Le groupe PSA (Peugeot Citroën) a été la première grande entreprise à utiliser la rupture conventionnelle collective en ce début d’année 2018. Mais quelles sont les caractéristiques de ce dispositif émanant des ordonnances du 22 septembre 2017 relatives à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail ?

Décryptage par Alexandre Fabre, professeur de droit à l’Université d’Artois et à la Faculté de droit de Douai.

« Il y avait une sorte de contradiction puisque l’on appliquait le droit du licenciement pour motif économique à des ruptures qui n’en étaient pas. »

Qu’est-ce que la rupture conventionnelle collective ?

C’est un mode de rupture du contrat de travail créé par les ordonnances Macron du 22 septembre 2017. La rupture conventionnelle collective (RCC) vient s’ajouter à la rupture conventionnelle individuelle (RCI) instaurée en 2008. L’idée commune est de sortir de la rupture subie par le salarié, imposée par l’employeur. Pour autant, les deux régimes ne sont pas semblables en tous points. A la différence de la RCI, la RCC suppose un double accord de volontés. D’abord, il faut la conclusion d’un accord collectif entre l’employeur et les syndicats majoritaires (ceux ayant obtenu plus de la moitié des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles dans l’entreprise). Cet accord collectif est fortement encadré, de nombreuses clauses obligatoires étant prévues. Il faut ensuite que soient conclues des conventions individuelles entre l’employeur et les salariés exprimant l’intention de quitter l’entreprise. Les salariés ne sont pas contraints de partir. C’est le principe du volontariat qui domine, même s’il s’agit, il est vrai, d’un volontariat « provoqué » par la mise en place d’un cadre incitatif.

En vérité, plus que dans la RCI, la RCC trouve son origine dans une pratique antérieure : les « plans de départs volontaires » exclusifs de tout licenciement. Le régime de la RCC en a d’ailleurs repris la condition essentielle : comme la Cour de cassation l’avait admis pour ce type de départs volontaires (Cass. soc. 26 octobre 2010, Renault), l’entreprise doit s’interdire de prononcer des licenciements pour atteindre l’objectif qu’elle s’est fixée en termes de suppressions d’emplois. A titre d’illustration, si elle envisage de supprimer 100 emplois, et que seulement 80 salariés se portent candidats, elle ne devra pas envisager de licenciement pour les 20 postes restants.  Pas de plan B pour ainsi dire.

Si la RCC  existait déjà sous une forme voisine, quel est donc l’intérêt de ce nouveau régime ?

Déjà, il faut relever que les plans de départs volontaires ne faisaient pas l’objet d’un encadrement spécifique par la loi. Au fil du temps, la Cour de cassation les avait soumis au droit du licenciement pour motif économique. Mais il ne s’agissait que d’une application sélective. Par exemple, l’employeur devait établir un plan social lorsqu’il envisageait plus de 10 suppressions d’emplois, mais il ne lui était pas nécessaire d’y intégrer des mesures de reclassement interne. De même,  l’application de la procédure de licenciement pour motif économique obligeait l’employeur à exposer les raisons de ces suppressions d’emplois aux représentants du personnel, mais le juge prud’homal ne pouvait en contrôler la réalité et le sérieux dans le cadre d’un contentieux individuel. Bref, il y avait une sorte de contradiction puisque l’on appliquait le droit du licenciement pour motif économique à des ruptures qui n’en étaient pas. C’est pour sortir de cet « entre-deux » que le gouvernement a donc voulu créer un régime autonome.

Mais ce nouveau régime présente toutefois quelques ressemblances avec celui qu’il est censé remplacer… C’est ainsi que l’accord collectif portant RCC doit faire l’objet d’une validation par l’administration du travail, comme les plans sociaux négociés avec les syndicats. Autre similitude, les entreprises d’au moins 1 000 salariés sont tenues à une obligation de revitalisation du bassin d’emploi.

En dehors de ces quelques exceptions, le régime de la RCC n’a plus rien à voir avec celui du licenciement pour motif économique. Ainsi, et c’est tout à fait fondamental, la RCC ne suppose pas l’existence d’une raison économique, dont l’entreprise doit convaincre les représentants du personnel, et que le juge peut contrôler, donc invalider. En outre, l’employeur n’a pas à rechercher des solutions de reclassement interne. Puisque les salariés sont désireux de partir, pourquoi faudrait-il essayer de leur trouver un poste de substitution dans l’entreprise ? La priorité est ailleurs : il s’agit d’accompagner les salariés vers un retour à l’emploi en dehors de l’entreprise. D’où la négociation de mesures d’accompagnement : aides à la formation, à la création d’entreprise, à une reconversion professionnelle, etc. Sont également exclues les règles qui, en l’absence d’acte de licenciement, n’ont aucune raison d’être : organisation d’un entretien préalable avec le salarié, motivation du licenciement, priorité de réembauche, etc.

En somme, avec la RCC, les entreprises disposent désormais d’un outil leur permettant d’anticiper les restructurations sans avoir à appliquer le droit du licenciement pour motif économique.  

A ce propos, le risque n’est-il pas que les entreprises s’engouffrent dans le dispositif ?

Le risque est plus virtuel que réel. Depuis quelques semaines, les médias se font l’écho de plusieurs projets d’entreprises. PSA a signé un accord de ce type, la Société Générale s’apprête à le faire, Carrefour y songe. Ces annonces donnent le sentiment que la RCC va permettre des vagues de suppressions d’emplois sans précédents. Il est possible que ces entreprises aient retardé leur restructuration dans l’attente de la RCC. Mais, en son absence, elles auraient sans doute présenté un projet de licenciement pour motif économique et/ou un plan de départs volontaires…

Il faut bien comprendre que la RCC suppose la réunion de plusieurs conditions qui sont loin d’être évidentes. Même si les salariés voient généralement d’un bon œil ces possibilités de départ, il n’est pas certain que les syndicats majoritaires acceptent partout le principe d’une RCC, au nom par exemple de la défense de l’emploi. Et il faut que l’entreprise soit sûre de son coup : n’oublions pas que la RCC exclut tout licenciement pour atteindre l’objectif de suppressions d’emplois. Cela signifie que l’entreprise doit être certaine de susciter des envies de départ en nombre suffisant pour atteindre son organisation-cible. Il y a un aléa, une incertitude qui n’existe précisément pas dans l’hypothèse d’un licenciement pour motif économique. C’est pourquoi on peut légitimement penser que la RCC sera réservée à quelques grandes entreprises disposant du temps, de l’argent et de la maturité nécessaires pour la mener à bien.  

Par Alexandre Fabre