RIC » à beaucoup fait parler récemment.

Décryptage par Quentin Girault, docteur en droit de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour

« Aucun bouleversement institutionnel majeur n’a été observé dans les pays où des initiatives populaires sont possibles »

D’où vient l’idée du référendum d’initiative citoyenne ?

Plus connu sous l’appellation de « référendum d’initiative populaire » (mais les appellations de chaque procédure sont variables), le modèle le plus connu du processus est l’initiative populaire suisse, introduite à la fin du XIXème siècle dans la constitution fédérale.

Comme elle a largement inspiré les autres procédures comparables existant hors de Suisse, on peut affirmer qu’elle est le prototype des processus d’initiative populaire. De même, le procédé s’étant exporté et ayant été adapté à divers contextes, la catégorie « initiative populaire » renvoie à certains caractères communs tout en contenant des procédures différentes.

On désigne donc sous cette appellation tous les processus qui permettent aux citoyens, en cette seule qualité de déclencher une procédure par laquelle sera proposée l’adoption d’une norme, généralement via un référendum.

Il est important de noter que lorsqu’on parle « des » citoyens, il s’agit ici d’un groupe très restreint. Ceux qui sont réellement au départ du processus ne sont jamais plus d’une trentaine. Par ailleurs, partout où le processus existe, est exigé un seuil de signatures pour soutenir l’initiative pour qu’éventuellement soit organisé un référendum.

Ce qui unit les procédures d’initiative populaire, ce sont donc les modalités de déclenchement qui échappent toujours à la classe politique, et son objet qui sera toujours l’adoption d’une norme.

Les points de divergences entre les divers procédés existants seront donc principalement :

  • L’intervention des organes ordinaires de la fabrique normative, notamment celle du Parlement ;
  • Les conséquences du résultat, qui peuvent ou non s’imposer aux pouvoirs publics ;
  • Le rang et la forme de la ou des normes concernées : il peut s’agir des normes constitutionnelles ou législatives, et il peut s’agir d’un référendum abrogatif, comme en Italie, ou propositif, comme dans la plupart des autres pays pratiquant l’initiative populaire ;
  • Le niveau du seuil de signatures, qui est variable selon les pays. Il peut être fixé en valeur, comme en Suisse où 100 000 signatures sont exigées, ou en proportion comme en Californie, où le seuil est exprimé en pourcentage du nombre de votants aux dernières élections et varie selon la nature constitutionnelle ou législative de la proposition.

Elle existe sous une forme comparable dans de nombreux endroits, mais est régulièrement et pratiquée surtout dans certains Etats américains –particulièrement en Californie- ainsi qu’en Italie, et donc en Suisse.

Il faut ajouter la procédure de « recall » ou « référendum révocatoire », qui existe principalement en Californie et au Venezuela, et consiste en ce que les citoyens demandent l’organisation d’une nouvelle élection pour tel ou tel mandat électif, généralement celui du chef de l’exécutif. Si le procédé n’est pas intégré à la catégorie « initiative populaire », il lui ressemble au moins dans son mode de déclenchement.

Ce bref panorama permet de mesurer que le « RIC » tel qu’il a circulé sur internet et dans les médias emprunte à différents procédés existant à l’étranger tout en s’en démarquant en ce qu’il en réalise une synthèse. Ce qui est principalement évoqué serait, par le biais d’une initiative citoyenne :

  • De permettre une révision constitutionnelle ;
  • De permettre l’adoption d’une loi, ce qui implique également de permettre l’abrogation de lois existantes ;
  • De permettre la révocation d’élus ;

Le « RIC » peut-il être instauré en France ?

En soi, cette question n’a guère de sens : toute procédure nouvelle peut être instaurée, à condition que soient respectées les conditions prévues par le droit pour une telle démarche.

Ici, qu’il s’agisse du « RIC » dans son intégralité ou d’un seul de ses éléments, une révision constitutionnelle serait nécessaire.

La question est plus épineuse s’il s’agit de s’interroger sur la compatibilité d’un tel procédé avec le fonctionnement institutionnel. Il est évidemment impossible de répondre en droit à cette question, mais on peut tout de même souligner plusieurs éléments.

Tout d’abord, tous les procédés comparables sont nés et se pratiquent dans des régimes essentiellement représentatifs. Même en Suisse, la majorité des lois restent parlementaires. Ensuite, nulle part il n’a été observé de bouleversement institutionnel majeur, tout au plus des ajustements importants naissant de la pratique, et encore cela est-il surtout valable en Suisse. La révocation n’a pas entraîné « d’ingouvernabilité » en Californie ou au Venezuela. Enfin, il n’y a pas non plus de raison spécifique de penser que la Ve République serait incompatible avec de nouveaux procédés de démocratie semi-directe, d’autant que la pratique référendaire en général était initialement un élément fondamental du régime.

Rappelons malgré tout qu’aucun procédé de ce type n’a jamais existé en France.

Comment un tel procédé pourrait être mis en œuvre, du point de vue du droit ?

L’introduction du dispositif tel qu’il est envisagé, ou même d’un autre dispositif plus modeste dans ses ambitions, ouvrirait de nombreuses questions concrètes. On peut synthétiser les principales comme suit :

  • Quel seuil de signatures retenir ?
  • Dans quelle mesure les institutions existantes seraient-elles amenées à intervenir dans le déroulé de la procédure, particulièrement le Parlement, dont on peut se demander s’il pourrait modifier le texte proposé ?
  • Faudrait-il prévoir des règles particulières pour l’adoption d’une norme ou la réélection d’un élu révoqué, comme un seuil de participation minimum ?
  • S’agissant des normes adoptées par ce biais, devraient-elles avoir un statut particulier ? Ainsi : pourraient-elles être modifiées par voie parlementaire, et pourraient-elles faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité (pour les lois), sachant qu’en l’état actuel de la jurisprudence constitutionnelle, un tel contrôle est exclu ?
  • S’agissant de la révocation, quels mandats seraient concernés ?

En toute hypothèse, les réponses à ces questions seraient nécessairement apportées par le constituant actuel, donc par le Gouvernement et le Parlement, éventuellement sanctionnés par voie référendaire si la réforme devait être adoptée par référendum. C’est un élément fondamental : la forme précise du dispositif serait donnée par les institutions, et non par « les citoyens ».

Par Quentin Girault