La décision rendue par le tribunal de Nanterre le 28 mai dernier est une victoire importante pour le camp de David et Laura Hallyday. En effet, le tribunal a tranché une question fondamentale pour toute la suite de l’affaire : Johnny Hallyday avait-il sa résidence habituelle en France ou aux Etats-Unis au moment de son décès ?

Décryptage par Frédéric Bicheron, Professeur agrégé de droit privé et de sciences criminelles à l’Université Paris-Est Créteil

« Le tribunal a jugé que la dernière résidence habituelle du taulier était située en France.»

Pourquoi la justice française s’est-elle estimée compétente ? Et sur quels éléments le tribunal s’est-il appuyé ?

La décision rendue par le tribunal de Nanterre le 28 mai dernier est une victoire importante pour le camp de David et Laura Hallyday. En effet, le tribunal a tranché une question fondamentale pour toute la suite de l’affaire : Johnny Hallyday avait-il sa résidence habituelle en France ou aux Etats-Unis au moment de son décès ? Avant de revenir sur le contenu du jugement rendu ce 28 mai, il faut rappeler l’importance de la réponse à cette question parce qu’elle détermine, d’une part, le tribunal compétent pour traiter de l’ensemble de la succession, d’autre part, et surtout, la loi applicable à la succession du chanteur, selon ce que préconisent les articles 4 et 21 du Règlement européen du 4 juillet 2012 applicable en matière de successions. Et là, de deux choses l’une : si la dernière résidence est en Californie, alors c’est la loi californienne qui s’appliquera et le testament américain écartant Laura et David de la succession sera considéré comme valable ; en revanche, si la dernière résidence est en France, alors c’est la loi française qui s’appliquera et le testament américain sera déclaré nul.

Le tribunal a jugé que la dernière résidence habituelle du rocker était située en France, et donc que le tribunal de Nanterre est compétent pour statuer sur l’ensemble de sa succession.

Pour ce faire, le juge a retenu un ensemble de faits objectifs et subjectifs.

Tout d’abord, il a estimé que « l’élément objectif de la résidence habituelle au sens du Règlement européen, à savoir la durée et la régularité de la présence de Johnny Hallyday, est caractérisé en France au cours des années précédant son décès et au moment de son décès ». Sur ce point, l’exposition par les époux Hallyday de leur vie sociale et familiale sur les réseaux sociaux (Instagram, Facebook…) semble s’être retournée contre Laeticia Hallyday.

Concernant l’aspect subjectif, c’est-à-dire les raisons pour lesquelles il effectuait des séjours tant en France qu’aux Etats-Unis, le juge a reconnu que les véritables intentions du chanteur n’étaient pas simples à saisir, sinon « le souhait de ne plus avoir comme interlocuteur le fisc français » ! Néanmoins, il a relevé que le goût prononcé du rocker pour la scène, les tournées et les concerts qui s’enchaînaient pendant de longs mois quasi-exclusivement en France et devant un public francophone, révélait un lien étroit et stable avec la France. Qu’en outre, « le centre des intérêts financiers du défunt se situait à l’évidence en France », ses revenus étant principalement engendrés par ses activités artistiques sur le sol français. S’il n’est pas nié qu’il passait du temps à Los Angeles, notamment en famille, le juge a considéré que les éléments du dossier révélaient que ce choix était guidé par une simple volonté d’échapper à la pression médiatique, « d’être tranquille, de se ressourcer, d’écouter de la musique et de trouver l’inspiration », autant de motifs insuffisants à démontrer une volonté réelle d’établir de manière stable sa dernière résidence aux USA.

Laetitia Hallyday a d’ores et déjà annoncé qu’elle ferait appel. Quels peuvent-être ses arguments ?

Comme l’a dit le juge dans son ordonnance, les raisons de la présence de Johnny Hallyday en France et en dehors « peuvent légitimement donner lieu à interprétation différente de la part des parties, chacune exprimant sa part de vérité ». En appel, Laeticia Hallyday va sans doute tenter de convaincre la cour de « sa » vérité, selon laquelle, même si le chanteur avait certes une forte activité artistique en France et séjournait régulièrement en famille à Marnes-la-Coquette, où il voyait ses amis français, la France n’aurait plus été pour lui qu’un lieu de vacances et de loisirs, sa volonté étant de vivre de manière durable et régulière, et donc habituelle, aux Etats-Unis. Et que le choix du lieu afin « d’être tranquille » n’est pas incompatible avec l’intention d’en faire sa résidence habituelle. Au contraire, pourrait-on dire.

Il est par ailleurs frappant de relever que la situation scolaire et sociale de Jade et Joy aux États-Unis n’a, semble-t-il, pas été prise en compte par le juge, alors que la quotidienneté de leur vie à Los Angeles pourrait constituer une cause toute naturelle à la régularité de la présence de Johnny sur le sol américain. Enfin, la récente demande de naturalisation américaine par Laeticia Hallyday pourrait influencer la décision d’appel si elle l’obtenait, puisque cela attesterait d’une résidence régulière pendant au moins 30 mois sur le sol américain au cours des cinq dernières années.

Le juge d’appel sera-t-il convaincu par les arguments de Laeticia ? La détermination du lieu de la dernière résidence relevant d’une appréciation très factuelle (v. récemment Cass. 1re civ., 29 mai 2019, n° 18-13383), il est impossible de dire dans quel sens la balance penchera en cause d’appel, sauf à lire dans une boule de cristal.

Ce jugement aura-t-il un impact sur le jugement américain ?

Le 30 avril 2019, le juge californien, saisi d’une demande de transfert d’actifs (Harley Davidson, voitures de sport, partie des droits d’auteur…) au profit du trust constitué par Johnny Hallyday, avait réservé sa décision dans l’attente de la décision française. Nul doute que la décision rendue par le tribunal de Nanterre le conduira à surseoir à statuer, au moins jusqu’à ce que la cour d’appel de Versailles se prononce sur le recours introduit par Laeticia. Mais il ne faut pas espérer une décision avant plusieurs mois. Et si les juridictions françaises se déclarent définitivement compétentes pour traiter de l’ensemble de la succession, les juridictions américaines ne pourront, en toute logique, que se déclarer incompétentes et laisser la main au juge français.

Par Frédéric Bicheron.

 

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